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Entretien avec M. Aurélien Le Coq et Mme Emma Fourreau, co-animateurs des Jeunes Insoumis.es

Dans la série des jeunes engagés en politique, les Insoumis apparaissent comme un modèle à suivre en matière d’organisation de jeunesse. En effet, les Jeunes Insoumis.es, co-animés par M. Aurélien Le Coq et Mme Emma Fourreau, interrogés par KIP, exercent un rôle de premier plan dans la campagne présidentielle de leur candidat, M. Jean-Luc Mélenchon. L’occasion d’en savoir plus sur cette organisation politique singulière et sur le programme de l’Union populaire intitulé L’avenir en commun. Grâce à KIP, pas besoin de débourser les 3 € nécessaires à l’acquisition de l’opuscule de M. Mélenchon pour se faire une idée sur le programme du premier Insoumis de France !

1/ Un engagement singulier dans une campagne difficile pour la gauche 

Maxence Delespaul : Pouvez-vous revenir brièvement sur votre parcours politique et sur votre rôle dans la campagne de M. Mélenchon ?

Aurélien Le Coq : J’ai 25 ans et suis étudiant à Lille. Je travaille à la campagne de M. Mélenchon depuis un an et demi, avec Emma [Fourreau, ndlr]. Nous travaillons au pôle des groupes d’action, qui coordonne l’ensemble des groupes, partout dans le pays. Nous sommes par ailleurs tous les deux co-animateurs des Jeunes Insoumis.es. Nous nous occupons donc spécifiquement de l’animation des groupes de jeunes, de trouver des idées pour que les jeunes fassent campagne, et de présenter le programme à destination des jeunes. 

Emma Fourreau : Quant à moi, j’ai 22 ans et je suis étudiante à Caen. Je suis donc aussi au pôle des groupes d’action et co-animatrice des Jeunes Insoumis.es. Cela consiste à dynamiser la campagne auprès des groupes d’action des jeunes, pour assurer une présence, notamment, au sein des universités et des lycées. 

Gabrielle Pichon : Certains affirment que M. Mélenchon ne s’est pas renouvelé depuis 2017, voire qu’il s’est forgé un personnage caricatural. Qu’en pensez-vous ? Comment quitter cette image ?

Emma Fourreau : Au niveau du programme, il est normal que nous ne nous soyons pas renouvelés. Nous gardons les mêmes idées, évidemment en réactualisant le programme au vu du quinquennat de M. Macron. Nous voulons donc revenir sur un certain nombre de lois, car le Président a aggravé la situation sociale en cinq ans. Toutefois, il serait insensé de changer notre programme tous les cinq ans, et M. Mélenchon ne va pas non plus changer de personnalité d’une année à l’autre. Par ailleurs, son image est très caricaturée dans les médias : ils gardent et diffusent en boucles les rares séquences où il décide de hausser la voix et passent sous silence les débats à l’Assemblée nationale, où il garde son calme tandis que les députés de la majorité rient de lui. Il n’y a pas plus respectueux de nos institutions et de notre démocratie que Jean-Luc Mélenchon, même s’il entend changer de République. Beaucoup de gens ont donc une image fantasmée de M. Mélenchon. Bien sûr, certaines prises de position l’amènent à hausser la voix, car il porte une critique profonde du système actuel, qui cautionne la persistance de dix millions de pauvre dans le pays. Nous voulons transmettre la colère populaire qui existe, que nous entendons dans certains quartiers populaires. Nos concitoyens sont en colère, certains ont les larmes aux yeux : M. Mélenchon ne va pas débiter cette colère comme un robot sur les plateaux. La posture de M. Mélenchon fait plaisir à cette population en colère, car il tient tête et est ferme sur ses propositions. Cela ne plaît pas à certains mais cela plaît à d’autres. 

Julien Vacherot : M. Jean-Luc Mélenchon a toujours refusé une éventuelle union de la gauche, notamment à travers la Primaire populaire. Alors que la gauche semble péricliter aujourd’hui dans les sondages, s’unir n’est-ce pas la meilleure solution ?

