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Pour sauver le monde, vivons plus vieux !

L’un des traits les plus fondamentaux de la nature humaine est sa motivation viscérale à s’accrocher à la vie. Pendant des siècles, charlatans et alchimistes ont promis aux plus fortunés élixirs de jouvence et immortalité à base d’arsenic, de mercure ou encore d’assortiments dangereux de plantes médicinales. Aujourd’hui, derrière les passions des milliardaires se cachent de véritables équipes de scientifiques qui cherchent activement à rallonger l’espérance de vie humaine. 

Mais cette dernière n’a pas attendue l’apparition d’un élixir magique pour battre des records. Depuis 1950, l’espérance de vie globale augmente d’environ 18 semaines par an. Aujourd’hui, vivre plus de 70 ans est considéré comme un acquis au sein des pays développés, et commence à l’être dans les pays en développement. Parallèlement, l’humanité fait face à des défis toujours plus grands qu’elle ne parvient pas à combattre : climat, environnement, inégalités … 

Pourtant vivre plus vieux apparaît comme une lubie des plus riches, et le reste de la population voit parfois d’un mauvais œil cette volonté des plus fortunés de vivre davantage alors qu’elle n’y aurait pas accès. Je veux vous montrer qu’il faut paradoxalement se réjouir de chaque progrès dans le domaine, car vivre plus vieux aura peut-être des conséquences très bénéfiques sur le climat et les inégalités, ce qui nous aidera à résoudre nos défis actuels. 

Un privilège réservé aux milliardaires ? 

Jeff Bezos (Amazon), Larry Page (Google) ou encore Peter Thiel (cofondateur de PayPal) sont autant de milliardaires à investir des sommes folles dans des compagnies leur promettant d’allonger la durée de leur existence. L’an dernier, Sam Altman, fondateur et directeur général de OpenAI, a révélé avoir investi 180 millions de dollars dans Retro Bioscience, une startup dont l’objectif est « d’augmenter de dix ans l’espérance de vie humaine ». Certains s’inquiètent de cet intérêt des plus riches, craignant que ses bénéfices ne soient accaparés que par les plus hautes classes, qui domineraient alors le monde par leur longévité en plus de leur richesse. 

Mais de telles craintes relèvent plutôt de la science-fiction. Les technologies – qu’elles permettent de vivre longtemps ou non – ont dans le passé eu tendance à se diffuser, et leur prix à diminuer. Il suffit de voir comment l’accès aux soins s’est démocratisé, tout comme le fut l’accès au téléphone portable ou à internet. Il est difficile d’imaginer un privilège aussi susceptible de déclencher une rébellion être accaparé par une classe dirigeante, et non se diffuser peu à peu au sein de toute la population. 

Vivre plus, se soucier davantage de demain

Un allongement de la durée de vie d’un grand nombre de personnes aurait de vastes conséquences. La principale et plus évidente est qu’une personne vivant plus longtemps pourrait davantage se préoccuper des menaces qui lui paraissent aujourd’hui lointaines. C’est notamment le cas pour le dérèglement climatique. Lorsqu’on nous avertit que la température globale atteindra +7°C en 2100 si rien n’est fait, tout en sachant pertinemment que très peu d’entre nous vivront pour le voir, la situation nous paraît trop distante pour nous concerner et notre implication est amoindrie. Une personne s’attendant à vivre plus de 120 ans se souciera bien plus de l’état du monde en 2100, et sera davantage enclin à essayer de l’améliorer.

Par ailleurs, cette longévité permettra aussi d’être plus souvent témoins des effets positifs de nos actions sur le climat. Aujourd’hui, nous sommes davantage découragés par l’ampleur de notre mission qu’est celle de « réparer l’état du monde », si bien que nous préférons rester inactifs. Pourtant nos décisions ont un impact bien réel et concret. Par exemple, la décision unanime d’interdire les chlorofluorocarbures avec le protocole de Montréal en 1987 a permis au trou dans la couche d’ozone de progressivement se refermer. En allongeant nos durées de vie, nous aurons plus souvent l’occasion d’observer les conséquences directes de nos décisions et de nos changements d’habitudes, ce qui nous motivera davantage dans la lutte pour le climat.  

Une grande longévité réduit les inégalités.

Une conséquence moins évidente de l’allongement des durées de vie à grande échelle est son effet sur les inégalités de classe ou de genre. Si l’espérance de vie est plus longue, il faut s’attendre à un repoussement de l’âge de la retraite, comme cela s’est déjà déroulé auparavant, et à un prolongement de la vie active, notamment pour les femmes qui perdront une partie plus faible de leur carrière à avoir des enfants, contribuant alors à amoindrir les inégalités de genre au travail. La longévité permet aussi l’accumulation lente du capital, du moins selon les théories libérales, ce qui est un facteur essentiel à l’émergence des classes moyennes dans tous les pays. Vivre plus vieux pourrait aussi signifier pouvoir consacrer plus de temps à l’éducation et à la formation, développant davantage les compétences des jeunes pour leur donner toutes les clés pour réussir, et ainsi atténuer l’impact du milieu social sur la réussite. Enfin, des personnes avec une vie plus longue pourront sans-doute former un plus grand réseau de connaissances (famille, collègues …), ce qui pourrait davantage connecter l’espèce humaine. 

Le risque de la longévité

On ne peut toutefois pas ignorer le risque évident lié à l’allongement des durées de vie. Une population vivant plus longtemps est aussi une population qui meurt moins, ce qui amène le problème de la surpopulation. Le monde craint déjà de ne pas être capable de subvenir aux besoins d’une population qui atteindra les 10 milliards autour de 2050. Pourquoi alors vouloir aggraver ce problème en vivant davantage ? Ce serait toutefois ignorer que le facteur clé de la hausse des populations n’est pas la longévité, mais les naissances. En effet, dans les pays ayant terminé leur transition démographique, leur nombre a systématiquement et drastiquement diminué, jusqu’à parfois créer des creux générationnels comme au Japon ou en Allemagne. Il n’est alors pas absurde de supposer qu’un allongement indéfini des durées de vie irait de pair avec une nouvelle baisse du nombre de naissances.

Le réel défi soulevé par cette longévité nouvelle serait plutôt d’ordre systémique. En effet, cette chute de la natalité bouleversera profondément le système des retraites et de la santé, qui reposent sur un grand nombre d’actifs et non une majorité de retraités et personnes dépendantes. Augmenter l’espérance de vie signifie donc aussi créer la nécessité de repenser le fonctionnement de notre système social. Mais n’est-ce pas finalement pour le mieux ?

Ainsi, atteindre une plus grande longévité aura probablement des conséquences positives sur l’état du monde, autant sur l’environnement que sur les sociétés, mais celles-ci vont de pair avec une transformation du système social. À voir comment cette augmentation des durées de vie jouera sur les progrès de l’espèce. Une chose est certaine, c’est que nombreux sont ceux qui rêvent de pouvoir vivre plus vieux.

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Luc Walter