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2022, année législative

« Ce n’est pas que Macron soit génial, mais ils sont tellement nuls ». Telle est la une publiée par Marianne le 24 février 2022. Un brin caricatural, l’hebdomadaire exprime ce que beaucoup de Français pensent tout bas : l’issue de l’élection présidentielle de 2022 apparaît de plus en plus certaine, du fait des contre performances des opposants au Président de la République. Un champ de ruines politique, qui en fait, pour beaucoup, l’une des présidentielles les moins intéressantes de ce début de XXIe siècle. Une déclaration de guerre en Ukraine plus tard, la figure rassurante et altière de M. Macron apparaît toujours plus comme la seule option crédible dans la course à l’Elysée. Le véritable enjeu électoral de 2022 ne se joue pourtant pas là : le Président sortant, haï par une part grandissante de la population, parviendra-t-il, une fois réélu, à obtenir une majorité à l’Assemblée nationale pour gouverner ?

Désintérêt

Déjà, le 5 février 2022, The Economist titrait : « Emmanuel Macron sera très probablement réélu Président français »1https://www.economist.com/europe/emmanuel-macron-is-highly-likely-to-be-re-elected-as-frances-president/21807489 (titre traduit en français par l’auteur). L’hebdomadaire britannique avançait même une probabilité : quatre chances sur cinq pour que M. Macron conserve ses quartiers du 55, rue du Faubourg Saint-Honoré pour un quinquennat supplémentaire. Certes, ce ratio était calculé à soixante-quatre jours  du premier tour du scrutin. Une éternité en campagne. Mais les derniers sondages à la fin du mois de février confirment cette tendance : M. Macron caracole aujourd’hui encore en tête des sondages, seul candidat crédité de plus de 20 % des intentions de vote au premier tour2https://elabe.fr/presidentielle-2022-8/

« Les élections présidentielles se jouent toujours durant le mois de février », affirmait à notre rédaction M. Gaspard Gantzer, ancien conseiller à la communication du Président Hollande et professeur de communication politique à HEC et Sciences Po Paris3http://kipthinking.com/interview-de-gaspard-gantzer-ancien-conseiller-a-la-communication-de-francois-hollande/. Alea jacta est4« Les dés sont jetés » (expression latine), dès lors ? Sauf scandale ou désistement surprenant, le résultat de l’élection apparaît sans surprise. L’actualité politique est donc loin de celle de 2017, marquée par les révélations à répétition à l’encontre du candidat favori, M. Fillon, et par l’irrésistible ascension de celui qui allait devenir le plus jeune Président de la Ve République. 

De cette fausse incertitude émane une vague de désintérêt pour l’élection à venir, qui représente pourtant, depuis 19625Année de l’introduction, par le Général de Gaulle, de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct., le rendez-vous le plus important de la vie politique du pays. C’est ce que révèle, le 11 février 2022, une enquête réalisée par l’institut Ipsos-Sopra Steria, en collaboration avec le Cevipof. D’après un article du Monde publié le même jour, « 71 % des personnes interrogées se disent ‘intéressées’ par le scrutin des 10 et 24 avril, contre 81 % en février 2017 »6https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/02/11/election-presidentielle-2022-une-campagne-qui-pour-le-moment-interesse-moins-que-les-precedentes_6113228_823448.html. Ces chiffres laissent présager une inévitable augmentation de la part d’abstentionnistes dans le pays, démotivés aussi bien par le manque de suspens de cette élection que par le manque d’alternatives crédibles au Président sortant, si ce n’est dans les extrêmes. 

L’élection présidentielle de 2022 apparaît donc à une majorité de Français comme une formalité obligée pour la reconduction d’un Président qui est pourtant loin de faire l’unanimité dans la population. Au vote de convictions succède un vote de renoncement ou de barrage contre les extrêmes. Tel est le résultat de la stratégie mise en œuvre par M. Macron depuis son élection de 2017. En détruisant l’influence nationale des partis traditionnels qu’étaient l’UMP et le Parti socialiste, le Président de la République a introduit un nouveau clivage : un centre droit contre l’extrême droite. Et ce, n’en déplaise à une gauche qui ne peut que sombrer dans le désespoir7http://kipthinking.com/defendre-le-peuple-nest-plus-populaire/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=defendre-le-peuple-nest-plus-populaire

Défiance

Pour autant, cette stratégie hégémonique du fondateur de La République en Marche a des limites. L’élection présidentielle devient de moins en moins représentative des aspirations politiques des Français. En témoignent les difficultés de candidats comme MM. Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour et de Mme Marine Le Pen pour obtenir les cinq cents parrainages d’élus nécessaires à une candidature au premier tour de l’élection, alors même que les scores cumulés de ces trois candidats tutoient les 40 % d’intentions de vote. Cette situation est le synonyme d’une vitalité démocratique enrayée, au risque d’embrasements analogues à la crise des Gilets jaunes. 