Aurélien Le Coq : Pour être honnête, nous avons essayé de faire l’union pendant les élections régionales. Dans les Hauts de France, toutes les forces de gauche se sont alliées et le score a été ridicule : moins de 20 % des suffrages. Nous ne croyons pas que ce soit par l’alliance de partis politique que nous allons intéresser les gens. Si nous signons une alliance avec le Parti socialiste, une partie de notre électorat, qui s’est sentie trahie par le quinquennat Hollande, ne votera pas. Ainsi, en unissant les votes Jean-Luc Mélenchon, à 10 %, et les votes Anne Hidalgo, à 3 %, cela ne fait pas forcément 13 %. En alliance politique, dix plus trois peuvent faire douze comme neuf. Ce n’est pas l’union artificielle qui va sauver les choses. Pas de division superflue mais pas d’union artificielle non plus, telle est notre conduite. Car une campagne, avant d’être une addition de voix, constitue un débat de fond, où chacun doit pouvoir poser son programme, ses arguments : c’est le moment de la confrontation des idées, et nous ne pouvons pas le brader ni abandonner nos convictions au profit d’une union. C’est la force de M. Mélenchon, qui a une grande cohérence dans son discours : nous ne voulons pas renoncer à la retraite à 60 ans, ni à l’Assemblée constituante. C’est ce qui a rassemblé sept millions de voix en 2017. 

Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec votre idée de déclin de la gauche : je pense que nous pouvons arriver au second tour et que nous pouvons remporter cette élection. En effet, en prenant l’ensemble des sondages, nous sommes entre 10 et 13 % des intentions de vote. Il s’agit de la fourchette dans laquelle nous étions au même moment en 2017, ce qui nous place aujourd’hui en tête de la gauche, avec une campagne qui, à mon sens, est plus puissante qu’en 2017. Nous avons une force sur le terrain, une force médiatique et politique plus importantes. Nous sommes forts de 23 parlementaires : 17 à l’Assemblée nationale et 6 députés européens, que nous n’avions pas avant l’élection de 2017. Ensuite, notre plan pour arriver au second tour est simple. Aujourd’hui, beaucoup d’électeurs ne s’intéressent pas à la campagne présidentielle. L’abstention est absolument démesurée : plus de 50 % aux européennes. Notre pari est de mobiliser les gens qui, aujourd’hui, ne s’intéressent pas et ne comptent pas aller voter. Ce ne sont donc plus des calculs politiciens : nous cherchons des voix qui viennent d’ailleurs, qui n’apparaissent pas aujourd’hui dans les sondages. Ces abstentionnistes, sociologiquement, proviennent plutôt des quartiers populaires, sont plutôt précaires : lorsqu’ils émettent une intention de vote, la proportion est plus élevée pour nous. Dans cette partie de l’électorat qui arrive, M. Mélenchon pourrait être aux alentours de 30 % ou 40 %, ce qui peut faire augmenter notre score sur le plan national. C’est ce qui s’est passé en 2017 : l’arrivée des abstentionnistes conjuguée à une bonne campagne peuvent créer une dynamique qui nous fera monter dans les dernières semaines.

Maxence Delespaul : À ce propos, que pensez-vous de l’abstentionnisme chez les jeunes ? Que mettez-vous en place pour lutter contre cette tendance ?

