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Illustration de Kim Provent pour KIP

Revitaliser la démocratie sous la Ve République

Depuis quelques décennies, la Ve République est devenue une sorte de “Monarchie républicaine”, donnant les pleins pouvoirs à un Président élu pour cinq ans, responsable de rien et devant personne, et pourtant omniprésent dans le paysage politique et médiatique du pays. Du moins, c’est la critique des détracteurs de la Ve République. 

            Et s’ils avaient raison ? Et si les principales convulsions que connaît la France depuis une trentaine d’années n’étaient pas exacerbées par ce régime, très efficace, mais peu inclusif et trop vertical ? Loin d’appeler pour une VIe République nous ramenant aux mirages de la IIIe, ne faudrait-il pas repenser notre système actuel, pour notamment remettre la démocratie française à l’avant-garde de l’Humanité ? 

Les tensions politiques actuelles, résultat d’un problème de représentation politique ?

            La France, depuis 1789, a connu 18 régimes politiques et autant de troubles politiques qui ont parfois débouché sur des révolutions. La France est donc un véritable laboratoire des constitutions et des idées politiques. Et l’histoire constitutionnelle française oscille, comme un pendule, d’un déficit de représentation à l’instabilité chronique. Si le déficit de représentation résulte de l’hyperpuissance de l’exécutif, à l’image de la monarchie absolue, l’instabilité chronique, celle des  IIIe ou  IVe Républiques, nous montre qu’un parlementarisme excessif mène tout autant la démocratie à la perte.

            La Ve République n’échappe pas à cet équilibre fragile entre nécessité d’un pouvoir fort, capable d’incarner un pays dont les ambitions restent mondiales, et l’adhésion à un système de représentation digne d’une démocratie moderne. Le Général de Gaulle et Michel Debré réussirent brillamment à concilier ces deux impératifs. Avec une participation électorale aux élections nationales qui bat largement celle de nos voisins, des élections quasiment tous les ans (élections européennes, municipales, régionales, départementales) et la protection supplémentaire de notre Constitution par un Conseil constitutionnel enfin capable de la défendre – et à travers la QPC issue de la réforme de 2008, autorisé à être sollicitée par les justiciables – jamais la France n’a paru aussi démocratique.

            Et pourtant ! Les démons de notre histoire reviennent. Ces 20 dernières années, la France a souffert : deux crises économiques, une crise sanitaire, des tensions politiques qui illustrent un pays fracturé en 2 voire en 4… 1En 2017, Emmanuel Macron, Marine Le Pen, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon ont réuni entre 18% et 23% des votes au premier tour de la présidentielle. S’il existe de croisements entre ces quatre blocs, ils restent largement homogènes et irréconciliables. Tout l’enjeu dans les prochaines années sera de savoir si ces blocs resteront aussi homogènes. Il faudra donc regarder avec intérêt “l’Union des droites” prônée par certains cadres du RN ou la possibilité d’un nouveau programme commun de la gauche – réunissant le bloc Mélenchoniste et l’aile gauche du Macronisme, déçue du tournant pris. Notre système politique apparaît à bout de souffle, essoufflement que l’élection d’Emmanuel Macron n’a pas ralenti, loin de là. De toutes parts, la confiance est sapée : la confiance envers le gouvernement d’abord, mais aussi envers les autorités sanitaires, envers le discours officiel, envers la vérité;  tendance symbolisée par la généralisation de l’expression trumpienne « fake news » dans nos médias et dans l’espace public. Jamais autant au XXIe siècle les Français auront démontré autant de méfiance envers leurs institutions. La crise des Gilets Jaunes fut un cri de méfiance envers les institutions politiques et leur légitimité. Le succès des anti-vaccins ou du professeur Raoult pendant la crise Covid-19 illustre cette fois la méfiance envers les autorités sanitaires et à une certaine vision de la science.

Et si la racine du problème, que l’on impute souvent aux fractures territoriales et économiques, était la confiance dans notre système représentatif ?

            Notre système politique donne les pleins pouvoirs à 40 % des Français (un président élu au second tour à 52% avec une abstention de 20% est élu par environ 20 millions de Français). Mise à part la rue, le reste des Français ont-ils d’autres moyens de faire vivre leur voix pendant ce quinquennat ?

