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Le Glossaire politique
Création originale de Paul Massoullié

Le Glossaire politique du XXIe siècle

La politique se paye de mots. Car son analyse comme son exercice sont une affaire de termes qui renvoient à des camps qu’on se garderait bien de définir à l’unisson. Il s’agit là d’un champ de bataille, une cartographie mystérieuse (parfois mystique) et l’on y évolue grâce à un curseur : celui-ci peut être subtil, précis et d’une teinte légère (ce sont là nos acrobates et grands intellectuels modérés adeptes du grand écart), ou bien il peut être grossier, brutal et de couleur vive (les extrémistes mais aussi le peuple, cette masse anonyme si puissante mais parfois si simpliste).

Faisons un petit safari (sans arme, ni violence, car comme disait de toute façon pendant la Révolution française Antoine Rivarol « on ne tire pas des coups de fusil aux idées »). Un petit tour de piste. Une visite subjective, parce que l’objectivité ennuie, mais surtout parce que c’est le principe même des termes qui vont suivre d’évacuer toute objectivité : ils sont tous chargés de connotations passionnelles. Car on ne donnera jamais à l’adversaire le privilège de la raison, il est plus judicieux de le renvoyer aux sentiments (à des vices si possible). Pour se caractériser soi-même par contraste envers l’autre, il serait aussi avisé d’utiliser des termes qui, s’ils reposent sur des convictions plutôt que sur des arguments, renvoient à des vertus. Mais à partir de quand la fidélité à la nation devient-elle une allégeance belliqueuse vis-à-vis des autres ? À partir de quand l’ouverture à la mixité devient-elle un principe d’action qui finit par ne voir en l’autre que son ethnie, son sexe, son âge, sa classe ? Le quant-à-soi est-il du racisme ? Le libéralisme est-il le capitalisme ? Les réactionnaires sont-ils des conservateurs ? Faut-il, comme le disait si bien Camus dans son discours de Suède, « empêcher que le monde ne se défasse » ou bien « changer le monde » ? Voyons-voir ce qu’il en est de ces termes si controversés mais pourtant si communs. La chasse est ouverte.

Conservateur

C’est presque une insulte en ces temps d’ouverture et de bienveillance envers chacun. Être conservateur, pourtant, ce n’est pas être réfractaire au changement, ce n’est pas vouloir que les traditions se maintiennent ad vitam æternam, ce n’est pas (que) voter Fillon, habiter Neuilly et être mécaniquement contre l’avortement. Un conservateur n’est pas réfractaire au changement. Ce sont les conservateurs français qui en premier lieu ont défendu Dreyfus, et nombre d’entre eux étaient contre la colonisation, ou la « civilisation des races inférieures » comme l’aurait dit le modèle de progressisme Jules Ferry. Si des tendances conservatistes existent en France ou ailleurs, plus ou moins radicales, le conservateur au sens large accepte le changement dès lors qu’il est nécessaire, il ne le glorifie pas pour lui-même. Pour lui, le « progrès » n’est pas une fin en soi. On pourrait définir le conservatisme comme « une marque de modestie face à l’histoire ».

Les progressistes et le Progrès

Pourquoi s’intéresser à ce terme ? Parce qu’il a subi une véritable transformation durant ces dernières décennies. Le Progrès est une avancée en avant. Mais qui distingue le devant de l’arrière ? Le Progrès est-il univoque ? Pour Camus, le démocrate est un homme modeste : il sait qu’il a besoin des autres pour déterminer l’orientation du changement, car il se sait insuffisant, incomplet, partiel. Le Progrès naît pour lui de la délibération, du débat, de la confrontation. Il est inconnu à l’avance. Mais cette vision du Progrès est aujourd’hui dépassée : il est désormais vu comme un cheminement rectiligne, c’est pourquoi ses apôtres, les progressistes, se prennent pour les mandataires d’une mission de la plus haute importance : « faire advenir le royaume de l’amour sur Terre » (toute ressemblance avec une certaine religion ne serait que fortuite). Ouverture, altruisme, pluralisme. Que de l’amour à donner, de l’éthique à (ré)inventer, des barrières à faire sauter, des normes à déstructurer, des marges à recentrer. De la bienveillance à foison, à part pour ceux qui seraient trop tentés, tel Orphée, de regarder en arrière. Pour les progressistes, la fin d’un monde n’est pas la fin du monde. La valeur du changement est dans le changement lui-même. Mais pourtant, quelque chose cloche dans ce royaume de l’amour universel que nous vendent ces religieux : ils croient avoir compris la leçon du XXème siècle, or celle-ci n’est pas, comme ils le pensent, que la nation, la tradition et les frontières sont démoniaques. Il s’agit surtout d’apprendre que l’humanité n’est pas une promesse (c’était le principe de l’aryen nazi), que l’homme n’est pas réformable à l’infini (c’était le projet d’un homme nouveau qui émerge des cendres de la lutte des classes). L’humanité n’est pas en devenir : nous en sommes les gardiens, les garants. D’où les valeurs de tempérance de la sagesse grecque qui refont aujourd’hui surface. Les progressistes devraient peut-être douter d’eux-mêmes : n’est-ce pas là la condition de toute sagesse ?

