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Entretien avec Mme Lamia El Aaraje, conseillère socialiste de Paris et membre honoraire du Parlement

Plus que quelques semaines avant les élections présidentielles, et le Parti socialiste est au plus bas dans les sondages : la maire de Paris Anne Hidalgo est créditée de moins de 5 % des intentions de vote. L’occasion, pour KIP, de partir à la rencontre d’une éminente personnalité du Parti socialiste, qui représente une nouvelle génération politique, désireuse de refonder cette “vieille maison” en difficultés. Mme Lamia El Aaraje, conseillère de Paris, a été élue députée lors d’une législative partielle en 2021, mais a vu son élection annulée par le Conseil constitutionnel pour irrégularité. Elle vous offre aujourd’hui une vision contemporaine et optimiste de ce qu’est et ce que devra être le socialisme français, qui, selon elle, est loin d’être mort. 

1/ Un engagement politique

Victor Pauvert : Vous vous êtes engagée au Parti socialiste en 2010, à l’âge de 23 ans. Pourquoi un engagement politique si précoce ?

Lamia El Aaraje : Avant de m’engager au Parti socialiste, j’étais adhérente de l’Unef, syndicat étudiant. Un certain nombre d’inégalités sociales me paraissaient totalement injustes, et sont venues nourrir une forme de colère et de révolte à l’origine de mon engagement. En fonction de votre lieu de naissance, de vos origines sociales, de ce que font vos parents et de la famille dans laquelle vous naissez, vous avez plus ou moins d’opportunités dans la vie, ce que je trouve injuste. En fonction de notre naissance, nous ne partons pas tous sur la même ligne de naissance dans la vie, ce qui n’est pas normal. Le rôle des politiques publiques est de permettre à chacun d’entre nous de bénéficier des mêmes opportunités, quelles que soient ces conditions de départ. C’est ce qui a nourri mon engagement politique à l’époque où j’étais étudiante boursière en faculté de pharmacie, ce qui n’était pour le moins pas un environnement exempt de reproduction sociale. C’est là que ma motivation à m’engager dans une forme d’action collective est née. Je crois aussi que nous avons tous la responsabilité de participer au changement dans la société, de porter avec détermination certains combats, pour changer la vie des gens. Je crois que la politique est concrète, qu’elle peut changer la vie des gens.

V.P. : Votre mandat de députée, depuis votre élection à une législative partielle en 2021, a été entaché d’une procédure judiciaire, qui a conduit à l’annulation de votre élection, le 28 janvier. Pouvez-vous revenir sur cette procédure ? Considérez-vous que ce contexte a réduit votre marge de manœuvre en tant que parlementaire ?

L.E.A. : C’est un euphémisme de dire que ce contexte ait réduit ma marge de manœuvre, puisqu’il a arrêté mon mandat de députée. Je me suis présentée dans le cadre d’une législative partielle, en juin 2021, dans un contexte difficile. J’ai succédé à George Pau-Langevin, députée de la XVe circonscription de Paris, qui est devenue adjointe au Défenseur des droits, fonction incompatible avec un mandat de parlementaire, ce qui a entraîné sa démission et cette législative partielle. Élection pas évidente, dans un contexte de Covid, qui a été reportée à deux reprises, avec un poste resté vacant huit mois, ce qui n’est pas rien à l’échelle d’un territoire. La participation était relativement faible ; c’était ma première candidature dans le cadre d’une élection nationale, et en mon nom propre, au contraire d’un scrutin de liste. Ce fut assez dur, dans un contexte politique pas simple, parce que j’étais face à La France Insoumise au second tour. En l’occurrence, ce que j’appelle un “zozo” a décidé de se présenter à cette élection, qui n’était pas candidat avant les deux reports. Nous étions dans un contexte de vide juridique avec le report de cette élection. Nous étions en campagne depuis six mois : engagement financier, personnel et professionnel. Cet individu s’est présenté sous un faux nom et sous une fausse étiquette politique – lorsque vous vous présentez à une élection, personne ne vérifie la véracité de votre étiquette politique. Cet homme a récolté 3 % des voix, soit très peu. J’avais, pour ma part, plus de 1 500 voix d’avance au premier tour comme au second tour. Dans tous les cas, j’aurais remporté cette élection, du fait de la cartographie électorale de cette circonscription. J’aurais largement, pour ma part, préféré être opposée au second tour au parti Les Républicains que face à La France Insoumise. Malgré tout, l’élection a été annulée car le Conseil constitutionnel, a posteriori, a estimé que la sincérité du scrutin a été entachée pour le second tour, puisque ce candidat aurait pu arriver deuxième et être qualifié pour le second tour. Pour finir, cette situation ouvre des possibilités de corrompre des processus électoraux à venir – il faut bien l’avoir en tête. D’autre part, cette situation ne change rien à mon action, si ce n’est que je n’ai plus de mandat parlementaire en tant que tel et que mon équipe se retrouve en situation de licenciement. Mais je continue d’agir comme une députée sur le terrain, puisqu’il était prévu que la session parlementaire s’arrête le 28 février, et les gens continuent de m’interpeller comme étant leur parlementaire. 

