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Illustration de Julie Omri pour KIP

L’Individu, la Société, la Pandémie

Les civilisations à l’épreuve de la pandémie

Il est particulièrement fécond de comparer les sociétés humaines à des sortes d’organismes complexes. En effet, lorsque l’on déchire le voile des habitudes et que l’on cesse de faire semblant que les mots de société ou de nation ont un sens évident, on peut contempler ce qu’ils cachent : des organisations d’êtres vivants étonnement complexes. Ce regard organiciste sur les sociétés revient de façon périodique dans l’histoire de la pensée avec toujours autant de pertinence.

C’est qu’en réalité, il paraît bien absurde de s’accorder sur le fait que nos corps sont composés de millions si ce n’est de milliards de cellules fonctionnant selon une valse naturelle, pour nier le fait que nos sociétés puissent fonctionner de la même façon.

Poursuivons cette analogie. Dans le règne de la nature, l’évolution est ce long processus par lequel une espèce s’adapte à son milieu. Dans le règne des hommes, les cultures connaissent un destin analogue. Elles ont une généalogie, et se développent toujours à partir d’un écosystème ou d’un terreau donné. Ainsi, ce n’est pas un hasard si le Christianisme, qui abreuve notre culture occidentale de son noble individualisme, est issu des déserts de Judée, où le quotidien des peuples de pasteurs était celui d’une vie de contemplation solitaire qui les plaçait seuls face à Dieu. Au contraire, la culture dominante en Asie orientale est née sur les berges fertiles du Fleuve Jaune, où la principale réalité sociale était celle du surpeuplement. Ainsi, le principal défi posé à cette civilisation a été de répondre aux problèmes sociaux et psychologiques posés par une densité élevée de population. Ce n’est donc pas un hasard si les sociétés qui en ont découlé ont pour valeurs le respect de la hiérarchie, de l’ordre, de l’autorité, et in fine de la collectivité.

Ainsi la culture d’une société est la matrice de son comportement. Face à la pandémie, la réaction des organismes asiatiques a été à la hauteur de l’ordre qui les caractérise. Celle des organismes occidentaux a été à la mesure de l’individualisme qui les caractérise.  C’est en partant de cette généalogie culturelle que l’on peut comprendre pourquoi la France a connu littéralement 88 fois plus de morts du Coronavirus que la Corée du Sud, pour une population seulement 1,3 fois supérieure.

Passons.

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Le politique à l’heure du choix

On peut globalement diviser les réactions des pays occidentaux face à la pandémie en deux groupes.

D’une part, un axe du mal, dont les deux principaux représentants sont les cyniques présidents des Etats-Unis et du Brésil, dont la morale aurait été oblitérée par l’argent. Ces Etats ont fait le choix de privilégier l’économie sur les vies. Autrement dit, ils ont choisi de privilégier la survie du collectif et du corps social, sur la survie des individus. D’autre part, un Ooccident qui se veut humaniste et contractualiste, et qui a donc appliqué des mesures sanitaires strictes afin de respecter protéger les êtres fragiles de ses sociétés.

Cependant, on ne peut que s’étonner devant l’irrespect des mesures sanitaires que l’on a vu au cœur même de cet Occident humaniste, notamment en France. Le pendant de l’autonomie du sujet et de l’individualisme promu par le capitalisme libéral est de nos jours particulièrement évident. Il s’agit de l’indiscipline de l’individu face aux directives de l’Etat. 

Si les gouvernements persistent pourtant dans cette voie qui semble si peu efficace, on peut s’interroger. Pour cela, prenons le cas de la France : La stratégie française face à la pandémie résulte-t-elle de la lâcheté ou du courage du gouvernement ? Est-ce par peur de paraître cynique et indifférent face à la mort de nos aînés que le gouvernement a-t-il agi ainsi ? En effet, dans un pays qui a expurgé de ses mœurs la peine de mort, comment serait-il acceptable de la voir accueillie à bras ouvert dès la première crise venue ? Ou au contraire, a-t-il fait un choix éminemment courageux, en demandant à l’ensemble de la nation de se sacrifier pour protéger ses aînés ?

Pour essayer de répondre à cette interrogation, plaçons-nous un instant dans l’esprit d’Emmanuel Macron. De pensée chrétienne, il croit en la noblesse du sacrifice et de la charité. Bourgeois et Hégélien, il croit en la valeur du travail. Sa politique découle de ces deux axiomes : Il est noble de se sacrifier quelque temps pour que survivent d’autres français. La pauvreté ou le chômage, tout cela se corrige. La mort ? Jamais. Il y a donc un choix à faire entre un inconfort temporaire pour tous, et la fin de l’existence pour certains.  Il semblerait que notre Président ait fait le sien, et ceci pour nous. On pourrait arguer que Macron n’a agit que pour se prémunir de devoir porter sur sa tombe l’épitaphe « Ci-gît l’homme qui décréta la mort des aînés de la France ».  Mais ayons un peu foi en l’homme.

« Quoi qu’il en coûte. » Ce n’est pas la raison qui guide un tel choix, s’il est sincère. C’est un amour inconditionnel de l’homme. On pourrait même parler de charité, si ce mot avait conservé de sa superbe. Étrange personnage que ce président, si conservateur et pourtant résolument moderne. Étrange élite que celle de la France, pétrie de mondialisation et de libéralisme, mais dont l’essence chrétienne revient en temps de crise.

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Heurs et malheurs du culte du progrès

Il est difficile de considérer les événements qui se déroulent sous nos yeux avec clairvoyance, et de tenter d’attribuer une signification historique à ce qui se passe (comme l’évoque également cet article).

Cependant, il est déjà évident que cette pandémie joue pour nos sociétés le même rôle que la première guerre mondiale, en nous obligeant à contempler avec humilité les limites de la civilisation. Malgré tous nos progrès techniques, nous ne sommes pas à l’abri de la maladie. Malgré notre foi proclamée en la science, nous sommes toujours autant guidés par l’irrationnel. Malgré l’avancée apparente de l’humanité, nous, individus qui la composons, ne sommes toujours pour la plupart que des animaux égoïstes et indisciplinés.

Luca Glätzle

Luca Glätzle

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Member of KIP and regular contributor.