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Illustration par Kim Provent pour KIP.

Mediapro / Ligue 1 : État des lieux d’un fiasco

Cette histoire avait pourtant tout d’un conte de fées. 

Il était une fois une Belle au Bois Dormant – notre bonne vieille Ligue 1 – qui ressassait depuis vingt ans sa gloire d’antan, car éclipsée dans le présent par les quatre grands championnats européens1Premier League anglaise, Liga espagnole, Bundesliga allemande, Série A italienne..  Les souvenirs des épopées victorieuses du Reims de Kopa, ou du Marseille de Papin, semblaient condamnés à rester à jamais les derniers. La France du football essayait de se satisfaire des quelques demies et finales obtenues ces dernières années, rares frissons au milieu de la monotonie des éliminations prématurées. Chaque année, on pensait à un renouveau du football français et chaque année ces espoirs étaient douchés. Et voilà que dans ce contexte morose, surgit un prince oriental bien décidé à donner sa juste valeur aux Dijon-Lorient du samedi soir.

Hélas aujourd’hui, à peine trois ans plus tard, le carrosse du prince Mediapro semble tout droit sorti des invendus de Conforama2Sponsor principal de la Ligue jusqu’à l’année dernière. Dans l’incapacité d’honorer ses engagements financiers, la décision du groupe sino-espagnol de renoncer à la retransmission des matchs de la Ligue 1 plonge le championnat dans l’incertitude, alors qu’il est déjà affaibli par la crise sanitaire qui ferme les stades et coupe dès lors les revenus de billetterie. 

Mais comment l’histoire a-t-elle pu si mal tourner ? Et que nous apprend-elle sur la situation générale du football français ?

Les droits aux buts

Pour comprendre les raisons d’un tel fiasco, revenons-en à la base du problème : l’attribution des droits TV du championnat de Ligue 1. Aujourd’hui, l’essentiel des revenus des clubs de football proviennent des droits qu’ils perçoivent des chaînes de télévision pour que celles-ci diffusent les matchs. Tous les quatre ans, la Ligue Professionnelle de Football (LFP) met aux enchères ces droits et les chaînes de télévision s’affrontent pour tenter de les remporter. Il en va de même dans tous les pays et ces dernières années ont vu une explosion des montants versés par les chaînes pour diffuser le football, notamment en Angleterre où les droits ont dépassé les 3 milliards d’euros par an quand en France ils dépassaient péniblement les 500 millions. Pour faire simple, avant l’arrivée de Mediapro le dernier de Premier League anglaise touchait deux fois plus d’argent des droits TV que le premier de Ligue 1. 

On comprend donc mieux son enthousiasme lorsque le 29 mai 2018 Mediapro remporte à la surprise générale l’appel d’offres de diffusion des matchs de Ligue 1 en rayant de la carte les acteurs traditionnels que sont l’historique Canal + et les acteurs en croissance que sont BeIn Sports et RMC Sports. La LFP espère alors que les années de vache maigre sont enfin passées et qu’enfin la “routourne” de la fortune puisse tourner pour offrir un autre vocabulaire au football français. Un autre vocabulaire que celui de la défaite. 

Mediapro propose en effet une véritable révolution au football français, un doublement des sommes perçus au titre des droits TV, passant de 574 millions à 1,153 milliard d’euros pour la Ligue 1 uniquement, comme le montre l’infographie ci-dessous3Mediapro investit environ 800 millions d’euros et Canal + et BeInSports qui conservent quelques matchs apportent le reste. L’optimisme est de mise et on attend avec impatience l’année du début du contrat et des versements des droits tant attendus. 

Infographie réalisée par le journal L’Equipe montrant les droits télé perçus par les clubs . Les montants proposés par Mediapro correspondent à l’hypothèse rouge. (2017). Ainsi par exemple, le PSG gagnait 58 millions d’euros en 2017 et devait gagner 120 millions avec les nouveaux droits.

Sauf que cette année tant attendue est 2020. Ça ne pouvait pas bien se passer après tout.

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La Ligue détalant

Décrivons maintenant la suite d’événements qui ont mené à la situation actuelle.  Après la signature de l’accord, Mediapro met un an et demi à présenter son plan de financement à la Ligue 1, chose faite le 12 décembre 2019. Au programme, la création d’une nouvelle chaîne pour diffuser les matchs. Mediapro insiste sur le prix abordable de cette chaîne, simplement 25€ par mois ! Modique somme à ajouter aux 40€4Plus séparément, mais certaines offres permettent de regrouper les 3. des abonnements à Canal, RMC et BeIn qui conservent le droit de diffuser les autres championnats.