V.P. : Malgré l’annulation de votre élection, serez-vous candidate à votre propre succession, en juin 2022 ?

L.E.A. : J’ai fait huit mois de campagne pour seulement un an de mandat ! Evidemment que je suis candidate et je suis d’ores et déjà en campagne, et investie par le Parti socialiste sur cette circonscription.

V.P. : Pouvez-vous décrire votre rôle en tant que conseillère de Paris, mandat assez inconnu du grand public ?

L.E.A. : Il ne faut pas confondre les conseillers de Paris et les conseillers municipaux. Les conseillers municipaux, à Paris, sont les conseillers d’arrondissement. Paris est une ville-département. Dans le XXe arrondissement de Paris, on compte environ 200 000 habitants, et les électeurs votent pour une liste de quarante-deux noms. Les quatorze premiers sont élus pour être conseillers de Paris, qui sont comme des conseillers généraux pour le département de Paris. Le reste de la liste est candidat pour être conseiller d’arrondissement. Une difficulté supplémentaire a été ajoutée avec la création de la métropole du Grand Paris, puisque, sur cette liste de quarante-deux noms, nous devions en flécher sept pour être conseillers métropolitains. Paris est un territoire compliqué en termes de processus électoral. Pour ma part, je suis à la fois conseillère d’arrondissement et conseillère de Paris. Je suis, par ailleurs, présidente de la troisième commission du Conseil de Paris. Le Conseil de Paris se subdivise en effet en plusieurs commissions, et la troisième commission comprend, dans son champ d’interventions, les transports, la sécurité et l’aménagement de l’espace public. En tant que conseillers de Paris, nous sommes amenés à délibérer sur les grands projets de la ville de Paris, en termes d’aménagement ou d’entretien. Nous devons répondre aux sollicitations des habitants, voter les budgets, accompagner les structures, les associations, les institutionnels à l’échelle de notre territoire. 

2/ Le Parti socialiste, “vieille maison” en difficulté

V.P. : Dans les derniers sondages, la candidate de votre parti, Mme Hidalgo, plafonne entre 1 et 4 % des sondages. Comment expliquez-vous ces contre performances, alors que le Parti socialiste était majoritaire, entre 2012 et 2017 ?

L.E.A. : Le socialisme est un courant de pensée politique très ancien, une famille politique très construite, qui a à son actif les plus grands progrès sociaux de notre République. C’est important de l’affirmer, puisque, pour ma part, je suis très fière d’être socialiste, et je ne crois pas que les intentions de vote prêtées à mon parti politique et à la candidate que je soutiens, Anne Hidalgo, soient représentatifs de ce que pèsent ce courant de pensée et cette famille politique en France. Ce n’est pas une façon de ne pas assumer les derniers sondages, mais plutôt une façon de contextualiser la conjoncture dans laquelle nous nous inscrivons. Je crois que des erreurs stratégiques et politiques ont été commises. Je pense qu’une déconnexion ou une déception a été générée, ce qui amène à la conjoncture actuelle. Cela ne signifie pas pour autant la mort du socialisme, qui est un courant de pensée qui a beaucoup agi pour l’Etat. La question va être de se réinventer après ces élections. Et je crois faire partie d’une nouvelle génération politique qui a envie de faire les choses différemment, d’être en capacité de redonner de la vivacité à ce flambeau important pour la vie des gens. Je crois aussi que la gauche, de manière générale, suscite énormément d’espoir, même pour ses détracteurs. Et le pendant de cet espoir est une déception beaucoup plus forte, qui a sans doute été nourrie par des ratés lors du quinquennat 2012-2017. Sans doute n’avons nous pas été sur certains points à la hauteur ; sans doute n’avons nous pas su suffisamment communiquer, entendre et donner du sens à notre action politique. C’est sans doute une des raisons qui explique notre état actuel. Mais, pour ma part, je ne suis pas défaitiste. Je ne suis pas non plus satisfaite de la situation. Je crois qu’elle doit nous servir de leçon pour la suite. 

V.P. : Quelle est votre position sur une potentielle union des gauches, autour de candidats plus hauts dans les sondages comme M. Jadot, voire M. Mélenchon ?