            Cette défaillance dans la représentation de la Ve République la fait actuellement vaciller. Pour la première fois depuis 1958, une sorte de crise politique permanente noie l’action politique. Aujourd’hui, notre agenda politique suit la même logique de l’homme providentiel : l’élection d’un président quasiment aux pleins pouvoirs pendant 5 ans ; président dont les français attendent beaucoup, qui déçoit forcément et qui devient donc structurellement impopulaire ; impopularité qui sape son capital politique et lui empêche de réformer voire de gouverner ; inaction politique qui facilite l’émergence d’un nouvel homme providentiel jurant de réformer ; élection de cette nouvelle figure qui reçoit quasiment les pleins pouvoirs… et c’est reparti pour 5 ans.

            Au fond, le Gilet Jaune a-t-il protesté sur les Champs Élysées car il ne gagne pas assez ou car il ne se sent pas écouté ? Posons la question différemment : un pays qui compterait différents canaux de participation politique connaîtrait-il autant de violences dans les rues ? Toute société qui ignore les injustices (légitimes ou pas) que ressent une partie des siens est condamnée à s’embraser. Tel est la raison d’être du système représentatif : donner une voix à tous.

            C’est la France de 1789 qui nous sert d’exemple. La France, alors le royaume le plus riche d’Europe, sombra en quelques mois dans un chaos de violence et de haine. Pendant des années, les revendications du tiers-état avaient été balayées par les Parlements… Alors, le tiers-état a appris la leçon : quand on décide à votre place, quand le système est fait de telle sorte à ce que vous ne puissiez exprimer vos frustrations, ces frustrations, vous les exprimez vous-même, mais à votre manière… Et pas de manière pacifique. Victor Hugo n’en dit pas moins quand il chante les mérites du suffrage universel, censé canaliser les sentiments du peuple : « Le suffrage universel dit à tous, et je ne connais pas de plus admirable formule de la paix publique :  soyez tranquilles, vous êtes souverains […]. Le suffrage universel en donnant un bulletin à ceux qui souffrent, leur ôte le fusil. En leur donnant de la puissance, il leur donne le calme. Tout ce qui grandit l’homme, l’apaise ».  Alors plus que jamais, repensons la participation politique !

Ces enjeux ne se limitent par ailleurs pas aux frontières françaises, mais concernent toutes les grandes démocraties occidentales, en particulier les Etats-Unis.

Les deux canaux de participation politique, le référendum comme les élections, sont aujourd’hui grippés…

            C’est bien le problème, le référendum n’est plus réellement utilisé en France. La Ve République, considérée comme un « régime semi-représentatif », innova avec l’introduction du référendum, puisque jamais le recours direct au peuple, associé au bonapartisme, n’avait été permis dans une Constitution républicaine. Néanmoins, la pratique politique a fait que la Ve République s’inscrit davantage dans la continuité du régime représentatif. En effet, le référendum n’a pas pu s’épanouir comme outil de démocratie semi-directe car il s’agit d’un outil exceptionnel et très peu utilisé. Ainsi, s’il fut employé 4 fois par le Général de Gaulle en 11 ans, il le fut seulement 5 fois ces 36 dernières années, et aucune fois depuis 2005. Du fait que la consultation du peuple se raréfie, la Ve République est redevenue un régime pleinement représentatif.

            Il est nécessaire de se méfier du référendum tel qu’il est actuellement prévu par la Constitution. Tout d’abord, l’ombre du dirigeant qui convoque le référendum est telle qu’il en devient aisément un plébiscite pour ou contre lui, comme nous l’ont montré les référendums de 1969 contre le Général de Gaulle ou de 2016 en Italie contre Matteo Renzi. Ensuite, le référendum est un outil qui a la fâcheuse tendance de simplifier un débat complexe entre deux issues : oui ou non. Une démocratie saine n’est-elle pas celle qui débat sereinement dans l’espace public de l’avenir du pays afin de trouver un compromis ? L’expérience du Brexit au Royaume-Uni nous montre que le référendum apporte difficilement des solutions à des questionnements légitimes et complexes. Ces questionnements, qui engagent souvent tout l’avenir d’un pays, méritent au contraire d’avancer ensemble et de construire intelligemment le destin de la France.