Emma Fourreau : Avant le problème de l’abstention, il y a un problème de mal-inscription sur les listes électorales, en particulier chez les jeunes, qui changent souvent de ville pour leurs études et qui se retrouvent en impossibilité de voter au plus proche de chez eux. La première des choses est donc de communiquer sur cette inscription sur les listes électorales, avant le 4 mars, date limite d’inscription. Ensuite, il y a le gros problème de l’abstention. J’entends souvent dire que les jeunes ne s’intéressent pas à la politique, ce qui est complètement faux. Les jeunes sont en effet portés sur d’autres moyens d’action, notamment les grandes marches pour le climat, ou les mobilisations pour la cause féministe. Mais il est vrai que cela ne se traduit pas forcément par des votes. Malheureusement, les plus riches et les anciens vont aller voter : il faut donc que tous les jeunes aillent voter, même si leur parole est moins relayée dans les médias, pour influer sur les orientations futures du pays. Pour changer les choses et élire un candidat qui, au contraire de M. Macron, a un vrai programme pour la jeunesse, il faut se déplacer aux urnes. Nous serons les premiers touchés par le dérèglement climatique donc nous devons agir. Pour ce faire, nous mettons en place des méthodes traditionnelles de mobilisation, comme le porte-à-porte, pour montrer aux gens que la politique ne saurait se réduire à des prises de parole sur les plateaux de télévision, que les pouvoirs publics ont des effets concrets sur leur vie. Par exemple, pour améliorer le système des Crous, il faut remporter l’élection. La politique est partout dans notre quotidien : même si les gens ne s’intéressent pas à la politique, ils vont être directement touchés par les pouvoirs politiques. Autant qu’ils soient touchés d’une manière qui les sied. Le vote est un moyen de prendre le pouvoir sur nos vies, en particulier lors du scrutin présidentiel, même si nous déplorons la prééminence de ce scrutin dans la vie démocratique. Nous prônons, à travers la sixième République, une implication populaire plus forte, notamment des jeunes, qui ont envie de s’investir mais qui sentent que les alternances ne s’accompagnent pas d’alternatives. Nous mettons en place des leviers pour atténuer ce sentiment, comme la révocation des élus. Si M. Mélenchon ne respecte pas son programme, il pourra être révoqué. C’est un moyen de contrôle des élus. Nous allons donc voir les jeunes partout : sur les campus, dans les cités universitaires. Nous avons des tracts dédiés, qui intéressent les questions de précarité étudiante. Nous avons une mesure phare : 1 063 € par mois par étudiant.e et par lycéen.ne professionnel.le. Il est très compliqué de travailler et en même temps se consacrer à ses études. Aujourd’hui, un jeune sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, ce qui n’est pas normal. C’est pour cela que nous proposons des mesures en faveur de la jeunesse et qui sont soutenues par la jeunesse, qui parlent aux jeunes. Il n’est donc pas inutile de voter, c’est important. 

2/ Un programme radical et progressiste 

Maxence Delespaul : Pourquoi vouloir changer de régime par l’imposition d’une sixième République ? Quelles en seraient les bases et les singularités ?

Aurélien Le Coq : Le principe de cette nouvelle République est qu’elle doit être définie par les Français.es. Nous considérons que la cinquième République permet la démocratie seulement une fois tous les cinq ans, démocratie par ailleurs biaisée par l’absence totale de représentation proportionnelle. Les gens ne se sentent pas écoutés, se retrouve dans un second tour où une grande partie des sensibilités n’est plus reconnue. Ce fut le cas du second tour Macron-Le Pen en 2017 : beaucoup de gens ont voté par dépit et ne se sentent pas représentés. Il en va de même pour les élections législatives. Ensuite, il y a un problème de fonctionnement républicain : la cinquième République est synonyme d’ultracentralisation des pouvoirs. Le Président décide seul, ce qui exclut même, avec cette vaste majorité présidentielle, le rôle de débat et de contrepouvoir exercé normalement par le Parlement. Il n’y a plus, depuis cinq ans, de débat démocratique. Le gouvernement de la République en marche a décidé de décider de tout, tout seul, dans un mouvement autoritaire. Nous nous sommes retrouvés dans des situations ubuesques à l’Assemblée nationale, où tout amendement proposé par un député de la France Insoumise était rejeté en bloc par l’ensemble des députés de la majorité, pour parfois proposer le même amendement deux jours plus tard. Notre système marche sur la tête parce que le contrôle du gouvernement n’existe plus. Nous avons vu comment les commissions d’enquête parlementaires ont été verrouillées par le pouvoir. Les Français sont donc complètement tenus à l’écart des décisions.

