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Pourquoi la majorité ne survivra pas à Emmanuel Macron ? Épisode 1 : Aux temps d’En Marche

C’était un après-midi de septembre 2022. Le Président de la République recevait au Palais les candidats de la majorité malheureux à leur réélection à la députation. Pour leur promettre une voix, évidemment. Mais aussi dans une visée beaucoup plus cynique : les convaincre d’attendre pour choisir un poulain dans la course à sa propre succession. Ainsi les prétendants les plus sérieux – et sans doute les moins discrets – en ont-ils pris pour leur grade, du déserteur Édouard Philippe au fayot Gérald Darmanin. Le Président agissait là dans une visée bien claire : faire l’ombre sur un éventuel futur de la coalition majoritaire. Un futur sans son fondateur, sans son modèle. Inenvisageable pour l’heure, un remplacement d’Emmanuel Macron dans le rôle de leader de cette majorité composite est très compromis. Pire, cette coalition des centres périra en même temps que la vie politique de son fondateur. 

Épisode 1 : Aux temps d’En Marche…

Emmanuel Macron et En Marche partagent plus que des initiales. Cette formation éphémère, rapidement devenue La République En Marche dans la bataille pour les législatives de 2017, est la première marque personnelle d’un candidat qui fonde alors l’ensemble de son capital politique… justement sur sa propre personnalité. Une innovation à l’époque et un coup de génie, dont la rapide ascension prédit une chute au moins aussi brutale.

Culte de la personnalité 2.0

La création de cette formation porte en elle-même la marque indélébile de son fondateur. C’est en avril 2016 que le futur Président de la République créait un modeste mouvement politique dont le nom reprenait sciemment les initiales de son prénom, En Marche, comme Emmanuel Macron. Un mouvement qui plus est lancé lors d’un discours au cœur d’Amiens, sa ville natale. Un peu l’enfant que le jeune ministre n’aura jamais, ou plutôt un double de lui-même, un blason personnel. Début d’une folle aventure politique guidée par l’hybris d’un ambitieux haut fonctionnaire passé par la jungle de la finance.

Un matin d’août 2016, le jeune et charismatique ministre de l’Économie d’un Président à la popularité à la dérive quitte en bateau son antre de Bercy. Celui que personne ne connaissait deux ans auparavant annonce par ce geste emblématique et jamais vu sa volonté de défier son mentor à la présidentielle de 2017. Un Brutus moderne, à la destinée certes plus glorieuse.

Pour la première fois depuis le général de Gaulle, la conquête du pouvoir n’est donc plus guidée par des idées et une identité politique, mais par la personne du chef, qui va débarrasser la France de l’ensemble des parasites politiques au charisme et à l’égo trop minces pour prétendre impulser le changement. 

Un populisme qui ne dit pas son nom

Car au fond, s’il faut trouver un point commun entre la stratégie politique d’Emmanuel Macron et celle de partis dits extrêmes et populistes comme le Front national ou la France insoumise, c’est bien le rejet des élites politiques qui dirigent la France par alternance depuis le début de la Ve République. 

Le populisme dans la stratégie de victoire du Président de la République a été analysé par plusieurs penseurs de notre actualité politique, comme Gaspard Gantzer, qui fut le spin doctor du Président Hollande lorsque Emmanuel Macron était à Bercy, ou encore le sociologue Michel Wieworka. Ce dernier détaille dans le JDD ce qu’il appelle « un populisme d’en haut et du centre ». 

Ce populisme commence par utiliser l’histoire personnelle du candidat, qui a volontairement choisi de casser les codes et les convenances. Par son mariage évidemment, mais également par son choix de rejoindre la banque d’affaires peu de temps après sa sortie du creuset de la haute fonction publique, l’ENA. Une biographie qui étonne par sa réalité et sa rugosité, mais dont le caractère assumé crée l’authenticité de son titulaire. 

Mais la plus forte marque de populisme se situe dans le positionnement de cette candidature, un « populisme qui s’appuie sur un discours mythique qui résout les contradictions par le verbe », le mythe du « en même temps », proclame Wieworka. Car au fond, qu’y a-t-il de plus populiste que de briser les instruments de pouvoir des élites de jadis, à savoir leurs hégémoniques partis ? En ce sens, l’élection d’Emmanuel Macron semble avoir rajeuni et relancé une démocratie qui s’enlisait dans une alternance de plus en plus symbolique. Mais c’eût été le cas si le nouveau pouvoir n’avait pas usé et abusé des compromissions de « l’ancien temps ».

