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La dépendance des Armées aux énergies fossiles : une vulnérabilité stratégique ?

La crise en Ukraine et la pénurie de carburant que nous vivons actuellement doivent nous faire prendre conscience de la vulnérabilité que représente la dépendance aux énergies fossiles. Cette vulnérabilité, qui impacte également nos militaires, doit désormais être étudiée et prise en compte dans les stratégies mises en place par l’Hôtel de Brienne.

Selon les chiffres avancés par le Ministère des Armées en 2019, la défense a consommé 835 000 m3 de produits pétroliers pour ses opérations et infrastructures qu’il possède ; Cette consommation représentait un budget de 667 millions d’euros. 

Dans un contexte de réduction de la consommation d’énergie et alors que le Gouvernement encourage les Français à   la sobriété énergétique, il est difficile d’imaginer l’ampleur du défi qui attend le Ministère des Armées. 

Au-delà de l’impact écologique, justifié par le besoin d’assurer la sécurité de la France et de ses intérêts, cette importante quantité de produits pétroliers représente surtout une vulnérabilité pour nos Forces puisqu’elles deviennent alors dépendantes des importations pétrolières. 

En temps de paix, une telle vulnérabilité s’avère peu problématique grâce à la multiplicité des fournisseurs possibles. Toutefois, lors d’un regain de tensions géopolitiques, comme nous le vivons actuellement, cette dépendance nous rend vulnérables. Un tel scénario a un temps été envisagé, ce qui a conduit à la création des réserves stratégiques pour pallier aux perturbations dans l’approvisionnement énergétique.  Aujourd’hui, nous sommes en droit de nous demander si les stocks suffisent ! Officiellement, nous disposons en permanence de 18 millions de tonnes de carburant (ce qui représente 90 jours d’importations), mais les armées n’en seront pas les seules consommatrices puisque ce stock servira également à alimenter les intérêts vitaux de l’État. 

Si l’on considère l’invasion Russe en Ukraine, qui dure maintenant depuis plus de 6 mois, comment croire que 90 jours de stock suffiront ? 

Des avions de l’Armée de l’Air aux navires de la Marine Nationale en passant par les nombreux blindés de l’Armée de Terre, c’est l’ensemble de notre défense qui se retrouverait alors mise en danger ; La dissuasion nucléaire, dans sa dimension aéroportée, se retrouverait également neutralisée. Le Porte-Avion Charles de Gaulle, navire amiral de la flotte, risquerait alors de devenir un simple paquebot.

Ce scénario catastrophique, qui semblait improbable, entre aujourd’hui dans le champ des possibles : cette réalité appelle à de profondes mutations dans la gouvernance de l’État qui se doit désormais d’anticiper et planifier pour pouvoir gérer les situations de crise. 

Il y aura une nécessaire évolution des équipements militaires ainsi que des infrastructures afin de réduire leur consommation d’énergie. Cette tâche, particulièrement complexe, passera inévitablement par une évolution des stratégies opérationnelles car une diversification des sources d’approvisionnement et la montée en puissance de l’électrification nécessitera un renforcement de la chaîne logistique tout comme une réflexion sur l’évolution des doctrines d’emploi. Ce changement de paradigme impactera également le budget de la défense puisqu’il faudra investir dans le développement et l’acquisition de nouveaux matériels. 

ll serait par ailleurs intéressant de parvenir à un accord avec l’appareil industrialo-militaire Français afin que nos entreprises puissent contribuer à cet effort en développant, sur fonds propres, de nouveaux équipements. La Responsabilité Sociétale des Entreprises, en particulier dans le secteur de l’équipement et de l’armement, devrait également concerner le soutien qui est apporté à ceux qui s’engagent pour assurer notre sécurité. La parfaite synergie entre les militaires et les entreprises sera sans nul doute la clef de la souveraineté de notre défense. 

Au-delà de l’impact de la transition énergétique sur nos Forces Armées, il faut également s’intéresser au rôle qu’elles pourraient jouer pour favoriser la transition énergétique. 

En faisant évoluer le cadre réglementaire, les armées seraient en position, avec une nouvelle politique d’achats, de favoriser le développement de biocarburants, de favoriser les entreprises qui innovent dans le développement d’équipements plus performants et moins énergivores et pourraient privilégier le made in France.  

Dans un angle plus opérationnel, il est clair que les armées se verront confier davantage de missions de sécurisation des approvisionnements énergétiques. Les récentes tensions autour du Nordstream 2 confirment cette hypothèse. 

Enfin, nos militaires pourraient avoir un rôle plus symbolique : en mettant en place ces mesures de transition, ils deviendraient de facto un exemple pour le secteur privé ainsi que pour les populations civiles qui verraient alors que l’État applique ses recommandations.

Il est clair que les questions énergétiques deviendront des sujets vitaux pour l’État mais du côté de l’Hôtel de Brienne, pour le moment, il semble que ces sujets ne soient pas étudiés. Quand arrivera la prise de conscience ? 

Illustré par Victor Pauvert

Rudi Valente

Rudi Valente