Nous proposons donc de passer à une sixième République, pas seulement en imposant une constitution toute faite aux Français. Certes, nous avons des idées marquées, comme la proportionnelle ou le référendum révocatoire, mais le plus important est que cette nouvelle République passe par une Assemblée constituante. Si M. Mélenchon gagne, une nouvelle Assemblée sera désignée, élue, et qui représentera le peuple français, pour redéfinir les règles de notre démocratie. L’idée serait que cette Assemblée constituante travaille pendant un temps long, pour faire vivre le débat autour des bonnes règles de fonctionnement, en rencontrant des associations, en auditionnant, en rencontrant les Français dans le cadre de déplacements, etc. Cela a pour nous un sens profond : rassembler les Français. Aujourd’hui, les politiques divisent et certains représentants de l’Etat, comme le préfet Lallemand, considèrent qu’il existe différents « camps » dans la population. La société est divisée ; la question de l’identité est toujours sur la table. Nous proposons de prendre la question de l’identité à bras le corps : l’identité française est pour nous la République, soit un pacte politique à passer entre nous. Si certains considèrent qu’il y a une crise identitaire dans le pays, nous devons redéfinir tous ensemble l’identité française en repassant collectivement un pacte politique via une constituante, pour redéfinir une constituante et se donner des droits. Nous prônons un droit à l’avortement, au logement, une règle verte. 

La sixième République, plus qu’une simple constitution, constitue donc une réconciliation des Français avec la politique, leurs institutions, et avec eux-mêmes pour former à nouveau un corps politique uni.

Julien Vacherot : M. Mélenchon a une proposition phare : faire porter aux classes les plus aisées une plus forte pression par l’impôt et les droits à l’héritage. Ne craignez-pas un exode des grandes fortunes hors de France, ce qui serait contreproductif voire nuisible pour l’économie française ?

Emma Fourreau : Ils ne pourront pas fuir puisque nous allons mettre en place l’impôt universel : peu importe leur pays de résidence, ils paieront la différence entre leurs impôts locaux et les impôts qu’ils auraient payé en restant en France. Ensuite, nous parions sur le fait que tous les riches ne sont pas antirépublicains et qu’ils consentiront à l’impôt, en considérant que, proportionnellement, ils contribuent beaucoup moins que les classes populaires. Peut-être que certains vont partir, mais nous pensons que la plupart vont rester, d’autant que cet impôt servira à financer les services publics. Nous ne nous faisons pas trop d’illusions : c’est pour cela que nous comptons sur l’impôt universel. Par ailleurs, ils ne sont pas indispensables au pays : tous les travailleurs contribuent beaucoup plus à la santé de notre pays.

Aurélien Le Coq : Certains ont peur de ce qui pourrait arriver si M. Mélenchon mettait en place son programme, mais les mêmes considèrent que l’impôt est trop élevé et que la France n’est déjà pas assez attractive, qu’il est une bonne chose d’avoir supprimé l’ISF. Or, lorsque l’ISF a été mis en place, seuls 0,2 % des Français assujettis à cet impôt ont fui. C’est donc un phénomène marginal, pas nécessairement automatique, même si nous devons le combattre par la loi. La plupart des Français fortunés travaillent en France et restent attachés à leur pays : ce n’est parce que les règles changent et qu’ils pourront gagner un peu moins d’argent qu’ils partiront. L’exode fiscal est déjà un vrai sujet aujourd’hui : on l’estime entre 50 et 100 Mrds € par an. Cet argent part déjà et nous devons le récupérer. De toute manière, ces exilés ne reviendront pas si on baisse les impôts. Si on décide que le pays doit être compétitif par rapport aux autres, alors il faut détruire tous les acquis et les services publics qui existent en France ; sinon, nous ne serons jamais aussi compétitifs que les paradis fiscaux, pays à la démographie faible, qui n’ont pas besoin d’autant de créations d’emplois. Notre modèle n’est pas le même, et nous ne pourrons jamais nous aligner sur ces pays. Ce n’est pas un projet recevable pour la France. Il faut réfléchir à un système qui fonctionne différemment. 

Gabrielle Pichon : M. Mélenchon souhaite renégocier un certain nombre de traités européens, voire s’en retirer. Au-delà des difficultés juridiques et législatives évidentes qu’implique cette décision, ne pensez-vous pas que les avantages apportés par ces mesures risquent d’être inférieurs aux dommages qu’elles pourraient causer, en termes d’image et d’isolement vis-à-vis de notre étranger proche ?