            Les élections, quant à elles, qu’elles soient présidentielles, législatives, européennes, régionales, départementales ou municipales sont, et doivent rester, le moyen privilégié de l’expression de notre démocratie. Cependant, l’abstention est galopante depuis quelques décennies : elle atteint 37,9 % au second tour des municipales en 2014 (moyenne autour de 28 % depuis 1958), voire 57,36 % au second tour des élections législatives de 2017, confirmant le sentiment d’impuissance ou d’indifférence du Parlement et des collectivités que peuvent ressentir les Français par rapport aux présidentielles. Plus encore, le mode de scrutin à deux tours multiplie le nombre d’élections, donne un sentiment de campagne électorale permanente et favorise l’absentéisme. Sur un seul quinquennat, les Français sont appelés à se déplacer en moyenne 10,8 fois. C’est beaucoup trop, pour parfois des résultats peu visibles, ce qui renforce un sentiment d’impuissance de l’action publique. Peut-être faudrait-il les concentrer lors de sessions électorales : réunir un même jour les élections régionales et municipales pourrait en ce sens constituer une initiative pertinente.

Il est nécessaire de repenser la participation politique pour donner un second souffle à la Ve République

      Le premier constat qu’il est nécessaire de faire, et que la majorité des constitutionnalistes partagent, c’est de l’impératif de préserver la Ve République. Pendant 150 ans, la France a connu une instabilité institutionnelle et donc politique quasi permanente qui lui auront coûté cher, en développement économique comme en guerres. 2La défaite en 1940 est notamment amputée aux institutions de la IIIe République (L’étrange défaite, Marc Bloch). Nous jouissons aujourd’hui d’une constitution qui a certes ses défauts, mais qui est un véritable chef d’œuvre au vu de notre histoire.

Quelques faits :          

  • Avant, on changeait de Constitution ; aujourd’hui on change la Constitution.
  • Avant, la Constitution était le produit d’un clan politique dont la chute entraînait celle du régime ; la Constitution d’aujourd’hui est le produit d’un compromis entre le Général de Gaulle et les partis traditionnels de l’époque.
  • Avant, chaque crise politique s’accompagnait de la crainte d’un changement de régime ; la Ve République a pour sa part survécu à l’indépendance de l’Algérie, au départ du Général de Gaulle, à l’alternance de 1981, aux attentats de 2015-2016 et survivra sans doute aux crises engendrées par la Covid-19…

Le système politique français s’appuie actuellement sur l’un des régimes politiques les plus stables et solides que la France ait connu dans son histoire. Mieux encore, une Ve République davantage participative pourrait parfaitement s’envisager dans le cadre de la Constitution actuelle.

Une telle hypothèse peut tout d’abord s’envisager grâce à la flexibilité de la Ve République. Flexible car la Constitution est facilement révisée – 19 révisions depuis 1992, elle l’est aussi parce qu’elle donne une large marge de manœuvre pour les pratiques politiques. Régime présidentialisé en cas de fait majoritaire, lorsque le chef de l’Etat a une majorité absolue à l’Assemblée nationale, ou régime pleinement parlementaire en cas de cohabitation, lorsque la majorité parlementaire est de bord politique opposé au Président de la République, le système politique français peut être totalement transformé en fonction des circonstances et des rapports de forces issus des élections législatives.

La Constitution n’est donc pas la cause des excès de la Ve République. Certaines caractéristiques critiquées de la Ve République par une partie du bord politique – présidentialisation, « le monarque présidentiel » – résultent moins des institutions que des pratiques politiques. La présidentialisation, c’est-à-dire le processus par lequel les pouvoirs du Président de la République se sont élargis depuis 1958, s’est amorcée principalement par le fait majoritaire. En effet, grâce à celui-ci, le chef de l’Etat a pu contrôler en même temps le gouvernement et l’Assemblée nationale. Cette pratique politique a eu une conséquence : le Premier Ministre n’est dans les faits qu’un simple collaborateur du Président de la République et le Parlement une simple chambre d’enregistrement. Il est donc moins nécessaire de changer la Constitution que de s’attaquer aux pratiques politiques qui entravent une représentation saine et inclusive de la société française.

Mais comment repenser concrètement la participation politique et une réforme éventuelle de la Ve République ? 

Réfléchissons à quelques propositions : 

Élargir le Référendum d’Initiative Partagé, ou même instaurer un Référendum d’Initiative Citoyenne.

            Une participation fréquente des citoyens pourrait se faire à travers l’introduction de nouveaux mécanismes de démocratie semi-directe ou de démocratie participative, à l’image du « référendum d’initiative citoyenne » souhaité par les Gilets Jaunes. Aujourd’hui, le mécanisme est trop complexe et illisible pour être effectif. Il permet la convocation d’un référendum si un dixième du corps électoral (soit 4,5 millions de Français) soutient une initiative d’un cinquième des parlementaires, ce qui rend ainsi quasiment impossible sa mise en œuvre. Suite au Grand Débat au printemps 2019, Emmanuel Macron avait promis d’abaisser le seuil du corps électoral à 1 million. C’est un bon début, mais 1/5 des parlementaires  limite encore l’utilité d’un tel mécanisme. 

