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Entretien avec Mme Hélène Thouy, co-présidente du Parti animaliste

Avocate de l’association L214, co-fondatrice et candidate du Parti animaliste aux élections législatives de 2017, européennes de 2019 et présidentielles de 2022, Mme Hélène Thouy a consacré son parcours et sa carrière à la défense de la cause animale. Malgré une candidature et un programme aboutis pour l’élection présidentielle de 2022, Mme Thouy a été contrainte de se retirer de la course à l’Élysée, n’ayant pas obtenu les 500 parrainages d’élus requis. KIP vous propose aujourd’hui le témoignage de cette personnalité engagée et singulière dans le spectre politique français.

1/ Un engagement et un parcours singuliers 

Victor Pauvert : Vous avez cofondé le Parti animaliste en 2016. Comment expliquez-vous qu’un tel positionnement politique ait été absent avant cette date ?

Hélène Thouy : Il n’y avait pas, en France, de prise en considération de l’importance qu’avait la question animale, et d’attachement des citoyens à ce sujet. Ce sujet a vraiment émergé à partir de 2015, lorsque les vidéos d’associations comme L214 ont été diffusées. Elles ont permis une médiatisation, une libération de la parole, et tous les sondages d’opinion depuis cette période montrent qu’il y a une montée de cette question dans l’opinion publique. Forcément, à côté de ces attentes de l’opinion publique dans les sondages, nous constations une absence du traitement de ces questions par les différents partis politiques, témoin d’un décalage. Nous avons donc décidé de combler ce décalage et de créer un parti politique pour répondre aux attentes citoyennes sur la question animale et aux enjeux liés à cette question.

V.P. : Vous êtes également connue pour votre militantisme au sein de l’association L214, dont vous êtes l’une des avocates. Quelles sont, selon vous, les différences entre l’engagement associatif et l’engagement politique ?

H.T. : Ce sont des formes différentes d’engagement. Cela s’inscrit dans une continuité, puisque je suis engagée pour la cause animale depuis longtemps. Tout d’abord, je me suis orientée vers la profession d’avocate pour faire avancer la question animale par le biais juridique. Je me suis heurtée à la difficulté de faire suffisamment émerger cette question au niveau judiciaire parce que les textes étaient soit insuffisants soit insuffisamment appliqués. La solution à ces difficultés est donc de modifier le droit, ce qui implique de basculer sur le champ politique. La transition s’est donc faite assez naturellement, même si, pour moi, ces engagements sont différents. Si certains reprochent aux avocats engagés d’être trop militants dans notre exercice professionnel, un avocat se contente d’appliquer le droit, et s’appuie sur des arguments juridiques articulés et étayés. Le travail et la mission sont donc très différents du point de vue de l’avocat, qui cherche à convaincre le juge d’appliquer le droit de cette façon, et du point de vue du politique, qui considère que le droit est insuffisant et qu’il faut le modifier. 

V.P. : Le Parti de protection des animaux allemand est parvenu, à partir de 2014, à obtenir un siège au Parlement européen, renouvelé en 2019. Comment expliquez-vous le “retard” de la France à ce sujet ? Pensez-vous que votre parti gagnera en influence dans les années qui viennent ?

H.T. : Tout d’abord, le parti allemand, le parti néerlandais et le parti portugais ont aujourd’hui des sièges au parlement européen. Pour les Allemands et les Néerlandais, la raison en est claire : le vote se fait à la proportionnelle intégrale et il n’y a pas de clause barrage. Autrement dit, le député allemand a pu être élu avec un peu plus de 1 % des suffrages, ce qui veut dire qu’en l’absence de clause barrage à 5 % en France, nous aurions eu des parlementaires au niveau européen lors des élections de 2019. Ensuite, il faut considérer les autres niveaux : nos partenaires au Pays-Bas ont cinq députés au niveau national, trois sénateurs et plus d’une cinquantaine d’élus municipaux. Donc, outre le fait qu’ils sont aujourd’hui beaucoup plus avancés sur la question que nous, le mode de scrutin compte, ce qui explique nos difficultés en France, du fait de l’absence de proportionnalité.

Ensuite, il est évident que la question évolue en France : lors de notre première élection, les législatives de 2017, nous nous sommes présentés sur 147 circonscriptions et nous avons obtenu un score moyen de 1,1 %, alors que nous avons obtenu le double aux élections européennes de 2019, avec 2,2 %. Il sera donc intéressant de voir ce qui adviendra aux législatives de 2022. Mais, en tout cas, nous sommes dans une progression. Je ne sais pas s’il existera un plafond, et à quel niveau il sera, mais des politologues, notamment du Cevipof [le centre de recherches politiques de Sciences Po Paris, qui fait aujourd’hui autorité, ndlr], qui nous suivent depuis nos débuts, pensent raisonnablement que nous pouvons atteindre, à terme, 5 % des suffrages.