Emma Fourreau : Nous défendons un programme et voulons l’appliquer quoi qu’il arrive. Si des règles européennes font obstacle à l’application de ce programme, nous y désobéirons ou utiliserons le principe de l’opting out [principe qui permet à certains pays européens de ne pas appliquer, unilatéralement, certains traités et approfondissements de l’Union européenne, ndlr] déjà mobilisé par certains pays sans conséquences pour leur intégration à l’Union. Si nous nous faisons élire sur un programme, il est normal de le respecter. Ensuite, par exemple, la règle du protectionnisme solidaire que nous proposons rentrerait en contradiction avec les traités : nous pensons que les bénéfices de cette mesure seraient plus importants que ses conséquences potentielles. De toute manière, nous ne sommes pas isolés : plusieurs pays, dont l’Espagne, aspirent à transgresser certaines règles de l’Union européenne. L’idée n’est pas de s’isoler au sein de l’Union européenne, mais de montrer qu’une autre voie est possible, en dehors des règles des traités européens. 

Aurélien Le Coq : Il faut comprendre que le droit n’existe pas en géopolitique et en relations internationales. Qui, aujourd’hui, respecte le droit international ? Au sein même de l’Union européenne, tout le monde ne respecte pas toutes les règles. Je pense notamment à la Hongrie et la Pologne. Les Anglais ont passé des années à utiliser l’opting out. Même au niveau international, c’est un combat de faire respecter les accords de paix et autres conventions internationales. Dans les faits, il n’y a aucune force pour faire respecter le droit international ou européen. Le droit international n’est que le résultat d’un rapport de forces, de négociations entre différents pays, mais ce qui est écrit sur le papier ne vaut plus lorsque le rapport de force change. Si, demain, la France désobéit et décide de fonctionner différemment, les règles européennes ne pourront pas l’arrêter. Si des sanctions financières sont décidées, la France sera libre de ne pas les payer. Par ailleurs, des sanctions économiques à la hauteur de celles imposées à la Grèce ne pourront pas être prises à l’encontre de la France, qui est la deuxième économie européenne. En pénalisant lourdement la France, l’Europe se met tout entière dans une situation économique difficile. Ainsi, si nous sommes élus, nous appliquerons notre programme quoi qu’il arrive, et nous resterons ouverts à la négociation pour trouver un terrain d’entente, sans jamais rogner sur notre programme. 

Gabrielle Pichon : Ne craignez-vous pas justement que le fait que la France elle-même désobéit à ces traités soit la porte ouverte à de plus amples dérives venant de nos voisins, notamment hongrois et polonais ?

Aurélien Le Coq : Nous proposons un nouveau monde de coopération : nous proposons une coopération entre les peuples tirée vers le haut. Nous ne sommes pas en désaccord avec les idées, par exemple, de fiscalité européenne. Mais ce ne doit pas être un prétexte pour tirer la fiscalité ou les salaires vers le bas. Ensuite, si nous voulons régler la question épineuse du rapport des Français à l’Union européenne, il faut que les Français se sentent respectés dans leurs décisions. Ce n’est pas en contraignant les peuples que l’on va réussir à avancer. Nous avons intérêt à une coopération internationale qui conserve la souveraineté des Etats. 

Julien Vacherot : Sur C8, dans l’émission de Cyril Hanouna, M. Mélenchon a eu une altercation animée avec un représentant des forces de l’ordre. Que reproche-t-il exactement aux forces de l’ordre ? Comment compte-t-il réformer cette institution ?

Emma Fourreau : Nous partons d’un constat : la violence exercée par les forces de l’ordre dans les quartiers populaires et à l’encontre du mouvement des gilets jaunes a choqué les Français, mais n’a pas été sanctionnée par la justice. Nous ne voulons pas jeter l’opprobre sur les représentants des forces de l’ordre, qui ne font qu’obéir à des ordres. Nous devons donc tout déconstruire. Nous voulons allonger les temps de formation des forces de l’ordre. Il y a par ailleurs un gros problème de réception des plaintes enregistrées par la police, comme l’a montré l’incident consécutif à la plainte d’une femme pour violences conjugales, qui a défrayé récemment la chronique. Certaines questions posées par des policiers lors d’enregistrements de plaintes ne doivent pas l’être. Cela est le signe qu’il faut réformer toute l’institution, allonger les formations et faire en sorte que les responsables d’abus soient punis. Les forces de police ont à l’origine un rôle de protection de la population, alors qu’on a de plus en plus l’impression qu’elles ne font que protéger l’ordre établi, en l’occurrence par le Président de la République, qui préfère réprimer les manifestants plutôt que les laisser exprimer leur opinion. C’est pour ces raisons que nous sommes favorables à une police de proximité, bienveillante et protectrice, pour faire en sorte de réconcilier les policiers et la population, pour assurer la paix et le calme dans le pays. Nous proposons de rétablir l’ordre, mais pas de manière violente. 