L.E.A. : J’ai deux problèmes sur cette question. Tout d’abord, je ne pense pas que l’on puisse prendre les sondages comme unique référentiel de la vie politique en France. Je ne dis pas que ces indicateurs sont faux : ils ont sans doute une forme de représentativité. Mais on peut s’interroger sur la véracité de ce qu’ils portent. Par exemple, l’an dernier, les sondages indiquaient que le Parti socialiste allait perdre toutes les régions et tous les départements qui étaient sous sa responsabilité, que la débâcle allait être épouvantable. Or, nous avons non seulement conservé toutes nos régions et tous nos départements, mais nous en avons gagné. Globalement, nous avons été en position de maintenir nos forces politiques à l’échelle des territoires, différence notable avec un parti politique comme La République en Marche. Il faut donc faire attention à l’interprétation des sondages : en tant que jeunes citoyens, vous devez faire attention aux biais qu’induisent les sondages dans l’opinion publique. Demain, si je prends un sondage, en estimant qu’il est représentatif, et si je vous explique que M. Zemmour sera le futur Président de la République, j’introduis évidemment un biais dans la campagne, ce qui est dangereux pour la démocratie. Il faut donc s’interroger sur l’exploitation de ces sondages par les différents médias. 

Ensuite, sur la question de l’union des gauches, M. Jadot est crédité de 5 % dans les sondages, ce qui ne le place pas en position hégémonique. Pour autant, nous avons des choses à nous dire et nous devons parvenir à poser les bases d’un programme commun qui porte une ambition pour la société. Cela ne se fait pas derrière une personnalité. Une campagne présidentielle, c’est un projet et une incarnation. M. Mélenchon mis de côté, il n’y a pas, pour l’heure, de projet et d’incarnation à gauche. Il est pour moi impossible d’envisager un quelconque travail avec M. Mélenchon : l’extrême gauche ne représente pas ma famille politique et je ne me vois pas de point d’accord avec eux sur la base de l’ambition que l’on porte pour le pays et sur la vision que l’on a de la République et de l’État. Je suis une universaliste convaincue : je crois qu’un des piliers de la République est la laïcité. Je crois que nous devons respecter le service public ainsi que les forces régaliennes de notre pays, même si certaines choses sont à améliorer. Par exemple, il faut modifier le fonctionnement des forces de l’ordre, mais ce n’est pas pour cela que nous devons les pointer du doigt comme M. Mélenchon le fait en permanence. Enfin, je n’ai pas le sentiment que M. Mélenchon ait envie de gouverner avec d’autres partis, qu’il soit respectueux ni qu’il ait une envie folle de travailler avec quelqu’un d’autre que sa propre famille politique située à l’extrême gauche de l’échiquier. L’union avec La France Insoumise n’est donc pas, selon moi, une question qui se pose aujourd’hui. 

V.P. : Vous considérez que la campagne que nous vivons n’est pas une campagne présidentielle. Pouvez-vous expliciter votre position à ce sujet ?

L.E.A. : Je suis très solennelle : ce que nous sommes en train de vivre est extrêmement grave. Il est important que nous en soyons conscients. Cette élection présidentielle est en train d’être volée. Une raison de ce vol est la suivante : nous avons aujourd’hui un Président-candidat qui a entretenu le flou durant plusieurs mois sur sa candidature. Le Président a fait campagne en utilisant les moyens de l’État, ce qui pose problème. J’ai vérifié : en 2002, M. Chirac s’est déclaré candidat le 11 février ; en 2012, M. Sarkozy s’est porté candidat à sa réélection le 15 février. Et ce, dans des élections qui avaient lieu trois semaines plus tard que celle de 2022. M. Macron s’est, quant à lui, déclaré candidat le 5 mars, à seulement trente-cinq jours du scrutin. C’est très grave : M. Macron ne veut pas débattre, ne veut pas présenter de programme ni de bilan. De quoi allons-nous discuter ? Au-delà du contexte qui est celui de la crise sanitaire, de la crise économique et d’une guerre en Ukraine qui peut potentiellement dégénérer et nous entraîner dans une troisième guerre mondiale, il n’est évidemment pas sain de faire campagne. Mais cette attitude est très grave pour la démocratie. Nous n’avons pas le droit de laisser faire : nous devons nous interroger pour savoir comment sauver la démocratie. C’est ce qui est en jeu aujourd’hui. C’est une vraie préoccupation, au-delà des clivages partisans. 

V.P. : Estimez-vous que le Parti socialiste est encore capable d’attirer la population jeune, comme ce fut le cas lors de votre engagement en politique ? Considérez-vous que votre parti a une responsabilité dans la vague d’abstention, particulièrement forte chez les 18-30 ans ?