Facho

« Quel facho ! » peut-on lire sur les lèvres de nos amis à gauche de l’échiquier politique lorsque leur regard croise un pro-FN (pro-RN). Insulte ultime : K.O. debout. Pourtant, comme le souligne très justement le Larousse 2018, « facho » est l’équivalent familier de « fasciste ». Est-il vraiment nécessaire de rappeler que le fascisme est un système politique appuyé sur le totalitarisme et dont le but final est d’atteindre un idéal supérieur, presque mythologique, quitte à utiliser la force, la violence, le meurtre, et enfin le génocide ? Difficile donc de croire que le pauvre vieil homme perdu dans la campagne qui vote Front National (ou Rassemblement National ou que sais-je), et dont la seule forme de danger qu’il représente est de bouchonner une nationale avec son tracteur, soit très enclin à soutenir un tel régime. Dire à quelqu’un qui vote extrême-droite, aujourd’hui en 2018 principalement pour des raisons économiques, de souveraineté et d’identité, qu’il est un « facho », n’a pas beaucoup de sens historique. Par opposition, je doute que les communistes actuels se sentent proches des pogroms de l’ex-URSS…

Islamophobe

Selon une équation très simple, islamophobe = raciste, équation dérivable en islamophobe = raciste = facho. Or en décomposant, islamophobie = peur de l’islam. Est-ce raciste ? La réponse se trouve dans une autre question : une religion est-elle une race ? Avoir littéralement peur de l’islam ne revient pas à considérer que les musulmans représentent une race inférieure, et ne revient pas non plus à les détester tous. Au contraire, faire le rapprochement entre islamophobie et racisme revient à « raciser » un culte religieux, et ça, c’est RACISTE ! Être hostile envers une religion, la critiquer, en exprimer sa peur ou encore la moquer, sont des pratiques tout à fait autorisées au sein des lois de la République, un acquis pourtant hérité du XVIIIème siècle. Houellebecq avait en outre tout à fait le droit de déclarer que « La religion la plus con, c’est quand même l’islam ». Imaginez qu’il ait dit « la Vierge Marie, quelle sal*** », dirait-on qu’il est raciste envers les catholiques ? Pas certain que la Communauté chrétienne. soit une race à part entière. Enfin, quoique.

Les jeunes

Ces décérébrés, ces couillons béni-oui-oui les yeux rivés sur leurs écrans qui prennent de Gaulle pour un aéroport et Kim Kardashian pour un modèle de réussite. Tout est dit : la connexion perpétuelle s’associe à une sociologie ambiante qui ne voit dans la Culture qu’une imposture, dans le style qu’un formalisme à abattre, dans tout propos le reflet d’une classe sociale. « Mais d’où parles-tu camarade ? » était la première phrase que se jetaient dans l’amphi bondé nos soixante-huitards aujourd’hui vieillissants et séniles. Leur héritage a prospéré avec un retour sur investissement très élevé. S’ajoute à cela une psychologie (communément appelée « l’individualisme ») qui n’est plus marquée par la précédence du social, qui n’a de comptes à rendre à personne, d’où la montée des insatiables revendications privées dans la sphère publique, et le déclin du sens de la dette, ou le respect des anciens (valeurs qui ont structuré nos esprits pendant des millénaires). Ce n’est pas tout, essorons le terme jusqu’au bout : la jeunesse est un devoir. Celui d’être heureux, de s’éclater, de contester, de s’indigner. La jeunesse est une façon touristique d’habiter le monde : légèreté, fugacité (sauf si l’on va au spa), amusement et pas de prise de tête (à part si c’est pour choisir entre une glace au chocolat ou au café). Qui a l’âge de la jeunesse mais ose se soustraire à cet impératif est un raté, le verdict est sans appel, notamment parce que la jeunesse et la fête sont le totalitarisme du XXIème siècle (adieu Confucius).

