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Les réseaux sociaux : le règne de l’immédiat

Les réseaux sociaux sont des espaces virtuels. Ils sont aussi des lieux de rencontres de divers états d’esprit, et des lieux de création de communautés.  Certains considèrent que ces endroits permettent d’être soi-même. En effet, on y exprime sa personnalité et on s’échappe de l’ordinaire. D’autres considèrent au contraire les réseaux sociaux comme le vaste champ de bataille de la reconnaissance, ou encore comme une mine de violence.

La pluralité des attentes et des attitudes fait que nous approchons les réseaux sociaux avec deux visions différentes. Nous les voyons comme une opportunité d’être soi et de partager en atteignant un large public. Dans le même temps, nous les voyons  comme une manière dangereuse de s’exposer au regard des autres. 

Instantanéité1https://fr.statista.com/infographie/14309/linstantaneite-du-contenu-sur-les-reseaux-sociaux/

Tout l’enjeu de l’instantanéité réside dans l’idée d’authenticité. L’utilisateur est-il prêt à se dévoiler dans l’instant ? La réponse varie. Elle fluctue au gré du microcosme que chacun a construit ou trouvé sur le net. Chaque utilisateur a une manière différente  d’être authentique sur internet, mais nous pouvons observer que la période entre la création d’un contenu et sa publication a tendance à se raccourcir dans une visée d’authenticité. 

La génération Z a grandi avec les réseaux sociaux comme moyen d’expression, avec la rapidité pour habitude. Dans le même clin d’œil, il est possible d’effectuer une recherche, d’envoyer un message  à une personne à l’autre bout du monde, d’utiliser une application pour acheter, vendre ou gérer ses comptes bancaires . Les nouvelles générations grandissent dans un monde qui accélère. Pour être à la page, il faut s’adapter à ce rythme infernal.

Daniel Cohen décrit particulièrement bien ce contexte dans son dernier ouvrage Homo Numericus, ou la civilisation qui vient. Il ne parle pas de communauté en ligne, mais de champ de bataille. Il ne parle plus de “marche ou crève”, mais de “follow or die” : suis le rythme, ou meurs socialement. Celui qui décide de s’inscrire sur les réseaux sociaux se voit submergé par des notifications qui ne s’arrêtent jamais . Il doit faire un choix dans ce flot d’informations. Il peut s’accrocher au tourbillon d’informations et de réactions dans l’espoir de maîtriser le sujet et de naviguer parmi les courants de contenus. Il est alors au courant, au courant de la mode, de l’opinion des autres. Il peut au contraire se mettre en retrait, au risque de devoir ensuite naviguer à vue entre fake news et contenus intrusifs. Rester alerte demande de connaître les différents mobiles et motifs derrière les contenus afin de distinguer la vérité des dangers de la désinformation, afin de circonscrire la haine que l’anonymat peut engendrer. 

Authenticité

Il faut évidemment nuancer ce propos, car les réseaux sociaux ne peuvent être décrits de manière manichéenne. Une multitude de tendances, de facettes et de communautés existent sur chaque réseau. Pourtant, lorsque la relation virtuelle se crée et prend la forme d’une relation que l’on jugerait réelle, alors les choses se compliquent. Une relation en ligne peut mener à une incroyable amitié entre deux personnes vivant chacune à l’autre bout du monde, comme elle peut tout aussi bien mener au harcèlement, à une relation toxique ou encore à une arnaque. La confiance ne peut jamais être totalement établie, ce qui fait que nous pouvons nous sentir dupés par les réseaux sociaux. Dès lors, décider de les utiliser, c’est accepter de jouer à la roulette russe.   

L’envie de plus d’authenticité sur les réseaux sociaux est un vrai paradoxe. En effet, l’utilisateur en quête d’authenticité trouvera dans le même swipe des conseils pour devenir  lui-même, aussi bien que des exemples de scénarisations fournis par les “influenceurs” et autres personnalités d’internet. Le paradoxe de l’authenticité est particulièrement visible sur le réseau social TikTok, considéré comme le réseau hype depuis le début de la pandémie en 2020. Les community managers des grandes marques, ceux des applications ou de plus petites entreprises se revendiquent humains avant tout. A ce titre, ils disent procrastiner, mais ne renoncent pas moins à leur quête de considération. Cette attitude bouscule les attendus, les idées de marketing. Prenons pour exemple le phénomène Duo Lingo sur l’application TikTok. Tout le monde a au moins déjà vu le hibou vert, emblème de cette application qui permet d’apprendre des langues étrangères de manière ludique. Le hibou fournit ainsi quantité de remarques ironiques pour se moquer des commentaires que les utilisateurs des réseaux laissent sous les vidéos. Le Community manager reprend ici tous les codes de la génération Z. Au menu, pas de chichi apparent, juste de l’authenticité et l’ambiguïté croissante sur le statut de celui qui poste les contenus : un professionnel qui a compris les codes de l’application ? Ou un utilisateur comme un autre qui fait appel à la sympathie ? Ces codes sont d’ailleurs repris par d’autres. On voit ainsi fleurir les :  “Likez ce TikTok pour que mon patron considère que je travaille bien….” 

