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Arrêtons de fantasmer le loup !

Récemment, Jean-Marie Bernard, président des Hautes-Alpes, a été condamné à 10 000 euros d’amende pour avoir envoyé une queue de loup à la sous-préfète du département. Il s’agissait d’un acte ostensiblement politique visant à montrer son soutien aux éleveurs attaqués par le loup, et à manifester son désaccord avec la politique du gouvernement, jugée trop favorable à l’animal. Voilà qui illustre bien les tensions qu’attise le loup, alors même que le nombre d’individus de l’espèce n’est estimé qu’à 624. Mais si le geste de Jean-Marie Bernard était indélicat, on peut tout de même essayer de comprendre ses motivations. La cohabitation entre le loup et l’homme est devenue complexe, coûteuse, et parfois tout simplement kafkaïenne. Elle illustre les fantasmes d’une partie de la population, rêvant d’harmonie entre les grands prédateurs et l’homme, et d’une nature sauvage disparue et qu’il faudrait à tout prix réintroduire.

Le loup, nouvelle mascotte des français

Le loup est considéré comme éradiqué en France depuis 1937, date à laquelle le dernier exemplaire est abattu dans le Limousin. Il avait donc disparu de notre pays pendant une bonne partie du XXe siècle, avant de faire son grand retour dans les années 1990, en migrant d’Italie via les Alpes du Sud. Un laps de temps suffisamment long pour changer sa représentation dans l’imaginaire collectif. Autrefois reconnu pour sa cruauté et sa dangerosité (il figurait en bonne place dans les cahiers de doléance des Etats Généraux en 1789), la figure du « grand méchant loup » a longtemps alimenté les contes populaires. L’animal apparaît désormais comme une bête injustement malmenée par l’homme. Devenu l’ambassadeur du monde sauvage, le loup est passé de la détestation à la fascination. L’animal est aujourd’hui la mascotte de toute une génération qui a grandi en dévorant les récits de Game of Thrones, Twilight, et autres romans et films d’héroïc fantasy. Ceux-là ne voient dans le loup que le doudou de leur enfance et l’animal légendaire de leur adolescence, qui hurle à la pleine lune pour d’obscures raisons, et accompagne l’homme dans ses quêtes comme un sympathique Saint-Bernard. Doté d’une telle aura, le loup jouit d’un fort soutien dans l’opinion publique, en particulier auprès des jeunes générations. Ainsi selon un sondage Ifop de 2013, 55% des plus de 65 ans sont en faveur de la présence du loup, contre plus de 85% des 20-25 ans. Là où beaucoup d’autres espèces davantage menacées mais bien moins sexy (le thon par exemple) ne reçoivent que très peu d’écho dans les médias et la population.

Un fantasme bien loin de la réalité des pâturages

A l’affût des bonnes causes empathiques, divers mouvements écologistes ont fait du prédateur une priorité, et militent pour qu’il reprenne toute sa place dans les campagnes françaises, faisant peu de cas des dommages qu’il occasionne. La sacralisation de la nature est au cœur de leur philosophie et accompagne l’idée que tous les animaux participent à l’équilibre de la nature en « régulant la biodiversité ». C’est-à-dire en contribuant par leur régime alimentaire naturel à la non-prolifération des espèces, qui, en surnombre, deviennent nuisibles au reste de l’environnement. La réalité est que le régime alimentaire de ce fin gourmet se compose marginalement de ces espèces « nuisibles », comme le sanglier. Pas encore converti au véganisme, le loup se nourrit principalement d’ongulés sauvages (cerfs, bouquetins, mouflons), mais il est aussi opportuniste et ne se privera pas de croquer une brebis dodue. Pourquoi s’embêter à traquer une proie sur des kilomètres si un paisible troupeau est disponible sur Uber Eats ? Quelques individus, en particulier, font un nombre considérable de victimes à chaque attaque. Par exemple en 2019 en Meurthe-et-Moselle, un loup a été à lui seul responsable de la mort de 136 bovins. Certains loups ne se contentent pas de prélever la bête qui suffirait à leur dîner, et se plaisent à étriper nombre d’animaux sans même les déguster. L’idée d’une cohabitation harmonieuse et spontanée au sein des écosystèmes est donc un peupoil exagérée.

