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Illustration par Julie Omri pour KIP.

La prépa : vecteur de l’égalité des chances ?

La prépa est-elle réservée aux enfants de l’élite française ? Ses portes sont-elles ouvertes à tous, indépendamment de l’origine sociale des élèves qui y prétendent ? Ces questions ont le mérite d’être posées, surtout lorsque l’on sait que les Classes Préparatoires aux Grandes Écoles (CPGE) ont précisément pour but de former l’élite de demain. L’existence des classes préparatoires semble répondre à la volonté républicaine de permettre l’égalité des chances, mais le manque de diversité dans ses rangs laisse penser qu’elle n’est réservée qu’à une élite riche qui sort déjà des meilleurs lycées français. 

La prépa, un élitisme à la française ?

Afin de répondre à cette question, il faut d’abord s’interroger sur les raisons de la création des classes préparatoires. L’avènement de la prépa coïncide avec la création des premiers concours nationaux dont la difficulté s’est accentuée avec le temps et nécessite dès lors une préparation plus approfondie. Spécificité française, la prépa répond alors au besoin de former les élèves aux concours ouvrant les portes aux grandes écoles, auparavant réservées aux membres de la noblesse. Ainsi, la création des concours et des prépas fut initialement le moyen pour la République de permettre à chacun de prétendre à devenir l’élite sur le seul mérite de son travail, et non plus grâce au nom de famille.

Néanmoins, derrière ces beaux objectifs datant déjà de près de deux siècles1La première prépa a été créée en 1853 pour préparer Polytechnique., les critiques sont nombreuses et ont émergé de toutes parts, principalement ces vingt dernières années où la reproduction des élites est devenu un sujet de société majeur. La prépa ne serait plus qu’une école à former des élèves de bonne famille déjà prédestinés à devenir les futurs patrons des entreprises du CAC 40. La question de la diversité en classe préparatoire se pose dès lors que l’on constate que les grandes écoles manquent elles-mêmes de diversité. Le journal suisse Tages-Anzeiger titrait même “les grandes écoles françaises souffrent de consanguinité”  il y a 15 ans. Les CPGE ont leur part de responsabilité. On juge la prépa de « machine à élites » et elle fait même l’objet d’une enquête du Sénat en 20062Le Sénat rendait compte notamment du manque de diversité des profils dans les CPGE. Parmi les propositions se trouvaient la volonté de permettre aux élèves de mieux « oser » la classe préparatoire et d’avoir un meilleur accompagnement lors de leur prépa. pour son manque de diversité.  Mais qu’en est-il vraiment ? Les chiffres ne sont pas en faveur des CPGE. En effet, seuls 28,9% des préparationnaires sont boursiers, contre presque 40% en université en moyenne. Comment expliquer ce décalage ? Près d’un élève sur deux en classe préparatoire a un père cadre ou de profession intellectuelle supérieure. Ce taux passe à 30% pour les élèves en filière universitaire. Mais est-ce les CPGE qu’il faut blâmer pour ces chiffres peu flatteurs ?  Faut-il vouloir la fin des prépas ?

Supprimer la prépa ? Certainement pas !

D’abord, il paraît important de rappeler que les classes préparatoires ne sont plus la voie obligatoire pour intégrer une grande école. Aujourd’hui, les grandes écoles veulent à tout prix ouvrir leurs rangs à des profils plus variés, mettant fin à la domination de la prépa dans les cursus de leurs élèves. Des élèves qui sortent d’université peuvent prétendre aux grandes écoles, via les admissions sur titre (AST). Ainsi, à l’EM Lyon notamment (4e école de commerce de France), plus de la moitié des admis en première année ne sortent pas d’une CPGE. Néanmoins, la prépa reste une voie obligatoire pour la grande majorité des grandes écoles, particulièrement lorsque leur classement est plus élevé. Pour les entreprises comme pour les écoles, la CPGE reste la voie royale. Ainsi, sur les 420 élèves admis à Polytechnique, seuls 28 viennent d’une filière universitaire, soit à peine 7% des effectifs de première année. 

La prépa reste donc la voie dorée pour intégrer des grandes écoles, et avoir accès ensuite à des métiers à haute responsabilité. Justement, il est plus facile de réussir sa vie professionnelle en sortant de classe préparatoire, ne serait-ce que parce qu’elle apprend des méthodes de travail appréciées par les futurs employeurs. Les classes préparatoires permettent de passer les concours qui ouvrent la porte aux écoles qui forment les dirigeants de demain : si la prépa ne favorise pas toujours l’égalité des chances, la supprimer serait contre-productif.

Ce serait en effet supprimer une école qui ne juge ses élèves qu’au mérite de leurs efforts et de leur détermination pendant deux voire trois ans pour intégrer. Il n’existe pas d’alternative plus juste que les classes préparatoires. Comment départager des élèves sur une base fiable et de façon totalement égalitaire, si ce n’est par un concours ? La prépa donne les mêmes armes à chacun pour réussir aux concours. Seuls la volonté, la résistance au stress et le travail fourni différencient les élèves. Mais alors pourquoi penser qu’elle ne participe pas encore totalement à l’égalité des chances ? S’il est difficile de contester que la prépa est un réel ascenseur social, on ne peut ignorer le manque de diversité sociale qu’il existe en CPGE. Si les classes préparatoires étaient vraiment un pilier de l’égalité des chances, il n’y aurait pas autant de fils de cadres dans ses rangs.

