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Nos musées, receleurs d’art volé

Aujourd’hui, chers lecteurs, la rédaction vous propose : une chronique d’un vol parfait. Oubliez la Casa de Papel, Arsène Lupin est ringard, les receleurs louches dont nous allons compter l’histoire se nomment le Musée du Quai Branly, le British Museum, ou encore l’Albert Museum… ces musées qui comptent aujourd’hui dans leurs collections de nombreuses œuvres pillées lors des campagnes de colonisation, et continuent de les exposer et d’en tirer profit. Et oui, pour commettre le vol parfait, il vous faudra simplement : une louche de colonialisme, une cuillère de « domaine public », une pincée d’enjeux politico-économiques, enfournez le tout pour un siècle à 21°C1Température optimale de conservation de la plupart des œuvres d’art (vous brillerez au prochain repas de famille).et c’est prêt, merci tout le monde, n’oubliez pas que l’entrée est gratuite pour les moins de 26 ans.

Colonisation brutale et pillage en règle

1892, Bénin : les colonisateurs français entrent dans le palais d’Abomey, capitale de l’ancien royaume Dahomey (dans les frontières de l’actuel Bénin), et confisquent (quel joli mot pour parler d’un pillage en règle) de précieuses œuvres d’art. 1916, Côte d’Ivoire : le «tambour parleur», outil de communication mythique presque sacré du peuple Ébrié, est arraché à sa terre natale. Une façon comme une autre de « matérialiser la conquête coloniale », comme l’explique Erick Cakpo pour France Culture. Aujourd’hui, jusqu’à 90% du patrimoine africain se trouve en dehors du continent.

Ces deux chefs-d’œuvre de l’histoire africaine sont aujourd’hui conservés au Musée du Quai Branly, mais seront bientôt restitués à leurs propriétaires légitimes. Après des années de pourparlers et de négociations, le président Macron a annoncé la nouvelle le 8 octobre, un geste « fortement historique » salué par la chefferie traditionnelle des Ébriés. La demande avait été faite en 2016 pas le président béninois, refusée par François Hollande au nom du principe « d’inaliénabilité des collections nationales » (que nous évoquerons plus tard), mais finalement acceptée par le président Macron : la première annonce, inédite, a eu lieu en novembre 2017 à Ouagadougou devant 800 étudiants. Un processus de trois ans, en collaboration avec Felwine Sarr, professeur à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis, au Sénégal et Bénédicte Savoy, professeure à la Technische Universität de Berlin, pour modifier le code du patrimoine et créer un musée adapté à la conservation des oeuvres au Bénin.  Le président avait alors clairement évoqué son désir de réparer les liens entre la France et le Bénin à travers ce geste fortement symbolique.

2021 ? Ça fait tard, non ?

Si tous les criminels disposaient d’un siècle pour profiter du fruit de leur vol au su et au vu de tout le monde, certains de nos hommes politiques dormiraient beaucoup mieux. Pourquoi alors les musées s’offrent-ils ce luxe ? Et bien, restituer une œuvre volée des décennies plus tôt n’est pas aussi facile que de frauder le fisc2Les implants capillaires de Jérôme Cahuzac et l’emploi fictif de Pénélope Fillon, des trésors nationaux ? Vous avez trois heures.. De nombreux paramètres entrent en jeu.

Tout d’abord, un enjeu économique. Ces œuvres ont aujourd’hui acquis une grande valeur pour les musées, attirant le public. De plus, faire une demande de restitution est un processus complexe et coûteux ; certains pays sont même incapables d’assurer la conservation de telles objets : envoyer une oeuvre en Syrie ne serait, pour des raisons évidentes, pas un cadeau à faire au patrimoine de l’humanité (versons encore quelques larmes pour Palmyre, s’il vous plaît).

Juridique également : les œuvres appartiennent aujourd’hui au domaine public français, et ne pouvaient donc être cédées ou vendues à quelque entité (état ou particulier) que ce soit. Oui, ne pouvaient, à l’imparfait : une loi, votée en décembre 2020On soulignera également que les États-Unis, ces grands amoureux de l’art, viennent tout juste d’annoncer la restitution de 17 000 pièces archéologiques malencontreusement volées (oups) à l’Irak pendant ces dernières décennies., permet enfin des transferts d’un État à l’autre. Si elle reste limitée au cadre des œuvres sénégalaises et béninoises, elle crée un précédent : il s’agit d’un premier pas encourageant. Insistons sur le « premier » : la statue du dieu Gou, exposée au Louvre et  réclamée depuis longtemps, ne figure pas sur la liste. La déclaration récente du président Macron sera probablement suivie d’un élargissement d’une telle loi. Mais maintenant que c’est possible : à qui rendre les œuvres ? À leurs possesseurs originels (parfois des particuliers, souvent des tribus), aux États qui les réclament mais les ont parfois eux-mêmes obtenues dans des conditions troubles ?

Pourquoi est-il important de restituer ces œuvres ?

Restituer ces œuvres à leurs légitimes propriétaires est un pas vers un apaisement des relations entre la France et l’Afrique, et un marque de respect envers ceux qui, longtemps, se sont vus méprisés. Les objets chargés de symboles et de mythes étaient les premières cibles de pillages : privez un peuple de ce qui lui rappelle son histoire et sa culture, il n’en sera que plus facile à soumettre. Les rendre revalorise l’histoire africaine pré-coloniale, bien trop souvent oubliée, et aide les populations locales à s’ancrer dans leur culture millénaire. À une époque où l’Afrique est investie de toutes parts par des puissances étrangères voulant profiter de ses richesses humaines, minérales et agricoles, le geste annoncé par le président Macron est historique : non, ce continent n’est pas un réservoir de jeunesse et de main d’oeuvre pour un monde vieillissant, ni une terre que l’Occident doit sauver pour assurer sa rédemption après ces décennies de brutalités. Restituer ces œuvres signifie traiter ces États en égaux, comme nous devrions le faire, et laisser le paternalisme à sa juste place : le passé.

Si certains voient dans la présence de ces oeuvres dans les musées français ou européens3On soulignera également que les États-Unis, ces grands amoureux de l’art, viennent tout juste d’annoncer la restitution de 17 000 pièces archéologiques malencontreusement volées (oups) à l’Irak pendant ces dernières décennies. comme un hommage et une appréciation de la culture africaine (mais également asiatique ou sud-américaine), et une manifestation d’un esprit universaliste, rappelons-leur gentiment que si des Égyptiens avaient dessoudé les bas-reliefs de Notre-Dame-de-Paris pour les exposer au Caire et embarqué notre Angélus, on serait peut-être un peu chafouins.

Oui, se prêter des œuvres entre musées internationaux pour offrir à tous un aperçu de l’incroyable richesse des cultures, c’est une idée très sympa. Mais le recel, par contre, c’est jusqu’à 5 ans de prison et 375000 euros d’amende, avec circonstance aggravante si le recel est commis en bande organisée (ça prend ton Audi, ça prend ta gadji, ça prend ton bas-relief).

Illustré par Julie Omri

Gabrielle Pichon

Gabrielle Pichon

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Ancienne présidente de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Former KIP President and regular contributor.