Redonner une marge de manœuvre au Parlement.

            L’hyper-présidentialisation est la cause de l’impopularité structurelle des présidents actuels. Il empêche de véritables contre-pouvoirs de fonctionner. Redonner une marge de manœuvre au Parlement peut faire sans remettre en cause la nature primale du chef de l’Etat, élu au suffrage universel, tel que prévu dans la Constitution et inscrit dans l’esprit de la Ve République. Il est par ailleurs nécessaire d’en finir avec le Premier ministre collaborateur du chef de l’Etat. Il faudrait donc affaiblir le fait majoritaire afin d’obliger le Président à ne pas prendre son premier ministre pour acquis et de faire de ce dernier le véritable chef d’orchestre de la majorité. Seul un changement du mode de scrutin permet d’atteindre ces objectifs : la proportionnelle. La promesse non tenue d’Emmanuel Macron d’introduire une dose de proportionnelle de 20 % était une proposition calibrée et pertinente qu’il est urgent de reprendre, surtout que les enquêtes d’opinion montrent que l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives est plébiscitée par les Français.3Pour ceux qui agitent la proportionnelle comme un épouvantail de notre République, compte tenu de son histoire d’instabilité et de rivalités partisanes, il est possible de rappeler qu’un référendum pourrait être tenu cinq ans ou dix ans après la mise en place de la dose de proportionnelle pour confirmer ou infirmer ce changement du mode de scrutin – tout en lui laissant une chance pour faire ses preuves.

            Outre la proportionnelle, de nouvelles prérogatives du Parlement permettraient un débat plus sain et plus représentatif de toutes les couleurs politiques. Ces nouvelles mesures pourraient inclure :

  • Le renforcement du pouvoir des commissions parlementaires, afin de rivaliser avec les moyens techniques du Gouvernement et de faciliter l’accès au Parlement des moyens techniques du Gouvernement (la Cour des Comptes collabore par exemple avec les députés, mais il faudrait le faire rentrer dans la pratique politique ; idem pour le Conseil d’Etat conseiller du Parlement) ;
  • La faculté du Parlement d’imposer une étude d’impact pour les projets de lois les plus importants ;
  • L’incitation à l’amélioration de la qualité de la délibération parlementaire : moins d’amendements possibles, discussion générale moins longue, discuter du texte issu de la commission….

            Il est aussi nécessaire de s’inspirer de nouveaux mécanismes de participation directe à tous les échelons administratifs.

  • Encourager le budget participatif chez les collectivités : il s’agit de donner voix aux citoyens concernant la gestion de projets concrets, voire de leur permettre de participer à l’élaboration du budget de la collectivité (idées d’investissements, financement…). En plein essor depuis quelques années, pas moins de 80 collectivités dont de grandes villes comme Rennes, Grenoble ou Metz prévoient déjà un mécanisme de nature similaire. Une telle expérimentation a également eu lieu à Paris. Si les initiatives restent locales, on pourrait envisager un mécanisme au niveau national.
  • Les référendums locaux : actuellement les référendums décisionnaires locaux ne sont que consultatifs. Ainsi, le gouvernement Philippe a pu passer outre le vote positif des habitants de Loire-Atlantique sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. On pourrait envisager de le rendre contraignant. Dans un tel cas, une révision de la Constitution serait certainement nécessaire. Plus encore, les consultations locales sont difficiles à mettre en œuvre : seuils de signatures élevés, avec 20 % des électeurs dans les communes et 10 % dans les départements et régions. Abaisser les seuils à 10 % et 5 % respectivement serait un bon signal envers la démocratie locale.

Conclusion

            Une Ve République exclusivement représentative, qui l’est devenue par les pratiques politiques, et qui le restera sans réforme, ne répond plus aux exigences démocratiques de notre temps. Pour sa survie, pour qu’elle reste pour toujours la meilleure République et même le meilleur régime que la France ait connu, n’ayons pas peur des spectres de l’instabilité. La proportionnelle, l’élargissement du RIP, voire le RIC, ou encore les consultations citoyennes sont aujourd’hui plus que jamais nécessaires pour assurer une représentation digne de notre démocratie et qui donne effectivement à tous, une véritable voix et une place dans l’avenir politique de notre pays.  

Diego

Diego Davo

Diego Davo

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Secrétaire Général de KIP (2020-2021).

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Secretary General of KIP (2020-2021).

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