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Pourquoi la majorité ne survivra pas à Emmanuel Macron ? Épisode 3 : Un pour tous, tous pour un

C’était un après-midi de septembre 2022. Le Président de la République recevait au Palais les candidats de la majorité malheureux à leur réélection à la députation. Pour leur promettre une voix, évidemment. Mais aussi dans une visée beaucoup plus cynique : les convaincre d’attendre pour choisir un poulain dans la course à sa propre succession. Ainsi les prétendants les plus sérieux – et sans doute les moins discrets – en ont-ils pris pour leur grade, du déserteur Édouard Philippe au fayot Gérald Darmanin. Le Président agissait là dans une visée bien claire : faire l’ombre sur un éventuel futur de la coalition majoritaire. Un futur sans son fondateur, sans son modèle. Inenvisageable pour l’heure, un remplacement d’Emmanuel Macron dans le rôle de leader de cette majorité composite est très compromis. Pire, cette coalition des centres périra en même temps que la vie politique de son fondateur. 

Épisode 3 : Un pour tous, tous pour un

La campagne de 2022 a peu passionné les Français. Des sondages peu fluctuants, sans surprise, matérialisaient ce qu’exprimait clairement Marianne dans sa une du 24 février1Le 24 février 2022, Marianne titrait à sa une : « Ce n’est pas que Macron soit génial, mais ils sont tellement nuls » : aucune alternative crédible au Président Macron n’est parvenu à s’installer lors ce combat électoral de presque un an. Mais si, indéniablement, aucun candidat n’était à la hauteur pour battre le Président sortant, la majorité, unie comme un seul homme autour de son chef, n’a laissé aucune opportunité à une figure crédible d’émerger. Une campagne à la stratégie efficace, misant moins sur l’adhésion que sur le rejet de toute forme d’opposition, ce qui ne présage rien de bon pour l’avenir d’un parti de plus en plus centralisé et de moins en moins accepté dans la sphère politique.

Jupiter, encore et toujours

La campagne de réélection d’Emmanuel Macron fut foncièrement singulière lorsqu’on la compare aux échéances électorales contemporaines. La figure jupitérienne que le Président avait tenté de diluer après l’insurrection populaire des Gilets jaunes est réapparue comme par enchantement. Plus que jamais affirmée, cette position altière constitue une recette électorale efficace pour conquérir à nouveau un pan important de sa base électorale de 2017. Un cas d’école de la politique du chose promise, chose due. 

Ainsi le Président opte-t-il pour une campagne qui n’en est pas une, fondée sur un argument : un Président sortant est avant tout un Président, et doit se comporter comme tel. Secret de Polichinelle, la campagne de réelection d’Emmanuel Macron n’est annoncée que le 3 mars, à 38 jours seulement du premier tour. De quoi susciter l’indignation de l’opposition, qui s’insurge contre des pratiques jugées anti-démocratiques. 

Il faut reconnaître que celui qui aime se qualifier de « maître des horloges » a été pris par le temps et l’actualité. Alors que l’annonce officielle de la campagne devait avoir lieu fin février, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24, a contraint le Président a enfiler sa casquette d’intermédiaire, voire, diront certains, de chef de file du monde libre en Europe. Les coups de fil répétés avec Vladimir Poutine, les déclarations officielles à l’échelle européenne requièrent toute l’attention et le temps du chef de l’État. Cette attitude incarne une volonté de s’affirmer comme le leader d’une Europe politique orpheline de sa grand-tante, l’ex-chancelière Angela Merkel, qui a passé le flambeau en fin d’année dernière. Position légitimée par le contexte de présidence française de l’Union européenne, de janvier à juin 2022, qui tombe mal, en pleine période électorale. 

Le jupitérisme présidentiel était donc particulièrement légitime dans ce contexte de menaces et d’exposition internationale. Un contexte qui place l’exécutif dans une position politique délicate : si le refus de faire campagne est vivement dénoncé par les oppositions qui peinent à s’affirmer dans ces conditions, le choix par le Président sortant de se jeter à corps perdu dans la bataille électorale aurait été perçu comme un abandon stratégique de poste, dans une situation critique pour le pays.

Trop de débat tue le débat

Si certaines oppositions ont reconnu que le contexte ne jouait pas en faveur d’un débat démocratique optimal, toutes ont déploré l’obstruction systématique de la majorité à un débat réunissant les candidats, dont le Président sortant, avant le second tour. Les traditionnelles confrontations d’idées en direct ont été remplacées par les interviews successives des différents candidats, qui n’ont fait que se croiser dans les coulisses des plateaux des différentes chaînes de télévision. Rien de passionnant, d’autant plus que certaines chaînes ont volontairement choisi, pour des raisons de règles d’équité de temps de parole, de se passer du témoignage des « petits » candidats. Aucune opportunité, donc, pour Jean Lassalle et bien d’autres, de confronter ses idées au bilan et au programme du chef de la majorité. 