Avec ce prix, Mediapro espère attirer pas moins de 3,5 millions d’abonnées, soit juste deux fois plus que le nombre d’abonnés de BeIn à l’époque où celle-ci diffusait pour moins cher non seulement la Ligue 1 mais aussi les championnats d’Italie, d’Allemagne et plusieurs autres sports que le football.

Ravie de ce plan de financement on ne peut plus solide, la LFP donne son feu vert et Mediapro met en place son organisation. La nouvelle chaîne se nommera Téléfoot, en partenariat avec la mythique émission de TF1 et ses commentateurs vedettes dont Bixente Lizarazu. Après quelques problèmes techniques indépendants de la volonté de Mediapro, la chaîne diffuse enfin pour la première fois le 19 août 2020. Mediapro paye rubis sur l’ongle sa première échéance de 172 millions d’euros et on se dit que le projet est sur de bons rails. 

Du moins, on peut le croire jusqu’au 24 septembre où Mediapro demande un délai pour payer son échéance d’octobre 2020 à la Ligue 1. Et en réalité, cette dernière ne verra jamais cet argent : après une mise en demeure le 14 octobre, Mediapro annonce son refus de payer le 21. La Ligue ne peut même pas demander une exécution forcée du contrat car avec la pandémie, la législation protège davantage les débiteurs défaillants. Après deux mois de négociations, Mediapro accepte de payer 100 millions d’euros de pénalités et rend les droits à la LFP qui doit au plus vite trouver un nouveau diffuseur de ses matchs de Ligue 1. Cette situation est absolument catastrophique pour les clubs professionnels français. Déjà affaiblis par la crise sanitaire, qui empêche les supporters d’aller au stade et plombe donc les recettes de billetterie, ils perdent ainsi leur première source de revenus. Plusieurs sont au bord de la faillite et les conséquences sont plus dures encore pour le football amateur, auquel une petite partie des droits sont reversés. 

Avec le recul, les fragilités de Mediapro paraissent évidentes. Aucun ancrage en France, une structure financière fragile et complexe et un échec cuisant dans l’appel d’offres du championnat italien un an plus tôt auraient pu, auraient dû alerter la LFP. Mais cette dernière voulait y croire, tant était grand l’espoir de donner un nouveau souffle à un championnat confronté à de grandes difficultés. Si la LFP s’est fourvoyée, c’est aussi parce qu’elle cherchait un remède miracle aux difficultés du football français. Or, aussi bien économiques qu’historiques ou encore institutionnelles, ces difficultés sont très nombreuses.

Riches joueurs, pauvres clubs

Économiquement, depuis l’arrêt Bosman en 19955Décision de la CJCE autorisant les transferts illimités de joueurs à l’étranger en vertu de la libre circulation des personnes au sein de l’Union Européenne. Cette jurisprudence porte le nom de Jean-Marc Bosman, joueur belge qui ne voulait pas être transféré en France et qui contestait les quotas de joueurs étrangers dans les équipes., les clubs français souffrent de la concurrence des mastodontes européens comme le Real, le Barça ou le Bayern. Comme les transferts sont désormais illimités, ces clubs vedettes jouissant d’un plus grand prestige parviennent à attirer tous les meilleurs joueurs en provenance des autres championnats européens, certes moyennant un gros chèque. C’est ainsi que plusieurs joueurs de Monaco par exemple se sont expatriés à l’étranger après s’être révélés dans le club du Rocher : Thierry Henry à Arsenal, David Trézéguet à la Juventus et plus récemment Bernardo Silva à Manchester City ou Fabinho à Liverpool. Vendre ses pépites est très profitable à court terme en fournissant beaucoup d’argent aux clubs, ce pourquoi Monaco justement ou Lille en ont fait le cœur de leur modèle économique. Mais à long terme, il empêche de rattraper les meilleurs clubs européens qui possèdent donc finalement toutes les stars du ballon rond et sont alors presque impossibles à concurrencer.  

Il empêche surtout de résoudre le vrai problème qui est la faiblesse des revenus. En effet, de façon générale, les clubs les plus riches attirent les meilleurs joueurs qui leur donnent de meilleurs résultats donc plus de visibilité et en retour plus de revenus tant par la billetterie des stades que par les droits que les chaînes de télévision leur payent pour diffuser leur matchs. Un véritable cercle vicieux qui laisse peu de chances aux clubs français de rattraper leur retard sauf investissements colossaux tels que ceux du Qatar à Paris qui permettent au club de la capitale de former à son tour une équipe de stars. Pour reprendre l’exemple des jeunes talents de l’AS Monaco, le PSG a ainsi pu s’attacher les services d’un certain Kylian Mbappé. 

