KIP

Pourquoi la majorité ne survivra pas à Emmanuel Macron ? Episode 2 : Les rêveries du vainqueur solitaire

C’était un après-midi de septembre 2022. Le Président de la République recevait au Palais les candidats de la majorité malheureux à leur réélection à la députation. Pour leur promettre une voix, évidemment. Mais aussi dans une visée beaucoup plus cynique : les convaincre d’attendre pour choisir un poulain dans la course à sa propre succession. Ainsi les prétendants les plus sérieux – et sans doute les moins discrets – en ont-ils pris pour leur grade, du déserteur Édouard Philippe au fayot Gérald Darmanin. Le Président agissait là dans une visée bien claire : faire l’ombre sur un éventuel futur de la coalition majoritaire. Un futur sans son fondateur, sans son modèle. Inenvisageable pour l’heure, un remplacement d’Emmanuel Macron dans le rôle de leader de cette majorité composite est très compromis. Pire, cette coalition des centres périra en même temps que la vie politique de son fondateur. 

Épisode 2 : Les rêveries du vainqueur solitaire

Depuis la consécration de 2017, le rapport des forces au sein de la majorité est à l’image de la cérémonie de victoire organisée dans la cour du Louvre. « Tous derrière et lui devant »1Georges Brassens, Le petit cheval, 1952 aurait dit Brassens. L’impression qui se dégage de ce premier mandat est la suivante : un président qui a le pouvoir de faire et de défaire les personnalités en fonction des nominations ministérielles et des malencontreuses « casseroles » découvertes au fil de ces cinq années de pouvoir personnel.

Candidats fantoches

Dans l’actualité politique des cinq dernières années, il y a une incohérence. Ou plutôt, une saveur d’Amérique. Comment le Président de la République a-t-il pu devenir le premier chef de l’État reconduit depuis le passage au quinquennat alors que sa majorité a essuyé des échecs à l’intégralité des élections qui ont eu lieu durant le premier mandat ? Macron en sort affaibli, à l’instar de ces présidents américains qui perdent les élections de mi-mandat mais réélus au bout du compte, après quatre ans de pouvoir.

Mais, dans le cas de la majorité présidentielle, le choc de ces élections intermédiaires pouvait être prédit. Qui, de Nathalie Loiseau, tête de liste aux Européennes de 2019, d’Agnès Buzyn, candidate à la mairie de Paris en 2020 ou de Laurent Saint-Martin, candidat à la présidence de la région Île-de-France en 2021, pouvait réellement prétendre l’emporter ? Ces illustres inconnus ont, chacun à leur manière, mené une campagne vouée à l’échec. Ainsi, ce n’est qu’aux Européennes, grâce à un mode de scrutin proportionnel et à l’imposition d’une circonscription unique, que le parti présidentiel a sauvé l’honneur – devancé tout de même d’une courte tête par un RN pourtant affaibli par les suites du désastre du débat présidentiel de 2017. Chacune des autres campagnes fut un gouffre pour la majorité, jusqu’à la déroute des Régionales de 2021 : un an à peine avant la présidentielle, le parti majoritaire ne remporte aucune région. Ou plutôt si, mais en passant des accords avec les modérés Macron-compatibles de la droite, comme Renaud Muselier dans la région Sud. 

Bref, les mid-terms successives du dernier mandat ont fait de Macron le canard le plus boiteux de la cinquième République. Le Président le sait : il ne parviendra jamais à remporter le Sénat, dont les membres sont élus au suffrage indirect très majoritairement par les élus locaux. 

La faute à qui dans cet échec ? Au déficit d’ancrage local d’un parti trop jeune pour posséder des figures crédibles dans les territoires, diront les concernés. Au centralisme excessif du pouvoir de la majorité, qui ne s’intéresse que trop peu à ce qui se passe en dehors de la petite couronne francilienne, argueront leurs opposants. Plus que cela, cet échec est inévitablement lié au désintérêt – évidemment relatif – des cadres de la formation présidentielle à ces élections jugées secondaires. Concentrons-nous sur notre chef, notre héros ; unissons-nous autour de lui ; conservons ce Palais envers et contre tout. 