Certes, la responsabilité d’un tel chaos potentiel n’incombe pas uniquement au Président de la République : les candidatures d’opposition, multiples et désunies, manquent de crédibilité pour représenter une réelle menace pour le Président sortant. C’est ce qu’affirmait fièrement M. Ambroise Méjean, président des « Jeunes avec Macron » à notre rédaction8http://kipthinking.com/entretien-avec-m-ambroise-mejean-president-du-mouvement-les-jeunes-avec-macron/. En somme, les fanfaronneries d’une majorité certaine de sa reconduction. 

Pourtant, si le Président est quasi-sûr d’être réélu, il n’en va pas de même pour les députés de la majorité. Le visage de l’Assemblée nationale, qui vient de mettre un terme aux travaux de la XVe législature, sera peut-être radicalement différent en juin. En effet, comme le résultat des élections régionales de 2021 l’a confirmé, les partis traditionnels conservateur et socialiste bénéficient encore d’une forte notoriété à l’échelle locale. Le parti au pouvoir n’est pas parvenu à remporter la moindre région lors de ce scrutin, à l’issue duquel le locataire de l’Elysée a assisté, hébété, à la reconduction de l’ensemble des présidents de région sortants. D’autant que certains députés en place, élus sous la bannière de La République en Marche en 2017, ont quitté le groupe éponyme pour rejoindre d’autres formations, de la coalition majoritaire comme de l’opposition. Ainsi en est-il de Mme Michèle Crouzet, députée de l’Yonne ayant choisi de rejoindre le MoDem, ou, plus inquiétant pour le Président, de M. Joachim Son Forget, député des Français établis à l’étranger, qui a annoncé de manière fracassante rejoindre le parti Reconquête ! du candidat d’extrême-droite Eric Zemmour. Le problème en investissant un nombre conséquent de membres de la société civile et de transfuges d’anciens partis, c’est la volatilité de leurs convictions, témoin de leur opportunisme. 

Incertitude 

Rien n’est donc moins sûr que la reconduction d’une majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, ce qui confère un intérêt renouvelé à l’année électorale de 2022. Année législative plus que présidentielle. Une première depuis l’introduction du quinquennat, ce qui fait courir au pays un risque de cohabitation, dans un monde de plus en plus instable, marqué par les volontés expansionnistes russe et chinoise, par une crise sanitaire dont la fin est incertaine et  par une Union européenne vacillante. Il s’agit bien d’un risque, plus que d’une simple potentialité, car le contexte actuel supporte mal l’inertie inhérente à la prise de décisions par consensus. 

Cette incertitude se lit dans les bruits de couloir qui circulent de manière de plus en plus insistante à l’Assemblée nationale. Faisant fi de l’interlégislature, suspension des travaux de mars à juin du fait de la succession des élections, le Président évoque en privé la possibilité de convoquer le Parlement dès son élection, à la fin du mois d’avril, avant le renouvellement de l’Assemblée, le 19 juin. Cette décision, motivée notamment par le laps de temps relativement long qui sépare les présidentielles des législatives, serait inédite dans l’histoire de la Ve République. Le Président pourrait, ainsi, faire voter certaines réformes plus aisément, avant de potentiellement perdre sa très large majorité. Une décision qui serait largement antidémocratique, et qui démontrerait que le vrai enjeu réside en 2022 dans le scrutin législatif, longtemps perçu comme secondaire. 

Au-delà de l’obtention d’une majorité par parti présidentiel, une autre incertitude réside dans la capacité des partis d’extrême droite, démultipliés et renforcés, à obtenir un nombre conséquent de sièges dans l’Hémicycle du Palais-Bourbon. Le mode de scrutin législatif défini par la Ve République, local, à deux tours et non proportionnel comme dans d’autres démocraties, défavorise les candidatures clivantes, permettant la formation de « fronts républicains » contre les extrêmes. Mais les relations entre le parti d’extrême droite historique, le Rassemblement national, et le nouveau parti créé par le polémiste Éric Zemmour, Reconquête !, décideront sans doute du sort de nombreux candidats d’extrême droite à la députation. En effet, un accord de retrait mutuel et une union locale des deux partis permettraient à ces derniers de rafler un nombre non négligeable de circonscriptions. Un enjeu d’influence pour ces deux partis susceptibles de figurer au second tour de l’élection présidentielle, mais dont le poids dans le processus législatif est aujourd’hui négligeable : les députés qui se réclament du Rassemblement national ne sont pas aujourd’hui assez nombreux pour former un groupe politique à l’Assemblée. 

L’élection présidentielle n’est donc pas, pour la première fois depuis l’introduction du quinquennat, au centre de l’année électorale. Et ce, alors même qu’elle est omniprésente dans les médias, au détriment des enjeux de sa petite sœur, l’élection législative, qui concentre pourtant des enjeux et incertitudes bien plus importants. Le résultat de cette seconde élection dépendra éminemment des stratégies adoptées par les différents partis, à la tête desquels le plus éminent, La République en Marche. La démocratie, loin d’être éteinte ou remplacée par une soi-disant « monarchie présidentielle », est encore vivace. Longue vie au parlementarisme.  

Illustré par Victor Pauvert

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.