Plusieurs raisons dissuadent les investisseurs mondiaux de racheter des clubs français. Ils payent tout d’abord beaucoup plus d’impôts que leurs confrères européens – 43 fois plus que les clubs de la Bundesliga allemande ! – ce qui rend évidemment difficile d’attirer les meilleurs joueurs car pour leur verser un salaire net égal, les clubs doivent verser un salaire brut bien supérieur.  Pour donner une idée des montants en jeu, le PSG verse à lui seul 150 millions d’euros par an en charges sociales et impôts divers et variés. 

Murs jaunes

Les clubs français sont également des marques moins fortes que leurs homologues européens. Le championnat de France attire historiquement beaucoup moins de public dans les stades, comme le montre les deux murs jaunes les plus célèbres du football mondial : celui de Dortmund (à gauche) et celui de Monaco6Le cœur du supporter monégasque écrivant ces lignes a très mal. (à droite).  

Avec une moyenne de 22 000 spectateurs par match, la France est en retrait par rapport à l’Italie et l’Espagne (environ 26 000 chacune) et surtout l’Angleterre et l’Allemagne (environ 40 000 !). Pour expliquer cette tendance, on peut remarquer la perte de vitesse des grands clubs historiques du championnat de France. Elle est bien loin l’époque où le beau jeu se disait “jeu à la nantaise” et où la Sainte Symphonie de la Ligue des Champions pouvait résonner dans les travées de Saint-Symphorien à Metz. Certains de ces grands clubs notamment Sochaux et Auxerre végètent désormais en Ligue 2 et d’autres clubs importants comme Nantes, Saint-Etienne ou Lens ne sont pas en mesure de jouer les premiers rôles en Ligue 1. 

De plus, la pauvreté du spectacle proposé sur les pelouses de Ligue 1 n’incite pas les supporters à se passionner pour le championnat.  Les clubs français ont eu tendance à privilégier des joueurs physiques et à proposer un jeu défensif. Or, ces dernières années ont marqué un retour à un football plus offensif, plus rapide et surtout plus construit tactiquement qui ont permis à des clubs ou de retrouver leur gloire d’antan (le Liverpool de Jürgen Klopp) ou tout simplement d’émerger pour la première fois (l’Atalanta Bergame de Gian Piero Gasperini). 

Le combat de coqs

Enfin et peut-être surtout, les difficultés du football français sont institutionnelles. Deux organismes détiennent l’essentiel du pouvoir. D’une part la Fédération Française de Football (FFF) dirigée par Vincent Labrune depuis 3 mois après et d’autre part la fameuse LFP dirigée aujourd’hui par Nathalie Boy de la Tour après 14 ans de règne sans partage de Frédéric Thiriez. Entre les deux institutions, les relations sont souvent tendues et les initiatives de l’une ou de l’autre pour redynamiser le football français ont souvent échoué du fait de ces tensions, par exemple le projet d’une limitation à deux descentes/deux montées par an entre la Ligue 2 et la Ligue 17L’idée est de sécuriser la place des clubs actuellement en Ligue 1 pour attirer des investisseurs. En effet, un club relégué en deuxième division perd beaucoup de visibilité, donc réduire le nombre de descentes réduit l’aléa sportif. Mais c’est bien là le problème, puisque cela enlève une opportunité aux clubs de Ligue 2 les plus performants de profiter de leurs bons résultats pour passer en Ligue 1.. Autre point de friction, l’honnie Coupe de la Ligue, accusée par les dirigeants de club de surcharger les calendriers mais que Thiriez a défendu bec et ongles pendant tout son mandat. Celle-ci est aujourd’hui disparue, grâce à un compromis avec Nathalie Boy de la Tour mais le fait demeure : les instances du football français ont bien du mal à s’entendre.

Elles ont aussi bien du mal à fonctionner en interne. L’influence de certains des dirigeants de club les plus puissants se fait sentir dans le fonctionnement des organes, notamment Jean-Michel Aulas, président de l’Olympique Lyonnais – personnalité clivante qui est auréolée de nombreux succès de son club qu’il a repris en deuxième division au début des années 1980 et qui remporta 7 titres de champions de France consécutifs dans les années 2000. Idem pour le nouveau président de la FFF, Vincent Labrune, dont l’ancien rôle de dirigeant de l’OM et ses relations très difficiles avec certains clubs – notamment l’OL d’Aulas – posent question quant à sa capacité à fédérer autour de lui.  Ce sera pourtant urgent pour éviter de tels fiascos à l’avenir. 

Espérons donc que comme le club de coeur de l’ancien président de la FFF, Noël Le Graët8L’En Avant Guingamp, le football français sache repartir en avant. 

Du même auteur : Tsar wars ou la politique à l’heure de la science-fiction

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Amayes Kara

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Trésorier de KIP (2020-2021) et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Treasurer of KIP (2020-2021) and regular contributor.

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