C’est dans les vieux pots…

Car à part quelques subtilités de statuts et de gouvernance, qu’est-ce qu’a réellement ce mouvement de différent des Républicains ou du Parti socialiste ? Peu de choses, à telle enseigne que les grandes figures des débuts de l’ère macronienne furent d’anciennes figures de plus ou moins premier rang de ces partis historiques.


D’emblée, les plus grands ministères furent confiés à d’ex-personnalités républicaines ou socialistes : Matignon à Edouard Philippe, le maire LR du Havre ; l’Intérieur à Gérard Collomb, édile socialiste de Lyon ; le Quai d’Orsay à Jean-Yves Le Drian, ancien collègue du Président dans le gouvernement nommé par François Hollande ; ou encore la Justice, donnée pour un temps à François Bayrou, fondateur de la force d’appoint centriste de toujours, le MoDem. Les « techniciens » de la société civile, qui faisaient l’une des singularités du projet macronien furent, pour la plupart, relégués à des offices inférieurs. 

Avec la vague de services rendus et de recyclages, arrive vite celle des promesses non tenues caractéristiques de la politique « politicienne » de jadis. C’est ainsi que les points cardinaux de la campagne victorieuse de 2017 sont, un à un, passés à la trappe de ce mandat d’apparence novatrice. La réforme constitutionnelle, la taxe carbone, la réforme des retraites ou l’arrêt du nucléaire ont ainsi été un à un abandonnés face à l’absence de consensus ou aux crises successives subies par le nouveau Président. Pragmatisme diront certains ; calculs politiciens et mensonges diront ceux qui votèrent en 2017 pour un programme qui promettait de tout changer.

L’échec de cette posture du « sauveur », du réformateur de la dernière chance, est sans doute peu étranger à la vague continue de défiance vis-à-vis de la vie politique française, matérialisée par le vote extrême et avant tout par une abstention toujours plus forte qui met à mal la vitalité démocratique de notre pays.

Patchwork et rafistolage 

Le discrédit du modernisme d’En Marche explique sans doute largement les successifs changements d’appellation d’un mouvement qui se transforme petit à petit en véritable parti politique. Exit la simplicité d’En Marche, donc, et ce dès les législatives de juin 2017, à l’occasion desquelles le préfixe La République est accolé au nom « historique » du parti macronien. Ce nom composite et peu porteur de sens, La République En Marche, que l’on s’attendait à perdre à l’issue du triomphe des candidats de la majorité présidentielle à la députation, est resté dans la culture politique collective durant l’ensemble de la législature. Mais ce changement ne suffisait pas pour tenter de maintenir la majorité dans son éternelle jeunesse : pour les européennes, ce sera « Renaissance », puis « Renew Europe » pour le groupe parlementaire. Le changement, toujours le changement, au prix d’une identité de plus en plus éphémère et contestée. 

Il est vrai que les débuts de la nouvelle présidence nécessitaient bien ce patchwork indigeste pour occulter les scandales des premiers mois. Cela commence par l’affaire des assistants parlementaires fictifs du MoDem, formation du fugace ministre de la Justice, dès le premier mois du nouveau mandat présidentiel. Le parti est accusé d’avoir usé d’emplois de collaborateurs au parlement européen pour ses propres fins internes. Cette regrettable affaire cause le départ de plusieurs ministres du gouvernement flambant-neuf, dont François Bayrou, évidemment, mais également Marielle de Sarnez, alors ministre des Affaires européennes.

Le rafistolage gouvernemental continue peu de temps après avec l’affaire des mutuelles de Bretagne accablant pour un temps l’un des soutiens de la première heure d’Emmanuel Macron, le ministre de la Cohésion des territoires Richard Ferrand, qui quitte ses fonctions le 21 juin 2017. Après une traversée du désert vraiment éclair, il est élu à la tête du groupe parlementaire de la majorité, le 27 juin, puis président de l’Assemblée nationale, le 12 septembre 2018. 

Fluctuant dans son identité politique, sa droiture et son positionnement, il ne reste plus au mouvement En Marche que la figure de son chef, le Président de la République, pour exister. Comment ceux qui en sont nés politiquement pourraient-ils, à un moment ou à un autre, s’en séparer sans y laisser de fatales plumes ?

Illustré par Victor Pauvert

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.