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L’égalité des chances n’existe pas

Avec courage et détermination, tout est possible. Notre système le permet : nous avons une école, des lycées et des universités gratuites, ouverts à tous ; nous avons des bourses, des aides massives de l’Etat qui bénéficient aux plus démunis d’entre nous. Un système parfait, n’est-ce pas ? Sauf que tout ceci fait partie d’un discours bien ficelé à destination des élites qui ont su profiter de ce système. Soyons francs, les rouages de l’égalité des chances sont rouillés et ne fonctionnent plus depuis longtemps : en France, seulement 17% des enfants issus de familles n’ayant pas fait d’études supérieures accèdent à l’université1Selon une enquête de 2018 réalisée par l’OCDE.. Nous ne sommes pas égaux devant les études : notre famille, notre lieu de naissance influencent encore beaucoup trop nos chances de réussir.

Inégalités et malchance

Les inégalités persistent : les populations les moins aisées le restent et les riches s’enrichissent. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les 20% les moins riches ont deux chances sur trois de ne pas s’enrichir au cours de leur vie. L’école devrait permettre d’atténuer ces disparités. Dans les faits, le milieu social et familial reste un facteur décisif dans la direction des études des jeunes. Apparaissent alors des inégalités géographiques : habiter dans un quartier favorisé, entouré de « bonnes familles » pousse tout naturellement à faire de plus longues études. On y fréquente des lycées plus exigeants, avec de meilleurs professeurs et une meilleure aide à l’orientation pour les élèves. Les conditions de travail sont généralement meilleures et le capital culturel des personnes qu’on fréquente est bien plus enrichissant.

Forcément, lorsque l’on a habité en plein centre de Paris pendant toute son enfance, les lycées d’exception et les filières exigeantes ne font pas peur : ils font partie du décor. Pour un jeune qui vient d’une petite ville par exemple, il est bien plus difficile d’imaginer entrer dans ces filières sélectives, quitter son chez soi pour aller étudier à Paris. La capitale semble lointaine, l’exigence fait peur : la méritocratie est inconnue pour ces oubliés du système.

Cette peur est la conséquence d’une très mauvaise communication sur les filières post-bac dès le collège. Pour les filières plus sélectives, c’est encore pire : les étudiants de quartiers défavorisés ou même de province n’ont jamais entendu parler de la prépa ou du concept des grandes écoles. Les rares qui connaissent ces parcours ne sont pas encouragés à prendre cette voie, même lorsqu’ils en ont les capacités. Rares sont les professeurs de ces milieux qui poussent leurs élèves à tenter plus haut, à essayer de voir au-delà de leur région pour leurs études.

Bien sûr, tout élève n’a pas nécessairement envie de tenter des filières sélectives. Ces dernières ne doivent pas non plus être une finalité absolue. Des voies plus techniques doivent être tout autant valorisées et conseillées. Mais gardons en tête qu’emprunter ces voies sélectives permet de mettre plus de chances de son côté pour trouver du travail et améliorer son standard de vie. Or le concept d’égalité des chances devrait justement permettre à chacun d’avoir conscience de la possibilité de choisir cette voie. La réalité est encore bien loin de cette fiction.

A qui la faute ?

Ne sortons pas tout de suite l’échafaud. Le problème est d’abord socio-économique, car les chiens ne font pas des chats, comme le dit le dicton. Il est logique que les parents dirigent leurs enfants vers ce qu’ils ont eux-mêmes fait, car c’est ce qu’ils connaissent le mieux. C’est naturellement à l’école de combler cette lacune en informant davantage les élèves sur d’autres voies qui pourraient aussi bien leur convenir. Mais les professeurs ne sont pas (toujours bien) formés et n’ont pas non plus le temps de parler d’orientation. Ils sont bien-sûr influencés par leur propre choix d’études : souvent sortis des bancs de la fac, ils sont moins au courant des autres filières et donc moins à même de conseiller au mieux les élèves. Il existe bien des conseillers d’orientations, mais ils sont souvent mal formés et ne connaissent pas réellement les débouchés des différentes études.