Enfin, il y a plus qu’un retard en termes de prise de conscience des enjeux de la question animale en France : le pays est aujourd’hui un frein aux évolutions. A chaque fois que les partenaires européens veulent avancer sur la question animale, la France bloque. C’est toujours très en retard que l’Etat transpose les directives, et la France pèse de tout son poids pour bloquer les avancées. Nos partenaires européens voudraient aller plus loin, et c’est à chaque fois la France qui bloque l’avancée européenne. Pour nous, l’Union européenne se place à un niveau qui permet et qui a permis d’être plus ambitieux sur la question animale. Toutes les règles de protection des animaux ont été appliquées en France sous la pression de l’Europe. La France reste donc un véritable frein.

2/ Un programme consacré à la protection des animaux

V.P. : Pensez-vous que l’enjeu de protection des animaux soit plus urgent que d’autres enjeux mis en avant durant la campagne électorale, comme celui de protection de l’environnement ou de préservation du pouvoir d’achat des Français ?

H.T. : Je pense que l’on ne peut pas opposer ces thèmes, qui sont en réalité liés. Nous cherchons à montrer que la question animale intéresse toutes les grandes thématiques. Nous ne disons pas que la question animale est plus importante que les autres thématiques, mais qu’elle est aussi importante et qu’elle doit être également prise en compte. Surtout, il y a des connexions entre ces différentes thématiques. La question sanitaire, qui nous occupe depuis deux ans, qui a eu des conséquences économiques gigantesques et qui affecte le pays dans sa globalité est indubitablement liée à la question animale. L’élevage intensif crée de potentiels foyers pour des futures pandémies, comme l’indiquent les rapports internationaux. Autrement dit, si on ne met pas fin à l’élevage intensif et industriel, on prépare de nouvelles pandémies, avec toutes les conséquences économiques, sociales et familiales que l’on connaît. La question animale n’est donc pas étroite. D’autre part, sur la question du pouvoir d’achat, un Français sur cinq ne mange pas encore aujourd’hui tous les jours à sa fin, alors que l’on gaspille des ressources alimentaires de façon considérable et indécente. Pour produire un kilogramme de protéines animales, on a besoin, en moyenne, de sept kilogrammes de protéines végétales. Six septièmes de protéines végétales sont donc gaspillées, qui pourraient très bien être affectées à l’alimentation humaines, alors qu’elles pourraient permettre non seulement de nourrir tout le monde en quantités suffisantes, dans des conditions environnementales meilleures que l’élevage intensif, dont les conséquences sur le climat ne sont pas à prouver. Par ailleurs, cet élevage intensif engendre un gaspillage d’eau et une pollution des sols considérables, alors que la production de protéines végétales peut être locale, sans avoir besoin d’importer du soja de l’autre bout du monde. La France n’est pas souveraine alimentairement car elle gaspille trop d’aliments. Toutes ces thématiques sont donc liées. Il n’est pas question d’isoler la question animale, mais plutôt d’affirmer qu’elle a un rôle majeur dans l’ensemble des grandes thématiques de société. Même si on ne s’intéresse pas à la façon dont sont traités les animaux, même si on n’a pas d’empathie pour les animaux, nous avons, en tant qu’humains, à prendre garde à la façon dont sont traités les animaux car cela a des incidences directes sur nos grandes thématiques de société, sur l’humanité et sur notre environnement.

V.P. : Êtes-vous favorable à l’imposition du végétarisme à l’ensemble de la population française ?

H.T. : Non. Nous avons créé un parti qui fonctionne sur la démocratie : nous portons la parole des électeurs qui votent pour nous. Notre projet est de multiplier les possibilités d’alternatives végétales quotidiennes, notamment dans la restauration collective scolaire et en termes de pouvoir d’achat. Nous portons aussi une réduction de 50 % de la production d’aliments d’origine animale. Évidemment, nous n’imposons pas le végétarisme mais nous voulons faire connaître cette alimentation, informer les citoyens qui ont été abreuvés d’informations selon lesquelles, pour leur santé, il faudrait manger de la viande à tous les repas et consommer trois produits laitiers par jour. Il y a un travail d’éducation et d’information à faire, avec des moyens d’Etat, et il faut donner la possibilité de s’alimenter correctement de façon végétale. Mais en aucun cas il est prévu de rendre le végétarisme obligatoire.

V.P. : Pensez-vous qu’il soit possible de présenter un programme politique complet et crédible en le fondant sur la protection des animaux ? Pouvez-vous revenir sur trois mesures clés de votre programme ?

H.T. : Si on parle que de la question animale, le programme ne peut pas être crédible. Mais nous essayons à nous rattacher aux grandes thématiques de société pour montrer qu’en matière d’économie, en matière d’emploi, en matière de santé publique, en matière environnementale, etc, il faut intégrer la question animale dans les réflexions. C’est de cette manière que nous voyons des choses, et non de manière étriquée : nous voulons intégrer la protection des animaux et les potentielles conséquences sur leur vie dans nos politiques publiques. C’est donc un programme à la fois crédible et nécessaire, car nous ne pouvons pas nous concentrer uniquement sur les intérêts des humains en occultant tout le reste, parce que des connexions se font et nous rattrapent.