De plus, l’objectif de préservation de l’espèce ignore les difficultés que rencontrent les éleveurs et leurs bergers et met en danger le mode d’élevage le plus sain et vertueux que peut proposer le modèle agricole français depuis le milieu du XIXe siècle: le pastoralisme. Cet élevage extensif consiste à laisser paître son troupeau une large partie de l’année en quasi-liberté dans les alpages. Un mode d’élevage très vertueux car il permet l’entretien des montagnes et des prairies ; et maintient une activité économique indispensable à ces territoires. Les conditions de vie pour les bêtes sont idéales, et probablement les meilleures que pourraient connaître des animaux d’élevage. Or, qui sont les éleveurs attaqués par les loups ? Précisément ceux qui pratiquent ce genre d’élevage, parce que leurs troupeaux sont en extérieur et donc plus vulnérables. En l’occurrence, ce sont 12 000 animaux d’élevage qui ont succombé aux attaques de ce carnassier en 2021. La majorité des pertes concernent les caprins et les ovins, mais de plus en plus de jeunes bovins se font également attaquer par le loup. Ces attaques sont parfois dramatiques pour les éleveurs car, en plus des bêtes tuées, certaines brebis gestantes perdent leurs petits sous l’effet du stress. Autrement dit, les éleveurs payent le prix fort pour la qualité de vie qu’ils offrent à leurs animaux car ceux qui idéalisent le loup militent contre tout abattage. À l’heure où les français sont toujours plus exigeants en termes de bien-être animal, on ne peut que s’étonner de la contradiction que représente le sacrifice d’un mode d’élevage si vertueux sur l’autel de la préservation de leur doudou. Et puis, les éleveurs français, dont la probabilité de suicide est déjà 20 à 30% plus élevée que le reste de la population, ont-ils vraiment besoin d’être accablés d’un tel fardeau ?

Une politique au coût démesuré

Enfin, il faut souligner que ce fantasme du loup a un coût non négligeable pour l’État, et donc pour le contribuable. Il faut tout d’abord indemniser les éleveurs qui ont perdu des bêtes (s’ils se sont bien conformés à l’ensemble des directives de protection en vigueur), ce qui suppose pour eux des procédures longues et fastidieuses, dont ils se passeraient volontiers. L’État doit également engager des moyens considérables pour les aider à protéger leurs troupeaux. Le denier public pourvoit généreusement au financement des chiens de protections – les fameux patous qui terrorisent les randonneurs -, et à leur entretien annuel (autrement dit, les croquettes !), aux salaires des bergers ou encore à l’achat de clôtures électrifiées pour protéger les troupeaux. Auxquels s’ajoutent évidemment les frais de fonctionnement des administrations, celles-ci ayant trouvé dans le loup une nouvelle opportunité de s’illustrer dans ce qu’elles font le mieux : élaborer des circulaires cryptiques, puis se demander comment les interpréter. Des fonctionnaires sont même dédiés à l’autopsie des brebis, au contrôle de la régularité des tirs d’effarouchement ou à analyser les déjections du prédateur pour surveiller la qualité de son alimentation. Ainsi, selon Michel Meuret, directeur de recherche à l’Inra, le coût annuel du loup est estimé à environ 80 000 euros par animal et par an. S’il faut convenir qu’il est difficile de donner un prix à la nature, il semble bien que dans ce cas le coût de la protection de l’animal soit démesuré.

Une stricte protection qui n’a plus lieu d’être  

Actuellement, le loup est juridiquement strictement protégé au niveau international par la convention de Berne et par la Directive européenne « Habitat ». Cela signifie que, sauf dérogation, il est interdit de tuer l’animal. Si ce statut avait un sens lors de sa ratification en 1979 (le loup était en effet alors dans une situation critique dans beaucoup de pays), l’espèce a aujourd’hui très largement repris du poil de la bête. En France, elle a même dépassé le seuil de 500 individus, considéré comme un minimum pour assurer sa pérennité. Il serait donc souhaitable de revenir sur ces textes pour reclasser le loup à un statut moins contraignant. Cela permettrait de faciliter la gestion de l’espèce. Évidemment, revenir sur une directive européenne peut s’apparenter à un chemin de croix, mais au vu de la situation dans nos alpages, il serait pertinent de s’y atteler.         Rendons service au pastoralisme et à nos éleveurs, et cessons donc de fantasmer le loup. Il est avant tout une menace pour l’élevage vertueux de nos alpages, et un coût prohibitif pour des finances publiques déjà bien mal en point.

Illustré par Julie Omri

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Rédacteur de KIP