Godillots

A l’Assemblée nationale, le discours et la stratégie sont évidemment différents. Un Président ne peut pas se passer de la chambre basse pour gouverner. Même face à un Sénat hostile, la Constitution accorde à l’Assemblée l’avantage de décider en dernier recours. Il est donc inenvisageable de perdre la majorité en 2017. Impossible, car la start-up nation voulue par le Président nouvellement élu requiert des réformes ambitieuses qui ne pourront pas faire consensus entre les partis. Dompter l’Assemblée est donc requis pour gouverner.

Mais la majorité – même absolue – ne suffit pas pour exercer une emprise suffisante sur le parlement. Un cheval bien dressé menace toujours de se cabrer sans un joug avec suffisamment d’emprise. Surtout que le Président a connu l’épisode de la fronde, à la fin du mandat de son prédécesseur François Hollande. Cette rébellion de plusieurs figures influentes du Parti socialiste ne fut évidemment pas étrangère à la candidature du jeune ministre de l’Économie, et du renoncement du Président à concourir à sa réélection. Chez En Marche, il n’y aura donc pas de fronde, et tout sera fait pour l’éviter. 

Ainsi la majorité est-elle accusée d’avoir présenté des « godillots » à la députation pour mieux les contrôler par la suite. L’expression est consacrée dans la presse. La promesse de candidats issus de la « société civile » est sur ce point particulièrement utile : la fonction de député et les rouages de l’Assemblée ne s’improvisent pas et le temps consacré à prendre ses marques ne le sera pas à faire de l’obstruction ni même à trop hausser la voix. Certaines figures passées par le Palais-Bourbon assurent même qu’un député ne commence réellement à travailler efficacement qu’à compter de sa réélection.

Une chose est sûre, la plupart des élus de la vaste majorité de 2017 ne feront pas de vagues. Désorientés, impressionnés, ou rappelés à l’ordre lors d’éventuelles obstructions, leur joug est tenu serré, coûte que coûte. L’exemple emblématique de cette discipline de groupe est celui de Cédric Villani, le médiatique mathématicien devenu député de l’Essonne en 2017. Lui qui tenait fermement à présenter sa candidature à la mairie de Paris en 2020 et qui persista dans sa lutte après la nomination de son éphémère adversaire, Benjamin Griveaux, sera exclu du parti et du groupe parlementaire pour son insubordination. Mais l’exemple de Villani cache bien d’autres personnalités de la macronie, qui, à un moment ou à un autre, se sont désolidarisées d’un choix ou d’une investiture du parti majoritaire. Jean-Michel Clément, Matthieu Orphelin, Michèle Crouzet, Paul Molac et bien d’autres ont même quitté le groupe avant 2020, soit moins de 3 ans après le sacre de leur ex-parti. Beaucoup d’entre eux sont venus grossir les rangs des groupes frères de La République En Marche, dont le MoDem ou Agir Ensemble. Horizons n’était pas encore né. Des 306 sièges obtenus en 2017, il n’en reste que 267 à la fin du premier mandat d’Emmanuel Macron2https://www.leparisien.fr/politique/combien-de-deputes-ont-vraiment-quitte-lrem-depuis-2017-29-01-2020-8247273.php

Engager des suiveurs et couper les têtes qui dépassent, telle a été la stratégie jupitérienne adoptée par le chef de la majorité pour gouverner sans encombre jusqu’en 2022. Peu de place à l’émergence de figures médiatiques, donc. Peu de place à d’éventuels adversaires ou successeurs sur les bancs rouges du parlement.

Hypercentralisation

Évoquons justement plus en détail la figure de Jupiter. La polémique constamment renouvelée autour d’un Président qui se veut « jupitérien » date en réalité d’avant l’élection d’Emmanuel Macron. Dans un entretien accordé à Challenges en octobre 20163https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-crois-pas-au-president-normal_432886, celui qui était alors candidat à la succession de son mentor entendait justement en finir avec l’image du « Président normal » sur laquelle s’était appuyée la campagne victorieuse de 2012.

