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Pourquoi légaliser le cannabis ? Épisode 3 : Le nouveau système et ses avantages

La question du régime légal de la consommation et de la commercialisation du cannabis émaille le débat public depuis plusieurs années. Dans cette série en trois épisodes, il s’agit, pour Victor Barxell, contributeur extérieur à KIP, d’en finir avec les idées reçues et d’opter pour un débat raisonné et documenté autour de la question de la légalisation du cannabis.

Exposé du nouveau système

Étant donné le contexte socio-culturel français, un statut similaire à celui de la cigarette ou de l’alcool est préférable. Étant donné que les études indiquent des effets néfastes sur le développement du cerveau, l’interdiction du cannabis doit être maintenue jusqu’à 25 ans, après quoi les individus seront libres de consommer cette substance. Certains pays ont décidé de fixer l’âge légal pour la consommation d’alcool à 21 ans (tel que les États-Unis), aussi, maintenir l’interdiction jusqu’au 25 ans est réalisable.

Il va de soi que la légalisation ne sera que partielle. Par exemple, être sous l’influence de la THC en conduisant restera interdit. Cela peut sembler difficile à mettre en œuvre puisqu’actuellement, les tests salivaires sont en mesure de détecter une consommation de cannabis allant de 1 jour à un mois, suivant le niveau de consommation : plus un individu consomme souvent, plus longue est la période pendant laquelle le THC peut être détecté1Durée de détection du cannabis – TestDrogue.fr. Deux voies sont possibles :

  1. La première solution: en l’attente d’un test soit développé, capable de déterminer si un individu est sous l’influence du cannabis (pas juste qu’il en a consommé plus ou moins récemment), un individu qui est testé positif sera sanctionné comme s’il était sous l’influence du cannabis. Concrètement, cela ne change rien à la situation actuelle. Il s’agit donc de la solution la plus facile à mettre en œuvre. Certes, elle n’est pas idéale, mais elle constitue tout de même une amélioration par rapport à la situation actuelle, où toute consommation est interdite.
  2. La seconde solution consiste à développer un test cognitif (sur une application mobile par exemple) pour évaluer les différentes fonctions cognitives et déterminer si un individu est apte à la conduite. Un tel test a l’avantage d’être extrêmement versatile, puisqu’il permet de prévenir d’autres comportements à risque, comme la fatigue, l’alcool, etc.

Il est également envisageable de maintenir l’interdit sur la consommation du cannabis brûlé, puisque toutes les fumées sont cancérigènes. Une telle mesure n’est pas irréalisable : la Nouvelle-Zélande a par exemple choisit d’interdire la cigarette brûlée pour tous les individus nés après 20082(en) New Zealand Will Ban Cigarettes for All Future Generations, Vice, Hanako Montgomery.

Parallèlement, pour assurer un soutien aux individus vulnérables (les moins de 25 ans notamment), un programme d’accompagnement médical devra être mis en place, à l’instar de ce qui se fait au Portugal3Dépénalisation et santé publique : politiques des drogues et toxicomanies au Portugal, Alex Stevens, Caitlin Hughes, Traduit par  Armelle Andro, Dans Mouvements 2016/2 (n° 86), pages 22 à 33, ainsi que des sessions d’information (notamment pour les moins de 25 ans) pour que chacun soit au fait des effets et risques induits par la consommation du cannabis.

Un nouveau système qui répond mieux aux problèmes actuels

Santé Publique

Le programme d’accompagnement médical traite l’addiction non plus comme un problème de criminalité, mais comme un problème de santé. Il s’agit de traiter les consommateurs comme des patients et non comme des délinquants. Il n’est pas cohérent de considérer les consommateurs comme des criminels ou des délinquants, lorsque la raison pour laquelle ils n’ont pas le droit de consommer la substance est précisément parce que nous considérons que la substance altère leurs facultés de jugement :

  • Soit les consommateurs sont entièrement libres de leurs choix et dans ce cas de quel droit leur interdit-on de consommer ce qu’ils veulent ? Même s’ils sont dépendants, c’est leur choix.
  • Soit la drogue altère leur jugement : ils ne sont donc plus totalement libres.  Dans ce cas, ils ne peuvent être sanctionnés car ils ne sont plus totalement responsables. Les sanctionner ne résoudra dès lors pas le problème, puisqu’ils ont besoin d’aide, pas de sanction.

