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Défendre le peuple n’est plus populaire

37%. C’est le score obtenu par la candidate Le Pen aux élections présidentielles de 2017 parmi les populations ouvrières. Certes, cette catégorie, issue des controversées « CSP », représente une part de plus en plus marginale des actifs d’une économie française toujours plus tertiarisée. Mais le constat demeure sans appel : la gauche ne séduit plus les ouvriers de notre pays. Les prolétaires de tous pays ne s’unissent plus pour le progrès social, et se tournent vers le conservatisme. Ayant « essayé » la gauche comme la droite durant les dernières années, les catégories populaires se tournent donc vers les extrêmes, délaissant ceux qui ont fait de la défense de leurs prérogatives leur combat. La gauche ne rassemble plus, y compris auprès des populations qui lui étaient historiquement acquises.

Trahis 

Ce désamour n’a rien de récent. Il débute dès 1983, lors du tournant de la rigueur impulsé par le Président d’alors, le socialiste François Mitterrand. Finies les aides sociales supplémentaires et les nationalisations ; place à l’austérité budgétaire et aux privatisations. Pour beaucoup d’idéalistes de 1981, le réveil est difficile. Une grande gueule de bois en guise de retour à la raison. La raison, justement, de cette « grande trahison » ? La nécessité – plus qu’une volonté – de se conformer aux standards d’austérité requis pour un approfondissement de la construction européenne. La politique monétaire française doit se calquer sur celle de la Bundesbank afin de maintenir la santé économique du pays, compromise par les politiques fluctuantes à la suite de la crise des chocs pétroliers de 1973 et 1979. 

Certains des plus fervents militants de la gauche françaises assurent alors « préférer l’original à la copie » et se tournent vers la droite. Conversion facilitée par la figure fédératrice et empathique de Jacques Chirac, qui apparaît alors plus « proche du peuple » que son adversaire Mitterrand. Par pragmatisme, la gauche s’est donc éloignée de ce qui représentait son « fonds de commerce », la défense du pouvoir d’achat et la lutte contre les inégalités. Et la stratégie socialiste est confortée par le succès de Mitterrand à la présidentielle de 1988. Quelques pommes plus tard, c’est même la droite de l’époque qui reprend, aux dépens d’une gauche exsangue, le thème de la « fracture sociale ». Être socialiste revient alors à être un technocrate plus soucieux de l’intégration de la France au sein de la communauté européenne que de la défense des plus démunis. L’on commence alors à parler de « gauche caviar », déconnectée de la population, aveugle aux problèmes qui touchent les plus précaires. 

Abusés

Dès lors, qu’est-ce qu’une gauche européiste et libérale ? Si la gauche a perdu sa ferveur militante, du moins lui restait-il la pureté de conduite, l’accord entre les actes et la parole. Restait – et non reste – car le mandat Hollande, entre 2012 et 2017, fut une nouvelle ère de discrédit pour une gauche à nouveau victorieuse. Les abus de Cahuzac ou de Thévenoud ont détruit l’image d’exemplarité du socialisme. 

L’image de la « vieille maison » socialiste devient répulsive, et tous tentent de s’en séparer pour tenter de refonder une gauche enlisée dans la succession des affaires judiciaires. Remplacer cette vieille maison par une nouvelle, c’était déjà la stratégie de Jean-Luc Mélenchon à la création du Front de Gauche, en 2008. Depuis, les nouveaux partis se sont multipliés, consécutivement à la montée en puissance de l’écologisme. Le plus éminent reste cependant le parti au pouvoir, La République en Marche, fondé par un ancien responsable et ministre socialiste, l’actuel Président de la République, Emmanuel Macron. Ce parti avait l’ambition de refonder une gauche centriste et libérale : échec cuisant, incarné un incontestable glissement à droite. Aujourd’hui, ces différentes forces politiques dissolvent leurs faiblesses respectives dans une nébuleuse incapable de s’unir. Et c’est ainsi que les partis qui se réclament encore de la gauche, à savoir notamment les Verts, le Parti socialiste, l’Union populaire – le troisième nom du parti de Jean-Luc Mélenchon, dont l’identité souffre des échecs électoraux successifs -, ou encore Génération.s se disputent le bout de gras. Ou de foie gras, si l’on parle de « gauche caviar » … Et ce sans aucune considération quant à leurs responsabilités dans l’essor des extrêmes. Qui pourrait porter au pouvoir une gauche qui se consume de l’intérieur ?