Quoi de plus efficace pour attiser la rancœur de l’opposition que cette attitude si altière ? Peu de choses, ce qui est confirmé par leur stature depuis le début du second mandat d’Emmanuel Macron : celle d’un rejet systématique, sans débat non plus, des propositions du Président réélu et de son gouvernement. La majorité agace donc de plus en plus dans la sphère politique et se crée des ennemis qu’elle pourra difficilement mobiliser à nouveau en 2027 pour faire barrage à l’extrême-droite.

Pire encore, le quatrième pouvoir des journalistes, celui d’informer et d’analyser objectivement les programmes des différents candidats, a été entaché par le refus d’Emmanuel Macron de se confronter à certaines vedettes de la presse. Dans la continuité de son idéologie libérale, le Président ne porte pas l’audiovisuel public dans son cœur. C’est en particulier le cas pour la présentatrice phare du 20 heures de France 2, Anne-Sophie Lapix. Alors que son homologue de TF1, Gilles Bouleau2Sur la question de l’équité des temps de parole, un article du même auteur est à retrouver à ce lien : http://kipthinking.com/lequite-des-temps-de-parole-un-scandale-democratique/, a très naturellement été invité à modérer le débat d’entre-deux-tours entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, c’est Léa Salamé, animatrice politique du service public, qui est préférée à Anne-Sophie Lapix par les deux candidats au second tour. En cause selon un article de Libération3https://www.liberation.fr/politique/anne-sophie-lapix-ennemie-mediatique-numero-1-de-macron-et-le-pen-20220405_HNWOYAJE7ZHFLOTBZS6LM6YE3I/, un « ton trop offensif », notamment lors d’une interview d’Edouard Philippe, alors Premier ministre du même Président. Plus généralement, il est reproché à la tête d’affiche de la 2 une ligne trop décliniste dans l’énoncé du journal quotidien. 

Bref, celui que les journalistes nommaient non sans dérision le « Président-candidat » s’est fait un point d’honneur à choisir ses rares passages à la télévision, les conditions de ces passages et l’identité de ses interviewers. Une vision singulière de la liberté de la presse.

Service après-vente

Quel rapport entre le présent développement et le destin du parti présidentiel, s’interrogera le lecteur aguerri. Au rebours de la thèse de cette série, ce relatif effacement de la personne du Président devrait conduire à l’émergence de figures susceptibles d’incarner la relève de celui qui entame son dernier mandat. 

La réalité se contente malheureusement peu des évidences. Poussons donc plus loin le raisonnement : si le Président-candidat fait peu d’apparitions sur les plateaux pour honorer les impératifs de la fin de son premier mandat, les figures de la macronie sont contraintes de se cantonner à un rôle de porte-parole, de béni-oui-oui, rendant peu probables ni souhaitables les initiatives personnelles. Le discours des ministres Bruno Le Maire, Gérald Darmanin ou Olivier Véran est alors convenu, lisse et peu mémorable. Des moulins à paroles et à arguments tout-faits plus que de vraies individualités se succèdent donc pour débattre devant les candidats à la succession de leur chef incontesté. 

Car non, il ne suffit pas d’être la copie conforme du Président sortant pour être élu à sa succession. L’histoire politique récente l’a démontré. En 2007, la continuité du pouvoir de la droite de l’UMP était par exemple bien théorique. Le Président Sarkozy, réélu avec le nombre de voix le plus important remporté à une telle élection, était en tous points différent de son prédécesseur, Jacques Chirac. A telle enseigne que ce dernier, pourtant physiquement affaibli, a un temps songé à concourir pour un troisième mandat afin d’encombrer la route de son rival . Tout remplacement à la tête de l’État, même sans alternance, exige une personnalité  singulière , un changement et une modernisation. La parfaite continuité est un mythe.

Plus que quatre ans, donc, pour trouver un successeur digne de ce nom au Président Macron. Des luttes intestines de pouvoir s’annoncent au sein de la majorité pour prendre la suite du Père fondateur. Un combat fratricide que le Président sortant semble pour l’instant ignorer, au prix, sûrement, d’une défaite en 2027. Le dernier épisode de cette série s’essaiera à une prédiction de l’irrémédiable autodestruction de ce parti, pourtant fort d’un extraordinaire potentiel politique. 

Illustré par Victor Pauvert

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.