Dans les deux cas, criminaliser ou sanctionner les consommateurs n’est pas juste. Il convient ou bien de les considérer comme pleinement libres, ou bien comme des patients, nécessitant une attention médicale. C’est précisément ce que permet une légalisation, en considérant d’une part les individus comme pleinement libres à partir de 25 ans, s’ils sont capables d’avoir une consommation non pathologique, et d’autre part de considérer les autres comme des patients ayant besoin d’un accompagnement médical.

La légalisation permet également de limiter grandement le danger lié à la qualité du produit. Il deviendra possible d’améliorer la qualité des produits, donc réduire les risques liés à sa consommation en évitant notamment que les produits soient coupés avec des mélanges toxiques (plomb, etc.) ou addictifs (tabac notamment).

Un autre avantage de la légalisation est qu’elle permettra de limiter la conversion vers des drogues plus dures. Le cannabis comme une porte d’entrée vers d’autres drogues plus dures (héroïne, cocaïne, etc.) est un mythe4Debunking the “Gateway” Myth – Drug Policy Alliance, 02/2017. Dans quelle situation un consommateur de cannabis a le plus de chances de se tourner vers des drogues plus dures ?

  • Situation A : Il achète légalement son cannabis dont la qualité est certifiée dans un lieu public et accessible. S’il veut tester une drogue plus dure, doit changer ses habitudes et aller trouver un dealer ;
  • Situation B : Il achète son cannabis illégalement chez un dealer qui vend tous types de drogues, dont du cannabis de qualité incertaine et des drogues dures.

Criminalité et ordre public

Les forces de l’ordre pourront se concentrer sur les vrais problèmes de criminalité, et non sur des crimes sans victime (rares sont les consommateurs de cannabis qui portent plainte contre eux-même). Les forces publiques gagneront également en crédibilité : il est difficile de convaincre de suivre une interdiction incohérente (comme discuté dans la première partie de cette série d’article, les risques associés au cannabis ne sauraient justifier une interdiction quand l’alcool et la cigarette ne le sont pas). Il y a également fort à parier que rationaliser l’interdiction aura pour effet de favoriser la prise de conscience chez les jeunes des effets négatifs qui les concernent.

Par ailleurs, les études montrent que les conséquences d’une légalisation pour les quartiers dit « sensibles », loin de les déstabiliser, favoriseraient leur développement. Les bénéfices du trafic sont limités. Ils ne représentent qu’une faible part des revenus de ces populations, l’essentiel est d’origine licite. Ces bénéfices en revanche sont largement contrebalancés par la dégradation de l’environnement dans lequel vivent ces populations. Cela est d’autant plus vrai que la grande majorité des revenus part dans des comptes à l’étranger ; les « petites mains » du trafic (dealers, etc.) n’en bénéficient que marginalement5Cannabis : comment reprendre le contrôle ? [pdf], Les notes du conseil d’analyse économique, n° 52, juin 2019, Emmanuelle Auriol et Pierre-Yves Geoffard. Par ailleurs, cela représente également un manque à gagner pour les localités qui ont besoin d’argent pour assurer des services publics indispensables au bon développement de leurs habitants.

Économie et Finance Publique

Un des avantages majeurs de la légalisation est qu’un pan entier de l’économie française pourra voir le jour, avec à la clef une multitude d’emplois, une diversification de notre économie, facteur de résilience et d’importantes recettes fiscales. Selon l’analyse des économistes Christian Ben Lakhdar et Pierre Kopp, cela pourrait représenter des recettes fiscales entre 430 millions et plus de 1,2 milliard d’euros annuellement6Faut-il légaliser le cannabis en France ? Un bilan socio-économique, Christian Ben Lakhdar, Pierre-Alexandre Kopp, Dans Économie & prévision 2018/1 (n° 213), pages 19 à 39, de quoi financer un véritable accompagnement des victimes d’addiction qui en auraient besoin et le développement des quartiers touchés par les trafics.

Par ailleurs, la France deviendra avec facilité un des producteurs mondiaux : elle est déjà le leader Européen en production du chanvre7La France, Leader Européen De La Production De Chanvre, semae.fr, Février 2020 ! Actuellement le chanvre industriel concerne 1 400 producteurs, et plus de 600 agriculteurs se sont lancés dans la production du chanvre riche en CBD8CBD : l’État freine la culture locale de cannabis, Reporterre, Justine Guitton-Boussion, 16/03/2022.