Manipulés 

Le danger de l’incendie, c’est qu’il répand des cendres en nombre. Et sur ces cendres croissent des partis ultra conservateurs, qui reprennent à leur compte le combat pour le pouvoir d’achat. Une nouvelle gauche ? Certainement pas, car ces partis – à commencer par le Rassemblement National ou le nouveau parti Reconquête du polémiste Éric Zemmour – mobilisent les passions les plus tristes de l’âme humaine : la haine, la peur, le ressentiment. 

Il ne s’agit plus de combattre le capital – comme aux racines marxistes d’une grande partie des mouvements de gauche – mais de lutter contre une conspiration mondiale des élites visant à s’enrichir aux dépens d’une classe moyenne et populaire occidentale déclassée. Du grand déclassement, on aboutit vite à l’idée de grand remplacement. Car le conspirationnisme ne rassemble pas assez : il faut mobiliser la haine. Haine contre l’étranger, l’immigré, accusé de capter, telle une sangsue, l’ensemble des opportunités et des richesses de notre pays. Haine contre la mondialisation, qui se jouerait au préjudice exclusif de l’Occident jadis dominant. Haine contre le présent, enfin, dans un mythe de l’âge d’or sans cesse renouvelé, qui idéalise la France des « Trente Glorieuses » et du Général de Gaulle. 

Plutôt que d’un grand déclassement ou d’un grand remplacement, on peut bien parler d’une grande manipulation des classes moyennes et populaires françaises par ces courants haineux et conspirationnistes. Et l’ampleur de la manipulation est incarnée par les derniers sondages relatifs à l’élection présidentielle : aucun candidat de gauche ne dépasse la barre des 10% d’intentions de vote à ce jour, alors que les figures d’extrême droite, Marine Le Pen et Éric Zemmour, tutoient au bas mot les 15%.

Réconciliés ? 

Tous fachos ? Est-ce la seule conclusion de ce constat pour le moins pessimiste ? Une reconstruction de la gauche semble compromise ou, du moins, très improbable d’ici à l’issue du prochain scrutin présidentiel, laissant le Président sortant en position de grand favori – un moindre mal pour la population française, lorsque l’on le compare aux autres candidats en lice, dont l’apanage est de rivaliser de conservatisme. 

Cependant, une autre gauche est possible pour 2027 et pour les élections locales consécutives à la présidentielle de 2022. Cette nouvelle gauche – possible nom d’un énième nouveau parti ? – ne pourra se construire que sur l’unité. Et l’unité passe par le rassemblement autour d’une personnalité charismatique et consensuelle. Lorsque l’on jette un œil au-delà du Rhin, l’on ne peut nier les perspectives que l’époque offre à une gauche modérée et responsable. A quand un Olaf Scholz à la française ? Pour qu’une telle personnalité émerge, encore faudrait-il que toutes les figures présidentiables de la gauche « ne grillent pas leur cartouche » lors de cette campagne présidentielle qui apparaît perdue d’avance. Encore faudrait-il aussi que les militants des différents partis de gauche aient l’ambition de gouverner, ce qui suppose de faire des compromis, et de privilégier le pragmatisme à l’idéologie. A l’idéologie, et non aux convictions. Car c’est soit à un rigorisme excessif soit à une morale à géométrie variable qu’ont succombé l’ensemble des forces de gauche. 

Appelons-en donc à la responsabilité et au bon sens des responsables de la gauche actuelle : redonnons leur solennité aux candidatures à la présidentielle ; mettons fin à la multiplication des candidats ; redonnons – et ce en paraphrasant presque le programme de l’ancien Premier ministre, Édouard Philippe – un visage et une ligne claire à la gauche française. De l’ombre d’aujourd’hui naîtra la lumière de demain.

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.