Les marques l’ont désormais compris. Pour toucher les jeunes et en faire  des consommateurs, ou pour se donner une belle image, elles doivent miser sur l’authenticité. Le mot d’ordre est le suivant : donner l’impression que la marque est faite de personnes humaines auxquelles chacun peut s’identifier. Pour Duo Lingo, il est ainsi plus efficace de poster des commentaires rappelant aux utilisateurs de faire leur séance du jour, que de s’offrir quelques secondes de publicité à coup de millions de dollars au Super Bowl, vantant les mérites de leur application. 

Réalité

La transparence sur les plateformes s’est accrue avec des contenus qui ont gagné en visibilité, notamment les témoignages de certaines victimes du harcèlement numérique et des complexes infligés par les réseaux sociaux. Il faut ici éviter deux écueils. Le premier, le complotisme, consiste à dire que rien n’a changé. Le deuxième, la naïveté, consiste au contraire à dire que tout a changé, et que la transparence est désormais parfaite.  Quoiqu’il en soit, ce souci nouveau de transparence se traduit par l’ajout de filtres et de catégories pour signaler les publications. Instagram, un réseau social particulièrement critiqué car pointé comme étant à la source de nombreux complexes, a par exemple ajouté comme motif de signalement : contenu encourageant les TCA (troubles du comportement alimentaire). Cet ajout n’est pas anodin car il dénote la volonté du réseau social de prendre en compte les critiques et d’encourager plus de transparence. 

Le lancement de certaines applications comme BeReal est ainsi né de la volonté de donner à voir le quotidien en temps réel. Il provient également d’un ras-le-bol de la scénarisation sur les réseaux sociaux. Un quotidien qui ressemble à un film ne permet en aucun cas  de s’identifier à la personne qui le poste. Nous pouvons supposer que la volonté d’avoir des contenus qui nous ressemble a pu être la cause d’un rejet de certaines attitudes et donc le point de départ de la  création de nouveaux réseaux. Ceux-ci font le pari que l’honnêteté, le partage et, par eux, l’identification seront le vecteur de “vrais” liens.  Cependant, si cette application connaît aujourd’hui un succès grandissant, certaines limites sont tout de même à pointer du doigt. Il est ainsi possible de poster des “lates” (en retard), c’est-à-dire des photos après l’heure où se déclenche la notification. Certains utilisateurs considèrent qu’ils ne faisaient pas quelque chose d’assez intéressant pour le partager, et postent donc des photos où la mise en scène refait imperceptiblement surface, où qui proviennent du fond de leur galerie pour sélectionner le moment le plus intéressant de leur journée. Ces comportements n’ont pas tardé de voir fleurir dans leur sillage des parodies de l’application comme BeFake, c’est-à-dire une manière de créer un post BeReal mais avec des photos parcimonieusement choisies dans sa galerie. 

Dans la lignée de cette idée de recherche de liens, d’identification et de connexion aux autres, des producteurs norvégiens ont décidé de lancer un nouveau concept pour une websérie, depuis adaptée en France, aux Etats-Unis, en Allemagne, Italie et Belgique. Skam est ainsi une série “en direct”.  Les épisodes sont à suivre sur un site, et sur Youtube pour la version française, à des moments aléatoires qui correspondent à la temporalité de la série. Un extrait nommé “Lundi 8h15” raconte par exemple le lundi matin d’un personnage. Ces mini extraits, qui durent moins de 10 minutes à chaque fois, permettent de visionner une petite fenêtre de la vie du personnage comme si elle était vécue en même temps que la nôtre. Chaque épisode est néanmoins une compilation des extraits de la semaine. De plus, les personnages ont des comptes sur Instagram dont le contenu s’actualise au fil de l’histoire. Chaque story, chaque publication qui apparaît dans les épisodes est à retrouver sur les comptes des personnages. Celui qui suit la série a donc véritablement l’impression qu’il s’agit de personnes bien réelles et non d’une fiction. La reprise du concept dans cinq pays montre bien qu’il a été d’abord très apprécié par le public norvégien mais  qu’il a su ensuite correspondre à un public pourtant réputé difficile. Les lycéens et les jeunes peuvent ainsi s’identifier à la vie de leurs pairs et apprécier l’histoire à travers des figures mi-virtuelles mi-réelles, leur permettant de redécouvrir les relations aux autres.

Illustré par Constance Leterre-Robert

Eugénie Terrien

Eugénie Terrien

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2026).
Présidente de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2026).
KIP's President and regular contributor.