Développement durable

L’essentiel du cannabis en France (70 %) vient du Maroc9Cannabis en France – Wikipédia, consulté le 15/06/2022, et transite souvent par l’Espagne et les Pyrénées ou par l’Égypte, en traversant le Sahel10(en) World Drug Report 2022 – Global Overview Drug Demand Drug Supply, United Nations Office on Drugs and Crime. Il y a donc une grande opportunité pour réduire notre empreinte carbone, d’autant plus que la plante a de très nombreuses utilisations et un effet positif sur la qualité des sols11(en) How cannabis could save the planet in fight against climate change, Harrison Jones, Metro, 9/06/2021.

Malgré tous les efforts des gouvernements successifs, la consommation ne baisse pas. Plus de répression ne parviendra pas non plus à résoudre le problème, sachant que la France est déjà le pays le plus répressif d’Europe12Le vrai du faux. Oui, la France est le pays le plus consommateur et …, France Info, Antoine Krempf, 12/06/2018. La répression sanglante aux Philippines illustre cet échec. Malgré les 12 000 personnes suspectées d’être consommatrices ou dealeuses tuées par la police, seule la criminalité lié aux trafics a été réduite, mais pas la consommation13(en) Exclusive: ‘Shock and awe’ has failed in Philippines drug war, enforcement chief says, Tom Allard, Karen Lema, Reuters, 07/02/2020. Au moment de commencer la répression, les Philippines comptent environ 1.8 millions de consommateurs en 201614(en) Duterte fires drugs board chair for ‘contradicting government’, Jonathan de Santos, 24/05/2017. En 2019, ils sont toujours entre 1,67 à 2 millions15(en) 2019 National Survey of Drug Use and Health (NSDUH) Releases, 14/10/2020.

La seule autre option pour réduire l’empreinte carbone de cette économie est la relocalisation de la production au plus proche des consommateurs et/ou la simplification du transport. Cette réduction des gaz à effet de serre sera d’autant plus grande puisque les producteurs illégaux utilisent des méthodes de production très polluantes : ils génèrent notamment une partie de leur électricité à partir de diesel ou essence pour éviter d’attirer l’attention des autorités par exemple. Par ailleurs, les efforts du gouvernement de Macron pour freiner l’essor du marché du CBD aboutissent à des aberrations écologiques : certaines entreprises produisent le cannabis en France, sont obligées de l’exporter à l’étranger pour le conditionner et l’importer ensuite en France16CBD : l’État freine la culture locale de cannabis, Reporterre, Justine Guitton-Boussion, 16/03/2022 / Le gouvernement interdit l’usage des feuilles et des fleurs brutes. Les entreprises sont obligées d’importer des produits finis, car elles ne peuvent réaliser le conditionnement sur place. !

Certes, une relocalisation sur le territoire français de la production représenterait un manque à gagner pour les producteurs marocains. Néanmoins, la production et trafics illégaux ont un réel impact négatif sur le développement et la sécurité des pays producteurs, les pays traversés par le trafic ainsi que les pays consommateurs, puisque ces activités illégales permettent de financer les groupes terroristes. En 2017, le trafic représentait entre un cinquième à un tiers des financements des groupes terroristes qui ont la main sur le trafic17(en) Drug trafficking and the financing of terrorism, United Nations Office on Drugs and Crime.

Conclusion

Que ce soit au niveau individuel, social, économique, environnemental, fiscal ou sécuritaire, une légalisation représente une amélioration substantielle par rapport à la situation actuelle. Ce constat est de plus en plus partagé au sein du monde mais également en France, à mesure que les anciennes générations laissent place aux nouvelles. Aujourd’hui déjà, plus de la moitié des Français sont favorables à une légalisation réglementée du cannabis18Les Français de plus en plus favorables à une autorisation …, France Info, 11/06/2018.

À l’avenir, un autre débat aura lieu, concernant d’autres drogues beaucoup moins dangereuses et moins addictives que le cannabis (qui, s’il fallait encore le rappeler, est lui-même beaucoup moins dangereux et addictif que l’alcool et la cigarette) et avec des bénéfices bien plus nets mais qui ont été injustement diabolisées dans l’imaginaire collectif : la plus emblématique étant le LSD19Pourquoi il faut légaliser les drogues psychédéliques, Le Point, par Matthew Blackwell (traduction par Peggy Sastre).

Illustré par Victor Pauvert

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Victor Barxell

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025)
Contributeur extérieur à KIP

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025)
External contributor for KIP