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Les personnages de Victor Hugo : des héros pour aujourd’hui ?

Des personnages charismatiques

Claude Gueux, Cismourdain, Bug-Jargal, Giliat, Jean Valjean, Han d’Islande, Quasimodo, Gwynplaine. Ces noms vous rappellent peut-être quelque chose. Peut-être vous semblent-ils très étranges. Pourtant, ils ne désignent que des personnes illustres, des personnages plutôt. Tous ont réalisé des actions extraordinaires, pris des décisions exemplaires et été de véritables sources d’inspiration bien qu’ils n’aient existé que dans des livres, ceux de Victor Hugo.

Ce dernier semble avoir une prédilection pour ces personnes hors-du commun : il est très difficile de trouver un de ses romans où n’apparaît pas un de ces caractères que l’on a envie de prendre pour exemple.

Cette importance de l’individualité tranche assez fortement avec l’idéal qui semble émerger de nos jours : celui du collectif. Bien sûr, il continue d’exister des leaders et des individualités particulières, mais nous semblons plutôt désirer bâtir des groupes en mettant l’accent sur le collectif. Quelle place reste-t-il alors pour des personnes ou des actions hors du commun ?

Tentons donc de dessiner à partir de ces personnages de Victor Hugo le portrait d’un de ces héros modernes.

La force physique, un élément devenu secondaire

Une force physique extraordinaire est un attribut central dans l’optique de se démarquer des autres. Si nous sommes très inégaux en cela dès notre naissance, cette différence ne se résorbe que difficilement et souvent de manière incomplète. Les personnages emblématiques de Victor Hugo disposent bien souvent d’une force herculéenne. Pour ne citer que deux exemples, Jean Valjean réussit de manière héroïque à soulever une charrette qui écrasait un homme en train de mourir et Bug-Jargal est un combattant hors pair qui ne laisse aucune chance à ses adversaires. Il semble même que ce soit cette force physique dont ils disposent qui leur donne leur stature et leur autorité sur les autres.

Pourtant, cette force physique est aujourd’hui bien moins attrayante. Si ces personnages nous impressionnent ou constituent parfois des exemples, il ne semble pas que ce soit dû à cette force, en majeure partie du moins. Il y a quelque chose d’autre qu’une force brute qui force le respect et qui les fait apparaître comme des guides. 

D’ailleurs, la force physique est représentée presque uniquement chez des hommes dans ces romans, ce qui pose grandement problème à notre époque où les femmes sont appelées à être tout autant exceptionnelles que ces derniers.

L’exemplarité

C’est donc davantage du côté des qualités morales de ces personnages qu’il nous faut regarder pour espérer trouver des pistes pertinentes pour aujourd’hui. Loin d’être uniquement remarquables du fait de leur corps, ils le sont aussi par leur esprit. Parmi les valeurs que nous plébiscitons encore figurent la droiture et l’authenticité. Jean Valjean représente bien ces valeurs. Dans Les Misérables, alors qu’un homme s’apprête à être condamné à sa place, il décide lors d’une véritable « tempête sous un crâne » (le nom du chapitre où l’on assiste à sa prise de décision) de se dénoncer et permet donc à l’innocent d’être relaxé. Il abandonne sa nouvelle situation de maire construite par de longs efforts, sa réputation ainsi que sa liberté.

Cette force de caractère semble constituer une vraie qualité et surpasse de très loin la force physique qui a ses limites. Que ce soit en entreprise ou en politique, l’exemplarité est nécessaire pour pouvoir se positionner en tant que « leader » d’un groupe. Par ses seules actions, une personne peut entraîner les autres sur la même voie. Sans rien dire, il s’agit de montrer la marche à suivre. Dans les cas contraires, quand les actes ne suivent pas les paroles, on ne peut acquérir aucune légitimité. 

Contrainte ou respect ?

D’ailleurs, il est clair que ce n’est pas par la contrainte que l’on exerce sur les autres ou par la crainte qu’on leur inspire qu’il est possible de fédérer durablement autour de soi. 
C’est ce que montre aussi très bien l’exemple de Claude Gueux. Prisonnier, le personnage éponyme prend un certain ascendant sur ses codétenus. Les gardiens de la prison, qui disposent pourtant de la force, lui en veulent d’être respecté plus qu’ils ne le sont. Il est le seul que ses camarades de prison écoutent avec tant d’attention. Cette autorité ne vient pas de la force. D’ailleurs, ses codétenus le suivront jusqu’au bout puisqu’ils ne bougeront pas quand il leur annoncera sa volonté de tuer le gardien de la prison.

