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Chronique d’un arbitre – Partie II : un difficile compromis

Se lancer dans l’arbitrage n’est pas de tout repos. A travers ces trois articles, je désire livrer quelques éléments de ma modeste expérience d’arbitre de basket-ball qui fut difficile, belle, mais surtout très enrichissante.

Nous avons tous déjà vu ces images où un arbitre de football se fait soudainement assaillir par de très nombreux joueurs alors qu’il vient de siffler un penalty ou de donner un carton rouge. C’est alors une véritable négociation qui commence. 

Dans certaines situations, peu importe ce que décide l’arbitre, il sera bruyamment contesté d’un côté ou de l’autre. Et il le sait pertinemment. Cela arrive notamment à la fin des matchs très serrés. A ce moment, une unique décision peut avoir des conséquences redoutables. 

Au-delà du processus même de décision, le rôle de l’arbitre devient alors un rôle de  communicant. La communication est sans doute un des éléments les plus importants pour un arbitre s’il désire maîtriser son sujet et voir la rencontre se dérouler dans le calme. 

Fermeté ou dialogue ? 

La première mission de l’arbitre est d’adopter une posture adéquate. « Ce qui compte n’est pas ce que tu siffles, mais la façon dont tu vends et défends ce coup de sifflet » m’a-t-on souvent expliqué. L’image que renvoie l’arbitre est absolument centrale dans l’appréciation que l’on peut se faire de sa prestation. Par exemple, il m’arrive régulièrement de siffler un peu en retard quand la prise de décision a nécessité plus de temps qu’à l’accoutumée. Dès lors, je m’expose systématiquement à des contestations, même quand la justesse de ce que j’ai sifflé ne fait aucun doute pour personne. Ce qu’on me reproche alors, c’est de ne pas être assez sûr de moi, d’avoir laissé transparaître une faiblesse, un possible doute dans mon jugement. L’arbitre doit donc faire preuve d’autorité et d’assurance au moment de prendre ses décisions. 

Mais l’arbitre est en relation avec des personnes et se doit de les tenir en considération. Il doit accepter le dialogue qui a lieu dans le respect mutuel et ne pas s’enfermer dans une posture de fermeté et d’autorité excessives. Cela ne fonctionne pas face à des personnes frustrées par des situations de jeu, et cela peut se révéler contre-productif. Les acteurs du match auraient alors l’impression d’être pris de haut, si l’on refuse d’entretenir avec eux un véritable dialogue. 

L’arbitre doit donc savoir être à l’écoute. Il doit entendre ce qu’ont à lui dire les parties prenantes du jeu. Il doit veiller à ce qu’une équipe n’ait pas l’impression d’être sans cesse sanctionnée plus durement que ses adversaires. Marco Verratti, un joueur du PSG  qui conteste très souvent les décisions prises par les arbitres, leur fait souvent le reproche suivant  : “ Ils ne veulent pas parler et discuter et ont une posture bien trop autoritaire. “

Un échange difficile

Pourtant, les dialogues ne sont pas toujours constructifs et ne permettent pas forcément d’apaiser les conflits. Certains joueurs tentent réellement de comprendre la décision qui a été prise, ce qui est utile. La plupart des arbitres acceptent alors sans problème d’expliciter les décisions sujettes à controverse et qui ne seraient pas claires pour les joueurs. Mais les échanges sont souvent très houleux. Beaucoup de personnes ne parlent aux arbitres que pour leur dire qu’ils se sont trompés et ne sont pas dans une posture propice au dialogue. Elles ne cherchent pas à entendre ce que l’arbitre a à leur dire. Cela s’explique d’ailleurs aisément : cela ne les arrange pas. Mieux vaut se persuader que, sans cette mauvaise décision, tout se serait bien mieux passé.

Alors oui, il y a des fois où le dialogue ne mène nulle part et se révèle totalement contre-productif. Pour dialoguer il faut être deux. Il faut que les arbitres et les joueurs fassent preuve de bonne volonté. Les arbitres doivent accepter que l’on remette en cause leurs décisions. Les joueurs doivent être prêts à écouter ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. 

Entre mauvaise foi et manipulation 

Si le dialogue est compliqué, c’est qu’il est très difficile pour un arbitre d’établir une relation de confiance avec les autres acteurs des matchs. Tout le monde sait que les décisions qu’il sera amené à prendre pourront avoir une importance absolument décisive sur les événements. S’il faut bien préciser que tout le monde n’y a pas recours, énormément de personnes mettent en œuvre toutes sortes de stratagèmes afin d’influencer ses décisions. 

Il y a par exemple des personnes qui sont au début du match très gentilles, agréables et qui offrent même à boire ou à manger. Pourtant, dès qu’une décision ne leur convient pas, elles deviennent absolument incontrôlables et perdent tout sens commun. Tout au long du match, elles soufflent le chaud et le froid, tantôt respectueuses et douces, tantôt ingérables. 

D’autres personnes font quant à elles preuve d’une mauvaise foi sans limite. Quand j’ai commencé à arbitrer, il m’était difficile de cerner ces personnes et surtout de me dire qu’elles pouvaient aller si loin dans la manipulation. Pourtant, au fil des années, j’ai appris à me défaire de tout scrupule et de tout sentiment pour traiter ce genre de situations. Il faut accepter que des joueurs soient prêts à tout pour gagner et qu’avoir une discussion rationnelle et apaisée avec eux est absolument impossible. C’est ainsi et je l’ai vécu, n’en déplaise aux idéalistes. 

C’est sur une véritable crête que se situe l’arbitre dans ses rapports avec les parties prenantes du match. Il doit osciller entre fermeté, dialogue, bienveillance mais aussi clairvoyance. Rompre cet équilibre, même par inadvertance, l’expose à des difficultés majeures. 

L’auto-évaluation comme nécessité 

Dans ce cadre, la seule chose stable sur laquelle l’arbitre peut s’appuyer est son jugement ainsi que celui de son collègue. Il ne peut se fier qu’à lui-même, tout étant conscient de ses imperfections. Les personnes autour de lui sont parfois dépourvues de toute objectivité, il n’y a qu’en lui et dans sa connaissance du jeu qu’il peut trouver quelque chose d’assuré. C’est aussi pour cela que les débuts des jeunes arbitres sont souvent difficiles. Ils ont peu d’expérience et éprouvent des difficultés à affirmer leur perception face aux opinions des autres acteurs du jeu très souvent plus âgés. 

Dans ce cadre, l’auto-évaluation est centrale. A l’école, les professeurs donnent des notes. Au travail, les responsables indiquent la direction. A la maison, les parents éduquent leurs enfants. Sur le terrain de basket, l’arbitre est seul. Les uniques alternatives à son jugement sont les opinions souvent discutables de joueurs jetés tête baissée dans la rencontre et désirant la remporter. Il doit bien sûr connaître aussi bien que possible les règles du jeu. Mais dès que le match commence, il est seul. Il est alors très difficile de résister lorsque le vent de la contestation se lève et que ses décisions posent question. Il lui faut alors être capable de tenir la barre et de garder le contrôle du match, car personne ne viendra au secours de l’arbitre. Il doit assumer cette lourde responsabilité, seul, jusqu’au bout. 

Illustré par Maxence Delespaul

Eliott Perrot

Eliott Perrot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Member of KIP and regular contributor.