L.E.A. : J’ai du mal à répondre de manière claire à cette question. De prime abord, je vois le phénomène de rejet que peut susciter ma famille politique. Je ne crois pas que nous soyons un parti attractif pour les jeunes. Nous avons eu du mal à nous remettre en question, et nous devons interroger nos pratiques, nos façons de faire de la politique et de nous organiser collectivement. Nous devons donc trouver une façon de redevenir attractifs. Pour autant, je vois arriver beaucoup de jeunes dans la section du XXe arrondissement, beaucoup de nouveaux adhérents très jeunes, peu politisés à la base. Il y a donc des choses à améliorer mais je ne ferai jamais partie de ceux qui disent que les jeunes ne veulent plus s’engager aujourd’hui. Ils ont des formes différentes d’engagement et attendent sans doute des choses différentes de ce que nous leur proposons. Nous devons donc parvenir à proposer des façons de faire différentes, par exemple en leur demandant ce pour quoi et ce dans quoi ils auraient envie de s’engager. Mais il serait trop facile de dire que le Parti socialiste est responsable de la vague d’abstention. Globalement, on assiste à un désintérêt total de ce qui fonde le pacte social aujourd’hui. Le pacte social, c’est le fait de se dire, en tant qu’individus, que l’on est membres d’un collectif qui nous dépasse pour pouvoir vivre en société. Mais quand on n’arrive plus à vivre dignement des revenus de son travail, quand on ne bénéficie pas d’un service public de qualité sur tout le territoire, quand les enfants de notre pays sont conditionnés par leur lieu et leur origine de naissance, par leur couleur de peau ou leur origine en termes de nationalité, le pacte social est rompu. Lorsque les gens vont manifester, font grêve, et que personne ne s’en soucie, et que le gouvernement outrepasse la volonté du Parlement et envoie aux manifestants la police pour leur tirer dessus ou les empêcher de manifester, le pacte social est rompu. Ce pacte social est abîmé de longue date, et cela ne dépend pas que de la responsabilité du Parti socialiste. Une nouvelle génération politique a conscience de cela est a envie d’agir pour changer cette situation. 

V.P. : Au-delà de l’échéance des présidentielles, êtes-vous optimiste quant à une victoire du Parti socialiste aux élections législatives du mois de juin ? Pensez-vous que le nombre de députés socialistes dans l’hémicycle, historiquement bas depuis 2017, augmentera pour la prochaine législature ?

L.E.A. : Pour être honnête, la séquence que nous sommes en train de vivre est tellement particulière que j’ai du mal à répondre à cette question. Il y a quelques semaines, j’avais une forme de conviction sur une déconnexion entre les présidentielles et les législatives. Mais, à l’heure actuelle, la situation internationale est tellement inédite que les projections sont difficiles à dresser. En plus de cela, moi qui fais beaucoup de terrain, les gens sont très peu préoccupés par les échéances à venir. Sans prétention, mes administrés discutent avec moi parce qu’ils me connaissent. Mais ils sont très peu intéressés par la chose nationale ou par le collectif. Tout cela est lié et cela doit nous inquiéter. 

V.P. : En cas de défaite du Parti socialiste au premier tour des élections présidentielles, pourriez-vous appeler à voter pour M. Macron ? Pour M. Mélenchon ?

L.E.A. : Je ne veux pas faire de langue de bois mais j’ai un credo en politique, qui est d’être sincère, de faire ce que je dis et de dire ce que je pense. Aujourd’hui, je ne peux pas répondre à cette question, tant le contexte est inédit. Tout dépend du second tour. Il sera pour moi compliqué d’appeler à voter pour M. Mélenchon. Quant à M. Macron, j’aurai du mal à appeler à voter pour un candidat qui a permis à Mme Le Pen ou à M. Zemmour d’accéder potentiellement au second tour de l’élection présidentielle. Quand on voit que le MoDem, soutien de La République en Marche, a mis en place un système de “pot commun” pour les parrainages, afin de permettre à des candidats d’extrême droite d’être candidats, on ne peut plus croire au front républicain. C’est ubuesque et très grave de vouloir infantiliser les Français, qui comprennent très bien ce qui se joue. Lorsqu’un candidat à l’élection présidentielle n’est pas capable de réunir de lui-même 500 signatures d’élus sur 42 000, il est normal de considérer que sa représentativité ne soit pas à la hauteur de celle d’un candidat à la présidentielle. Pour moi, appeler à voter sera un vrai sujet, si l’on se retrouve dans un tel contexte. 

Illustré par Maxence Delespaul

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.