Aurélien Le Coq : Ce n’est pas M. Mélenchon qui crée l’animosité contre la police. Il y a en France une animosité ambiante contre la police, qui n’est pas anodine et qui a tendance à grandir. M. Mélenchon ne fait que la relayer. Dans les quartiers populaires, les gens ont des problèmes d’insécurité, mais considèrent que la police n’est pas capable de régler ces problèmes. Plutôt que d’accuser M. Mélenchon, tout le monde devrait s’interroger sur cette animosité envers la police, sur le caractère légitime des forces de l’ordre. Nous devons refonder les forces de l’ordre pour retrouver une police qui a un contact positif et apaisé avec la population, pas une BAC qui tabasse des gamins dans les quartiers populaires. Car cette situation existe. En somme, nous voulons une vraie police républicaine, qui a un lien de confiance avec la population. Une police de proximité, désarmée, qui se place dans un rôle de médiateur. Contrairement à ce que l’on pense, notre objectif est de faire baisser la tension dans ce pays, tension provoquée notamment par des syndicats comme Alliance police, par des candidats comme M. Zemmour, parce que leur discours divise les Français. 

Gabrielle Pichon : L’épisode des Gilets jaunes a montré que l’écologie doit se construire en prenant en compte les besoins et les moyens de l’ensemble de la population. Quelle forme d’écologie prônez-vous ?

Emma Fourreau : Une écologie qui n’est pas faite au détriment des classes populaires. On a encore cette image d’une écologie punitive ou privative, qui irait à l’encontre des classes populaires, en imposant un mode de vie irréaliste à l’heure actuelle, par exemple sur les questions de la mobilité ou de l’alimentation. Pour prendre son vélo au détriment de la voiture, il faut habiter en centre-ville ; pour langer bio, il faut en avoir les moyens, etc. Par exemple, nous considérons que l’augmentation du SMIC à 1 400 € nets est une mesure écologique, car elle permettrait aux gens de consommer davantage de produits bio et locaux. Parallèlement, nous souhaitons faire en sorte qu’une agriculture biologique puisse se développer dans tout le pays, avec des aides publiques : nous propositions un plan d’investissements de 200 Mrds € à la fois dans l’économie et dans les secteurs social et écologique. L’écologie ne doit pas reposer sur des habitudes de consommation et des modes de vie individuels : cela passe aussi par le haut, avec une impulsion par l’Etat du système écologique que nous voulons mettre en place. Ainsi voulons nous développer une économie de la mer, remettre des paysans à la terre, pour créer des emplois dans le respect de l’environnement. L’écologie de Jean-Luc Mélenchon est celle qui respecte les humains. La santé de la terre, celle des humains et celle des animaux vont ensemble. Autre exemple : nous voulons inscrire la règle verte dans notre constitution, selon laquelle on ne peut pas prendre plus à la Terre que ce qu’elle peut reconstituer en un an. C’est une règle qui guidera toutes les politiques publiques. Nous avons des mesures très concrètes et qui ne pèsent pas sur le budget des Français, comme les cantines 100 % bio et locales. Bien sûr, pour changer les choses, la France ne doit pas être la seule à s’y mettre, mais ce sera un modèle pour les autres pays, qui montrera que l’on peut associer social et écologie. En effet, les premiers touchés par le dérèglement climatique sont les plus pauvres : pays pauvres et classes populaires. Ce n’est pas acceptable. 

Illustré par Maxence Delespaul

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.

Gabrielle Pichon

Gabrielle Pichon

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Ancienne présidente de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Former KIP President and regular contributor.

Maxence Delespaul

Maxence Delespaul

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Président de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). President of KIP and regular contributor.