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Fight for Dignity

Est-il possible d’apprendre l’estime de soi grâce au sport ? C’est l’objectif que s’est fixé la triple championne du monde de karaté, Laurence Fischer, en créant l’association « Fight For Dignity ». Selon des recherches médicales et psychologiques, le sport est un moyen pour les femmes victimes de violences de se reconstruire à la suite du traumatisme vécu et de retrouver un semblant de confiance en elles. Cette aventure débute en 2017 en République Démocratique du Congo, via la fondation Panzi. Les femmes et jeunes filles victimes de viols de guerre y sont accueillies et soignées et, grâce à l’association de Laurence Fischer, elles peuvent pratiquer le karaté ; cela leur permet de se réapproprier leur corps et de surmonter les traumatismes qu’elles ont pu vivre.

Guérir l’esprit et guérir le corps

Suite à un traumatisme, les victimes ont souvent tendance à dissocier leur corps et leur esprit. Après avoir souffert de violences sexuelles, il est plus simple de se dire que le cauchemar vécu n’a été subi que par son corps, et que l’esprit reste indemne. Pourtant, le corps et l’esprit d’une personne forment un tout. Si le corps est blessé, l’esprit l’est également. Plus vite la victime s’en rendra compte, plus vite elle pourra guérir.

Cette dissociation du corps et de l’esprit facilite, dans un premier temps, la reconstruction de la victime. Le corps est souvent facile à guérir, il se remet toujours et les blessures causées par les violences finissent par disparaître avec le temps. Ainsi, la victime a le sentiment que si son corps est guéri, alors elle aussi est guérie. Pourtant, les blessures de l’esprit et de l’âme sont les plus profondes et les plus difficiles à soigner, et penser que son esprit n’est pas touché n’aidera pas la victime à aller mieux. Au contraire.

Une des premières étapes de la guérison des victimes de violences sexuelles est donc d’accepter que son esprit, a lui aussi été entaché par l’horreur vécue par son corps. Une fois cette étape passée, la victime pourra commencer à reconnecter son corps et son esprit pour en refaire une entité à part entière. Et cette reconnexion peut parfaitement se faire au travers du sport.

Reprendre le contrôle de son corps

Être victime de violences sexuelles, c’est éprouver un rapport difficile avec son corps. Dégoût, honte, haine. De multiples émotions négatives assaillent, tourmentent et harcèlent la victime. Elle a alors l’impression que son corps ne lui appartient plus, qu’elle est dépossédée d’une partie de sa personne. Le sport est donc un moyen de reprendre une forme de contrôle sur son corps, d’apprendre à le maîtriser, à s’en servir pour se dépenser. De la pratique d’un sport procède l’acceptation de l’existence même de son corps.

L’accompagnement psychologique et psychiatrique des victimes est essentiel à leur reconstruction et existe bel et bien, mais les dispositifs aidant les victimes à se réapproprier leur corps sont rares. Le sport permet aux victimes de redécouvrir leur corps et de relâcher la pression.

Canaliser sa colère

Outre les bienfaits multiples attribués au sport dans la lutte contre les symptômes dépressifs et contre les manifestations du stress post-traumatique, c’est aussi un excellent moyen d’évacuer les pensées sombres et les émotions négatives. Avez-vous déjà ressenti une colère si intense, si violente, si puissante, que vous ne pouviez l’évacuer qu’en hurlant ou en frappant de toutes vos forces contre un mur ? Une colère si forte qu’elle pourrait vous détruire si vous ne la sortez pas d’une manière ou d’une autre ? Ce sentiment est absolument destructeur pour les victimes. Souvent réduites au silence ou confrontées à une incompréhension ou à une culpabilisation excessive, elles ne peuvent évacuer leur colère et sombrent peu à peu, submergées par ce sentiment légitime qu’elles ne peuvent exprimer.

Là encore, le sport est salvateur. Les arts martiaux ou la boxe arrivent souvent dans les favoris des victimes pour évacuer leur colère, leur haine, leur rage, ainsi que toutes les autres émotions qui peuvent les submerger. En effet, en plus d’aider la victime à gagner en confiance en elle, enfiler des gants de boxe et se défouler sur un sac de frappe lui permet de se dépenser et d’extérioriser tous les sentiments qu’elle a enfouis au plus profond de son être.

Selon les psychologues et psychiatres, être capable de canaliser son énergie sur un sport est un premier signe de rémission. Cela signifie que la victime a une capacité de concentration suffisante pour pouvoir évacuer ses émotions, en particulier sa colère, d’une manière précise. Faire du sport est donc facteur de guérison.

De la résilience à l’empowerment

Le sentiment le plus abominable qu’une victime de violences sexuelles puisse ressentir est celui d’impuissance. Impuissance face à une situation qui lui échappe. Impuissance face à la violence de cette situation. Impuissance face à la peur qu’elle ressent.

Le sport s’apparente donc à un moyen de rompre ce sentiment d’impuissance, d’inverser la tendance et de reprendre le contrôle de son corps et de sa vie. Dans un premier temps, la victime développe ce qu’on appelle une capacité de « résilience ». C’est un phénomène psychologique qui consiste à surpasser un traumatisme en prenant conscience de son existence et en cessant de vivre à travers son prisme. La résilience est essentielle car c’est elle qui va permettre à la victime de traverser cet enfer et de passer outre son traumatisme. Mais la résilience seule ne suffit pas. Passé un certain stade, la victime a aussi besoin de porter un regard optimiste sur l’expérience dramatique qu’elle a vécue en regardant les points positifs qu’elle peut en tirer. Dans quelques années peut-être, son expérience lui permettra de sauver la vie de quelqu’un, ou de défendre une personne en ayant besoin. C’est ce que l’on peut qualifier « d’empowerment ». La victime se libère ainsi de son état de sujétion vis-à-vis de son agresseur et de son impuissance. Elle reprend le contrôle de sa vie, des décisions qu’elle prend et elle s’affranchit de ses émotions négatives et destructrices pour tirer quelque chose de positif de son vécu.

Pratiquer un sport permet de passer de l’étape de résilience à celle d’empowerment. Le sport est synonyme de contrôle, de puissance et de force. Il va donc à l’encontre de tous les sentiments ressentis par une victime de violences sexuelles. Il est donc temps de libérer la parole, d’aider les femmes à se réapproprier leur propre corps et de leur redonner le contrôle de leur vie.

Ensemble, combattons le silence, combattons la violence et combattons la souffrance.

Illustré par Maxence Delespaul

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Rédacteur de KIP