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Français, Anglais: frenemies forever ?

Pourquoi détestons-nous les Anglais? Et pourquoi nous le rendent-ils si bien? On qualifie souvent la France et le Royaume-Uni de “meilleurs ennemis” ou pour employer le terme consacré outre-manche de “frenemies”, néologisme issu du mélange des mots friends et ennemies. Et alors que Rishi Sunak, le nouveau Prime Minister, successeur de la conservatrice Liz Truss, et Emmanuel Macron se réunissaient à Paris, le Vendredi 10 mars, pour calmer le jeu après le sulfureux mandat de BoJo (Boris Johnson), il est l’heure de revenir sur la longue, très longue relation qui lie deux voisins si proches, et pourtant si différents, qui adorent se haïr, et détestent s’aimer.

La perfide Albion: ennemi de toujours

Incontournable dans les livres d’Histoire, la Guerre de 100 ans – qui aura finalement duré 116 ans – marque probablement le début d’une longue histoire de “je t’aime, moi non plus” entre les deux pays avec de multiples rebondissements. 

Mêlant intrigues dynastiques, revendications territoriales, lutte d’influence et complots en tous genres dignes d’une série Netflix, la guerre se soldera par la victoire de la France. Les Anglais sont chassés, d’aucuns diraient “boutés” hors de France, après le sursaut national impulsé par Jeanne d’Arc. La guerre prend fin en 1453 après la victoire éclatante des Français à Castillon – situé dans l’actuelle Nouvelle-Aquitaine – et la paix sera tardivement signée, en 1475. Mais les tensions ne disparaissent pas pour autant et très vite, les deux pays vont être de nouveau appelés à s’affronter, plus ou moins directement. 

Les deux principales puissances européennes s’affrontent, surtout sur le continent, de manière moins frontale que pendant la Guerre de 100 ans. En Italie, en Espagne ou encore aux Pays-Bas, les confrontations sont multiples. Il n’est pas rare que l’un se mêle dès lors que l’autre est impliqué, et tous les prétextes sont bons. La vengeance en entraînant une autre, c’est un conflit sans fin qui semble rythmer la relation de ces deux voisins. 

Autre étape majeure de leur relation, France et Angleterre vont de nouveau se faire face pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763). Alors que les deux pays ont bâti de vastes empires tout au long du XVIIe/XVIIIe siècle, avec des colonies dispersées partout sur le globe, l’Angleterre envie les possessions de la France en Amérique du Nord, plus étendues et riches que les siennes mais malheureusement beaucoup moins peuplées. Cette fois, la “perfide Albion” – surnom donné par les Français à leur voisin – s’impose privant la France de son empire en Amérique. D’où probablement le fait qu’on ne parle aujourd’hui que l’anglais aux Etats-Unis et dans la majeure partie du Canada. 

En représailles, la France soutiendra activement l’indépendance des treize colonies britanniques.

Après la Révolution française qui secoue l’Europe en 1789, l’Angleterre va tout faire pour renverser la République nouvellement formée en France et rétablir une monarchie chez ce turbulent voisin. Deux coalitions verront le jour, avec entre autres l’Autriche et la Prusse. En vain, cependant, puisque force est de constater que la République a non seulement survécu, mais qu’elle s’est en plus renforcée. On peut sûrement remercier nos voisins Anglais pour y avoir activement contribué. Rien de tel qu’un ennemi commun. 

Le dernier chapitre de cette guerre sans fin est probablement celui que l’Angleterre retiendra : Waterloo ou la défaite de l’Aigle français. S’il y a une chose dont Napoléon rêvait, c’était bien d’envahir l’Angleterre réputée inaccessible. Le plan était prêt, l’armée massée au Nord également mais le désastre de Trafalgar en 1805 – une partie significative de la flotte française fut coulée par Nelson – aura raison des velléités impériales. Napoléon renoncera à envahir l’île et chutera dix ans après, en 1815, à Waterloo, face à un Wellington dont le nom sera quasi-sanctifié par ses pairs. 

Si l’on s’arrêtait là, l’histoire ne retiendrait que l’opposition systématique et zélée que les deux pays ont entretenu. Leur relation ne serait dès lors plus qu’une haine séculaire qui reviendrait de manière cyclique se glisser dans les échanges bilatéraux. Mais cela reviendrait à omettre un pan entier de l’histoire qui a fait de la France et de l’Angleterre des alliés solides, presque des amis. 

La France et l’Angleterre, deux soeurs au défi du XXème siècle

Si l’histoire les a souvent opposées, elle a aussi fait de la France et de l’Angleterre des alliés. Souvent confrontées aux mêmes problèmes et aux mêmes menaces, les deux pays n’ont pas hésité à mettre leurs différends de côté pour les affronter. 

Après l’Entente cordiale signée en 1904, la Première Guerre mondiale est probablement l’exemple le plus marquant de l’entente profonde qui existe entre ces nations sœurs en dépit de leurs désaccords. Face aux empires centraux désireux de conquérir l’Europe, la France et la Grande-Bretagne décident de faire barrage en créant une “Triple Entente” avec la Russie. 

Combattant côte à côte lors de batailles passées à la postérité comme celle de la Marne (1914) ou la boucherie de la Somme (1916), chaque pays va perdre plus d’un million d’hommes pour protéger la liberté et la démocratie. Jamais dans l’histoire un pays, l’Angleterre, n’a sacrifié autant d’hommes pour en aider un autre, la France. C’est probablement parce que l’Angleterre et la France se soutiennent dans les moments difficiles que l’on peut dire d’elles qu’elles sont des nations amies. Entre amis on se dispute, on se bat et on se réconcilie, on s’entraide et on se soutient. 