La start-up nation

En théorie, il s’agit d’un revival amélioré et dépoussiéré du « doux commerce » de Montesquieu : on flatte ce qu’il reste de patriotisme (les restes de celui-ci iront au Stade de France) en la poussant dans la compétition internationale pour la course à l’innovation. « Esprit de conquête », « France victorieuse et fière » : tels sont les slogans qui sont les fondations de cette mouvance.

En pratique (en supposant bien évidemment que le terme de start-up nation ait été inventé pour désigner un réel « projet », et non pas seulement pour s’ajouter à la liste d’anglicismes qui font mine de vision pour la France), il faut faire droit à la critique selon laquelle la start-up nation précariserait de plus en plus : la grande corporation est une bureaucratie sécurisée, tandis que la start-up fonctionne grâce à une armée de stagiaires. Que voulons-nous ? Que le pays entier s’enivre du « goût de l’aventure », de l’envie de succès, d’un American Dream made in France, ou de sécurité ? Conclusion banale, la start-up nation (c’est-à-dire la « stagiaire-nation ») n’est qu’un slogan fait pour une minorité, et évidemment pas pour la nation. Le mieux qu’elle puisse faire sera de simplifier le Code du travail et le système d’imposition pour faciliter l’entreprenariat : cela ne veut pas dire qu’il y aura de « révolution des mentalités ».

La bien-pensance

Il s’agit là d’un terme qui cache des simplifications extrêmes. Si on était relativiste, et si l’on voulait mettre hors-jeu ce terme par le contre-exemple, on s’en tirerait en disant : « la droite traite la gauche de bien-pensante pour la disqualifier, tout comme la gauche traite la droite de facho pour ne pas avoir à l’écouter ». Bref, un dialogue de sourds. Après tout, la vérité est relative, et les termes politiques ne sont que des insultes creuses conçues pour faire résonner nos émotions entre elles. Mais attaquons-nous à ce terme sans s’occuper de son opposé sur l’échiquier politique. Comme l’écrivait Éric Zemmour dans Le Bûcher des vaniteux, il n’y aurait que deux protagonistes sur la scène politico-médiatico-philosophique, pour parler à sa façon : les bien-pensants, et moi (c’est-à-dire celui qui a raison). Magie du chiffre deux. Les bien-pensants se bercent d’illusions tandis que moi je vois la réalité comme elle est, sans voile. Tout est comme nous l’avons dit en introduction : Zemmour nie à l’adversaire toute raison, en se la gardant pour soi, et on le pousse dans le champ de l’émotion, c’est-à-dire de l’illusoire. Mais Zemmour a tort. La réalité est évidemment plus complexe et non réductible à ce schéma. Il y a les déracinés, les paresseux qui se complaisent dans le lit douillet du Bien et du Progrès univoques, il y a les racistes, les nostalgiques, les égalitaristes, ceux qui se désolent du dépouillement de la France, ceux qui voient dans la doxa antiraciste actuelle un nouveau racisme dans lequel l’Autre est encore une fois réductible à sa couleur de peau, ses origines (mais cette fois elles ne sont pas une excuse pour le mépriser, mais pour le glorifier). Il y a tout simplement des gens qui pensent différemment. Il y a aussi des gens qui ne pensent pas (les opinions étant du prêt-à-porter, ces derniers iront s’habiller chez les fachos comme chez les bien-pensants).

Mais, au lieu de noyer le poisson et en disant simplement que « la réalité est compliquée », on peut toutefois faire droit à l’intuition qui se cache derrière le terme de la bien-pensance. Cette intuition découle du déclin des idéologies, de leur remplacement par quelque chose de nouveau, de tout aussi stupide : l’idéologie croyait tout savoir, la bien-pensance ne veut rien savoir. Elle n’a que le cœur sur la main (et même dans la tête). Elle ne voit dans des guerres que des victimes, et non pas deux nations qui se battent. La violence militaire n’est pas pour elle un moyen de préserver l’intégrité de sa nation et de ses citoyens, elle est tout simplement un scandale. L’indignation est son crédo. La chasse au Mal et aux réactionnaires est son activité favorite. L’empire du Bien est sa finalité.

Illustration : Création originale de Paul Massoullié pour KIP.

Plume Anonyme

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