Comment expliquer le manque de diversité dans les classes préparatoires ?

Une majorité des CPGE sont gratuites et publiques (70% d’entre elles). Parmi elles, se trouvent d’ailleurs des prépas très réputées (Henri IV, Louis Le Grand). Nombreuses sont celles qui proposent un internat à prix abordable pour les boursiers ce qui constitue une chance de s’éloigner d’un univers familial parfois peu propice au travail. Certes, les conditions d’hébergement en internat ne sont pas toujours idéales. Cependant, c’est un problème général qui ne concerne pas seulement les classes préparatoires mais aussi de nombreux établissements du Crous par exemple. 

Si les classes moyennes et moins aisées sont généralement moins représentées en prépa, il faut se demander quelles en sont les procédures d’admission. La procédure généralisée de Parcoursup permet une sélection des élèves sur leurs notes et les appréciations de leurs professeurs. Ainsi, un élève d’un lycée provincial qui a travaillé sérieusement et avec détermination pendant ses années de première et de terminale a théoriquement toutes ses chances d’entrer dans une classe préparatoire parisienne. Cependant, la réalité ne colle pas tout à fait avec ces belles promesses. Les dossiers d’élèves qui viennent de grands lycées parisiens s’imposent généralement devant ceux de plus petits lycées. Mais l’existence de quotas pour les élèves non-parisiens dans les prépas publiques parisiennes répond à cette problématique et permet à de très bons élèves de province de prétendre aux grandes écoles. Il paraît aujourd’hui important d’étendre cette mesure pour qu’un maximum d’élèves méritants puissent bénéficier de la possibilité d’étudier dans ces grandes classes préparatoires. Recentrer l’admission sur le seul mérite scolaire tout en prenant garde à ne pas trop privilégier les élèves de bons lycées parisiens est peut-être le plus grand défi de la prépa pour qu’elle puisse réellement défendre l’égalité des chances.

Malgré ce constat, les efforts des prépas vont dans le bon sens, avec notamment la création de classes préparatoires dites de « proximité », pour les élèves ne voulant pas étudier à Paris. Aussi, il faut souligner que la part de boursier en CPGE est passée de 17,1% en 2001 à presque 29% aujourd’hui, taux qui reste cependant en dessous de la moyenne nationale. La prépa n’est pas à blâmer pour ces chiffres  : ce n’est pas que les boursiers n’y ont pas leur place, c’est plutôt qu’ils ne veulent pas ou hésitent à l’intégrer. Comme le dit le président de l’Aphec3L’Aphec est l’association des classes préparatoires économiques et commerciales. Alain Joyeux dans un entretien accordé au Figaro,« j’aimerais attirer plus d’élèves boursiers issus de lycées périphériques ou de territoires ruraux ». La prépa est victime de ses clichés, elle est souvent jugée trop difficile, trop élitiste voire même trop parisienne. La responsabilité revient aussi aux lycées qui, trop souvent, ne connaissent pas ou ne conseillent pas aux élèves à bon potentiel de partir dans cette voie. Lorsque l’on a la chance d’être dans un lycée parisien élitiste, le choix d’une CPGE fait sens, alors que lorsque l’on vient d’un lycée de province peu renommé, la prépa est une réalité lointaine et inaccessible. Comment se décider à sacrifier deux ans de sa vie pour des études dont on a à peine entendu parler ? Ces étudiants provinciaux, bercés par de faux aprioris soutenus par leurs amis, familles ou même lycées n’ont pas le soutien nécessaire pour envisager sérieusement cette voie qui pourrait pourtant leur plaire. 

Plus globalement, le problème vient aussi de l’environnement familial des élèves modestes qui ne connaissent parfois même pas l’existence des classes préparatoires. Un élève de terminale a bien plus de chance de faire une prépa si ses parents ont fait le même parcours. C’est à l’État, via l’école, que revient la tâche d’aider les élèves de lycées modestes à envisager le passage en CPGE, quelles que soient leurs origines sociales. Dans le rapport du 14 octobre 2019 de l’Éducation Nationale rapporté à Dominique Vidal, est présentée cette problématique de diversité dans les grandes écoles et en classes préparatoires. Mais la réponse envisagée est mauvaise : il y est proposé de garantir des points supplémentaires aux élèves boursiers aux concours pour les encourager à s’engager dans cette voie. Mais ce serait là pervertir le vrai but des classes préparatoires qui est précisément de donner une chance égale à tous. Peut-être faudrait-il plutôt songer à faire taire les rumeurs d’élitisme de la prépa et de la présenter comme ce qu’elle est vraiment : un parcours exigeant qui donne une chance à tous de faire partie de la future élite française.

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Maxence Delespaul

Maxence Delespaul

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Président de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). President of KIP and regular contributor.