Si la force peut fonctionner un temps, elle n’est ni durable ni stable. Le modèle d’aujourd’hui ne saurait être celui d’un tyran. On suivra quelqu’un que l’on respecte, quelqu’un par qui on se sent également respecté. 

Et, c’est aussi un point important, on peut être amené à suivre quelqu’un sans vraiment savoir pourquoi. Ce thème de « l’autorité naturelle » apparaît à plusieurs reprises dans l’œuvre de Victor Hugo : Claude Gueux dans sa prison, Burg-Jargal qui fédère autour de lui les esclaves révoltés ou encore le marquis de Lantenac qui dans Quatre-vingt Treize permet à ceux qui se sont insurgés contre la république de se trouver un chef. Ils dégagent quelque chose, donnent envie de les suivre. Ce charisme nous l’avons tous déjà aperçu chez quelqu’un et il ne fait aucun doute qu’elle joue un rôle très important. 

Le dévouement et le sacrifice

L’exemplarité peut parfois aller jusqu’au sacrifice. Dans Les Travailleurs de la Mer, Giliatt fait en sorte que celle qu’il aime puisse partir avec son rival. Lui qui était pourtant destiné à l’épouser accepte de se mettre en retrait. A mesure que leur bateau s’éloigne, il se laisse submerger de manière sublime par les eaux, symbole de son sacrifice. 

C’est souvent du dévouement voire parfois du sacrifice que peut naître la grandeur.
Faire passer la cause d’un autre avant soi est une preuve d’humanité mais aussi de force. Et cet altruisme fait paradoxalement grandir celui qui en est l’auteur. Être capable de se mettre au second plan pour laisser grandir une autre personne ou pour qu’un projet puisse arriver à son terme est une qualité extrêmement importante mais très difficile à acquérir. Bien plus que dans l’image d’un homme très puissant physiquement et capable de réussir seul, c’est dans cette image là que réside sûrement une piste à suivre pour ceux qui voudraient montrer la voie aux autres et réaliser de grandes choses. Malheureusement, cette piste est peu suivie. 

Les personnes exceptionnelles, des catalyseurs, pas des dominateurs

Il semble, et c’est là le propos de cet article, qu’un collectif fonctionne mieux lorsqu’il est porté (et non dirigé ou dominé) par des personnalités investies, douées, exemplaires et qui montrent la voie. La petite troupe d’Ursus dans l’Homme qui rit est ainsi portée par ce personnage tout particulier qu’est Gwynplaine. Sans lui, le succès ne serait pas le même. 

C’est parfois du souffle insufflé par une ou plusieurs personnes remarquables que tous les autres membres du groupe se mettent en mouvement et donnent alors le meilleur d’eux-mêmes. Cela peut être vrai dans le domaine associatif (certaines structures reposent très largement sur des personnes qui s’investissent énormément) dans le monde professionnel ou dans celui du sport. Qui ne remarque pas qu’un grand joueur rend toute son équipe meilleure par sa simple présence sur un terrain ?

Le danger du déséquilibre

Non, tout le collectif ne doit pas se mettre au seul service d’une individualité qui aurait toutes les prérogatives. C’est là sans doute que se situe le problème principal, car une coopération fructueuse peut vite devenir unilatérale. L’équilibre n’est pas facile à trouver, car il peut y avoir une tension d’autant plus forte entre l’individu et le groupe que celui-ci est singulier voire exceptionnel. C’est donc là l’équation qu’il faut résoudre, ce qui ne sera jamais chose tout à fait aisée.

Mais serait-il vraiment plus judicieux d’écarter les personnes qui sont à l’origine du dynamisme, de la vision, de l’intensité de chaque projet ?

Non. A travers ces quelques exemples littéraires, c’est cette figure qui se dessine : celle d’une individualité intègre, exemplaire et qui donne envie de la suivre. Tout collectif en a besoin et chacun, dans certaines conditions, peut être cette étincelle. 

Illustré par Julie Omri

Eliott Perrot

Eliott Perrot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Member of KIP and regular contributor.