Le problème est également culturel : l’élitisme est un gros mot dans les familles les plus modestes. On y juge trop rapidement les représentants de notre pays, les diplômés des écoles les plus prestigieuses en les qualifiant presque immédiatement « d’élite corrompue ». Cette défiance n’est pas réellement créatrice d’ambitions chez les plus jeunes : pourquoi intégrer de prestigieuses écoles pour devenir ensuite un de ceux que notre famille déteste tant ? Cette défiance envers les études n’est pas seulement inculquée par la famille, mais aussi à l’école, où l’ambition est presque devenue un défaut.

La méritocratie n’est plus une valeur partagée en classe, sauf dans de rares lycées, souvent parisiens. Il est assez naturel que les étudiants ne s’imaginent pas tenter des filières sélectives quand leurs professeurs ne leur ont jamais transmis la fierté de faire de grandes études. L’idée n’est pas de stigmatiser ceux qui auraient le plus de difficultés, mais d’encourager le travail individuel, la persévérance dans le travail.  Cette méritocratie, couplée avec une meilleure information sur les filières et les choix de carrière, pourrait permettre de remettre en marche l’ascenseur social.

Comment en finir ?

L’école doit combler les lacunes des parents au sujet de l’orientation de leurs enfants. Aujourd’hui, l’éducation nationale prend le sujet au sérieux, ce qui a donné les cordées de la réussite2Les cordées de la réussite est un dispositif national qui permet à près de 200.000 élèves de la quatrième à la licence, plutôt de milieux défavorisés, d’avoir des sorties culturelles, de préparer des concours et d’être accompagnés par exemple par des étudiants de grandes écoles. C’est une superbe initiative qui mérite de se faire connaître. ou encore le lancement de Parcoursup. Ces efforts sont louables, mais ne suffisent pas à répondre à cette problématique plus large qui date d’avant le lycée. D’abord, il faudrait mieux informer les élèves qui n’ont pas leur famille ou d’environnement studieux pour les conseiller en orientation. Mais on ne traiterait alors que le problème en surface. En réintégrant une culture de la méritocratie dans les collèges et lycées, les inégalités baisseront, et peut-être que l’on verra plus d’enfants de classes défavorisées sur les rangs de la fac.

Cela signifiera que l’école aura un rôle à jouer dans l’éducation des enfants : ils seront davantage guidés par leurs professeurs et des conseillers d’orientation compétents plutôt que leurs parents. Pour cela, il faudra sûrement instaurer des heures de cours supplémentaires, dédiées à l’orientation, avec un suivi personnalisé et l’intervention d’anciens élèves. Ces cours pourront être l’occasion de transmettre aux étudiants des valeurs telles que la méritocratie, le respect, l’écoute : autant de valeurs essentielles, pas tout le temps enseignées par les parents et peu abordées en classe.

L’intervention d’anciens élèves devrait être instituée dans les lycées : ils permettent aux lycéens de se projeter plus facilement voire même se reconnaître dans le parcours des anciens. Aujourd’hui, de nombreuses initiatives indépendantes sont prises par les lycées eux-mêmes, mais jamais il n’a été institué au niveau national une telle mesure d’aide intergénérationnelle. Cette mesure serait à la fois bénéfique pour les lycéens, pour les établissements et aussi pour les anciens élèves puisque l’on aurait une vraie continuité entre les lycées et le post-bac.

Faut-il désespérer pour autant ?

Tout n’est pas négatif, loin de là : notre école fonctionne, et de belles réussites émergent grâce à un système qui, malgré ses défauts, est bien meilleur que chez nos voisins3On pense évidemment aux Etats-Unis par exemple où les frais de scolarité atteignent les sommets (allant jusqu’à 40 000 dollars par an pour la fac).. Grâce aux bourses, aux prêts garantis par l’Etat, des élèves qui viennent de milieux modestes peuvent faire de belles études. Il ne faut jamais oublier la chance que nous avons de vivre dans un pays qui permet à tous d’étudier du primaire jusqu’au doctorat presque gratuitement. Toutefois, ne nous reposons pas sur nos acquis et améliorons davantage ce système qui fait notre fierté : travaillons à rendre notre école encore plus juste.

Maxence Delespaul

Maxence Delespaul

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Président de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). President of KIP and regular contributor.