Sorties exsangues de la Grande Guerre, les deux nations vont de nouveau être appelées à combattre ensemble lors de la Seconde Guerre mondiale. Certains diront que l’Angleterre a cette fois abandonné la France, préférant se battre seule face à la barbarie nazie ; d’autres soutiendront que la France de Pétain a abandonné sa voisine en signant l’armistice. Mais l’on retiendra de l’histoire une collaboration de chaque instant entre un officier français, De Gaulle, et un premier ministre britannique, Churchill, qui auront incarné la lumière et le salut de leurs pays. 

Français et Britanniques comme chien et chat

La relation franco-britannique est donc avant tout fondée sur des liens historiques profonds. Un passé commun lourd de sens et de leçons. Mais ce sont aussi deux peuples différents et pourtant similaires qui aiment parler de l’autre, en bien comme en mal. 

Demandez aux Français : les Britanniques sont nonchalants, résignés, excessivement attachés aux traditions. Comment faire comprendre la vénération d’une famille royale que les Français ont fait décapiter deux siècles plus tôt ?

Demandez aux Anglais : les Français sont râleurs voire grossiers, individualistes, rusés à l’excès et surtout grévistes dans l’âme !

Mais cela n’empêche pas les premiers d’admirer l’esprit d’équipe et la résilience des seconds, ni les seconds d’admirer la culture et l’esprit critique des premiers. C’est ce va-et-vient incessant entre admiration et critique qui fait la complexité – pour ne pas dire la beauté – de la relation franco-britannique. 

Pas étonnant que la moindre occasion de battre ou faire mieux que l’adversaire soit suivie de près dans les deux pays. Qu’il s’agisse de compétitions sportives (Tournoi des Six Nations, Jeux Olympiques), d’expositions culturelles, de réussites économiques : tout est prétexte à faire mieux que son voisin (et à le dire !). Il y a d’autant plus d’enjeux que les deux pays sont extrêmement similaires et donc très facilement comparables : histoire pluriséculaire, anciens empires coloniaux, même population (67 millions d’habitants), même position géographique (Europe de l’Ouest), même PIB… Et enfin et surtout mêmes défis : changement climatique, défense et sécurité, sentiment de déclin géopolitique, pandémie, menace économique chinoise… 

Relation mouvementée

Le Brexit survenu en 2016 a évidemment mis en lumière les points de désaccords plus que les points de convergence entre la France et le Royaume-Uni. On se souvient de la surenchère liée à la question de la pêche brandie comme l’étendard de la liberté. Les autorités britanniques ont menacé de déployer la Royal Navy pour empêcher les bateaux français de venir pêcher dans leurs eaux – en vertu des règles européennes. Et les autorités françaises de répondre qu’il serait possible de couper l’électricité aux îles anglo-normandes si un accord n’était pas trouvé. 

Tout aussi tendue est la question de l’immigration, véritable pomme de discorde entre les deux voisins. Chacun accuse l’autre d’être responsable de tous ses maux en la matière. Boris Johnson a su à coup sûr utiliser la Canning’s law qui veut que “when in doubt, blame the French” pour renforcer sa base électorale qui s’éffritait après les scandales à répétition qualifiés a posteriori de “Partygate”. 

Pis encore, l’alliance militaire AUKUS conclue en septembre 2021 entre le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l’Australie a été perçue par la France comme un coup de poignard dans le dos. Il faut dire qu’elle perdait par la même occasion un contrat de plusieurs millions d’euros pour la livraison de sous-marins à l’Australie. La confiance s’est gravement érodée entre les deux alliés. En France, le mot trahison est revenu abondamment dans les médias pour caractériser la conduite de ceux qu’elle considère comme ses proches alliés. 

Le temps pour l’amour plus que la haine

Toutefois, depuis l’arrivée au pouvoir de Rishi Sunak le 25 octobre 2022 mais aussi depuis la mort de la reine Elizabeth II survenue peu avant, le temps de l’apaisement est venu ou du moins c’est ce que les deux nations espèrent. Nombreux sont ceux évoquant la “bromance” nouvelle entre le premier ministre britannique et le Président de la République, tous les deux jeunes et ambitieux pour l’avenir de leur pays. 

D’autant que la guerre en Ukraine a rendu leur coopération indispensable pour la stabilité du continent européen. On l’a dit, les deux nations savent travailler ensemble pour surmonter les épreuves difficiles. Nul doute que les égoïsmes nationaux sauront une nouvelle fois se mettre en retrait pour perpétuer la coopération et l’alliance fructueuses nées de “l’Entente cordiale” il y a plus d’un siècle. 

Ainsi, malgré tout ce qui les oppose, la France et l’Angleterre sont faites pour avancer ensemble, main dans la main. Trop de points communs, de visions communes, d’histoire entremêlée pour s’éviter ou s’ignorer. Combien de Français installés à Londres ? Combien de Britanniques amoureux des campagnes françaises ? Combien de familles franco-britanniques mêlant deux cultures qui sont sœurs ? 

Et De Gaulle de conclure: “on s’est aperçu qu’il n’y avait pas de montagnes entre l’Angleterre et la France, il y a seulement un canal.” 

Illustré par Mathilde Perron

Lucas Desages

Lucas Desages

Étudiant français en Master in Management (Promotion 2026).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management (Class of 2026).
Member of KIP and regular contributor.