Le dictionnaire Larousse est assez éclairant quant aux ressorts de cette expression. L’adjectif jupitérien évoque celui qui « en a le caractère impérieux et dominateur ». Les symboles mobilisés au début du premier mandat d’Emmanuel Macron n’ont fait que renforcer cette image et confirmer ce style, entre la cérémonie du Louvre précitée et la réception du président russe, Vladimir Poutine, au château de Versailles, le 29 mai 2017, soit quelques semaines à peine après son investiture. Et ce sans oublier les multiples prises de parole télévisées en majesté de celui qui, contrairement à son successeur, a toujours refusé les conférences de presse à l’Élysée. Autorité du roi soleil et mégalomanie à la Carlos Ghosn ne peuvent aboutir qu’à un cocktail explosif. 

Pourquoi alors s’embarrasser pour réformer du vote systématique de députés qui n’ont de toute manière d’autre choix que d’être d’accord ? Gouverner par ordonnances a l’avantage de la sincérité et de l’efficacité. Dès septembre 2017, les ordonnances dites loi travail réforment en profondeur le Code du travail sur les thèmes majeurs de la négociation collective, de la fusion des institutions représentatives du personnel ou encore de la rupture du contrat de travail. Et ce en dépit de la nécessité de concertation avec les partenaires sociaux, qui n’ont eu d’autre choix que de contester la légalité de certains points des ordonnances auprès de l’Organisation internationale du travail4https://www.humanite.fr/social-eco/droit-du-travail/ordonnances-macron-syndicats-1-gouvernement-0-745303. La politique de la confrontation plutôt que celle de  la concertation, aux risques et périls de la démocratie et des institutions.

Malheureusement, le chevalier blanc Macron allait trop vite en besogne, et la rue s’est chargée de le lui rappeler. Après seulement un an de pouvoir, dès le 17 novembre 2018, le mouvement de protestation des Gilets jaunes, d’une ampleur sans précédent dans l’histoire récente, déferle sur une France au faîte de la division. La taxe carbone est sans doute la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, car les revendications de ces insurgés postmodernes s’étendent vite à l’ensemble des facettes de la vie politique, à l’instar du référendum d’initiative citoyenne. Le moment pour Jupiter de redescendre sur Terre et de se confronter aux mortels à défaut d’infléchir sa stratégie. Mais Jupiter ne descend jamais sur Terre sans une métamorphose, un écran de fumée. L’enfumage fut alors celui du grand débat national, voué à écouter les doléances de français triés sur le volet, pour en tirer… pas grand-chose. Il faut cependant saluer la malice politique de ce geste, qui a suffi à stopper la grogne et à remettre aux calendes les propositions extrêmes des gilets jaunes. 

Car au fond, ce qui empêche Macron de réformer la France, ce ne sont pas les Français, mais bien un nouveau venu qui n’a ni frontières, ni nationalité. Un organisme microscopique qui mettra le monde à terre. Y compris le Président qui, pour la première fois de son mandat, saura tenir compte des réalités. Il ne s’agit pas ici de critiquer la gestion par le gouvernement de la crise sanitaire et économique. Trop de médias et d’opposant se sont – assez injustement, il faut le dire – adonnés à cette activité cathartique. Mais malgré tout, la crise a contribué à renforcer le « jupitérisme » du grand chef. En témoigne la résurrection du conseil de défense, instance restreinte grâce à laquelle le Président a le pouvoir de prendre, à huis-clos, des décisions dont l’impact a été inégalé dans la vie de la population. Confinement, couvre-feu, déconfinement, pass sanitaire, reconfinement : toutes ces décisions qui, rappelons-le, étaient nécessaires et urgentes à la survie du pays, ont été prises dans ce schéma, en tenant le Parlement à l’écart de toute délibération. Les prouesses de l’état d’urgence sanitaire, en somme, qui a prolongé l’état d’urgence lié à la menace terroriste. 

Comment, dans ces conditions, faire émerger une nouvelle figure ? Sur quelle bravoure ou lucidité personnelle se fonderait-elle ? Difficile à dire, malgré désormais plus de cinq ans de pouvoir. Dans la règle de la transparence, la seule figure opaque du Président suffit à faire l’ombre sur l’ensemble des membres de la majorité. Pourtant, il faudra se trouver un chef à nouveau. La suite au prochain numéro.

Illustré par Victor Pauvert

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.