Pour nous, la mesure la plus urgente est la fin de l’élevage intensif et industriel sous cinq ans. Il s’agit d’interdire immédiatement les nouvelles constructions et les extensions, et d’accompagner, pendant cinq ans, les éleveurs de l’intensif à sortir de ce modèle. L’idée n’est pas de laisser les éleveurs sur le bas-côté : ils souffrent de cette situation, n’arrivent pas à vivre d’un métier très difficile.

Deuxième mesure importante : travailler à assurer notre souveraineté alimentaire, ce qui, évidemment, est lié à la première mesure. Le contexte de guerre nous montre que l’absence de souveraineté de la France pose d’importants problèmes. Nous devons être moins dépendants des importations d’aliments qui nourrissent les animaux d’élevage, donc réduire notre consommation de protéines animales et développer en France les cultures végétales. Nous voulons donc accompagner les éleveurs qui sortent de l’intensif vers le végétal, en produisant des légumineuses ou des céréales. Pour ce faire, nous comptons racheter leurs prêts pour qu’ils puissent se réorienter. Et nous voulons intégrer ces productions végétales souveraines dans la restauration collective.

La troisième mesure est de créer un ministère de la Protection animale, indépendant du ministère de l’Agriculture. Aujourd’hui, la question animale est exclusivement traitée par la ministère de l’Agriculture avec tous les conflits d’intérêts que cela implique, sans moyens de réellement défendre la question animale.

V.P. : La plupart des partis animalistes européens obtiennent de meilleurs scores aux élections européennes qu’aux élections législatives. Pensez-vous que l’action politique en faveur des animaux puisse être plus efficace à l’échelle européenne qu’à l’échelle nationale ?

H.T. : Il faut agir à tous les niveaux. Nous avons quelques élus de la délégation condition animale en municipalités, qui parviennent à faire avancer le sujet. Nous devons le faire avancer partout, à tous les échelons et à tous les niveaux de responsabilités. Nous avons choisi de nous présenter à tous les types d’élections. Ce sera plus facile à certains niveaux, mais c’est important partout. Le travail est particulièrement intéressant au niveau européen car nous pouvons travailler avec les autres partis animalistes européens, ce qui montre une dynamique plus générale, à l’échelle de l’Union européenne et à l’échelle du monde. Le travail à l’échelle européenne est aussi intéressant par la force que possède une réglementation européenne. Force démultipliée en travaillant avec l’ensemble de nos partenaires. Mais les échelons locaux ne doivent pas du tout être oubliés.

3/ Regards sur l’élection actuelle 

V.P. : Vous étiez candidate à l’élection présidentielle de 2022, mais, n’ayant pas obtenu les 500 parrainages d’élus requis avant le 4 mars, vous avez été contrainte de retirer votre candidature. Êtes-vous favorable à ce système de parrainages ? Comment expliquez-vous cet échec ?

H.T. : Il s’agissait de notre première élection présidentielle. Nous ne regrettons rien parce que notre présence a permis de faire remonter le sujet animal dans la campagne. Nous avons pu le porter pendant plusieurs mois. Nous savions que les parrainages constituaient une question très difficile, car la logique sous-jacente a été dévoyée. Alors que les parrainages devaient être un filtre pour écarter les candidatures peu représentatives ou non légitimes. Mais il se trouve qu’une candidature qui fait 2,2 % au niveau national, et qui porte un sujet qui monte, de la voix même des élus, ne constitue en rien une candidature fantaisiste ni déconnectée des attentes des citoyens. Pour une part grandissante des citoyens, la question animale est importante et doit avoir voix au chapitre. Le problème des parrainages est qu’il repose sur les voix des élus, qui obéissent aussi à des logiques partisanes. A part les candidats de grands partis qui n’ont aucun mal à obtenir les parrainages requis, tous les autres éprouvent des difficultés car la réalité est que la majorité des élus ont peur de parrainer. Ainsi se retrouve-t-on avec 70 à 80 % des élus qui ne parrainent personne. Là est le sujet. Si le système fonctionnait, on ne devrait pas avoir de tels taux d’abstention. Nous avons contacté plus de 30 000 élus, qui nous ont dit quasiment à chaque fois que notre candidature était légitime, qu’ils souhaitaient que nous ayons nos 500 parrainages, mais qui craignaient des mesures de rétorsion, comme des pertes de subventions, des difficultés avec les autres membres du conseil municipal ou des refus d’investiture de leur parti. Telle est la réalité. Ce phénomène peut être grandement expliqué par le fait que ces parrainages ne sont pas anonymes. Un système anonymisé nous aurait apporté depuis longtemps les 500 parrainages. Ce système est donc défaillant et dévoyé. On voit en effet que certains candidats qui obtiennent plus de 1 000 parrainages sont à 1,5 % dans les sondages. Il faut donc un parrainage citoyen. Il est normal qu’il y ait un filtre, mais un filtre citoyens, pour lequel les électeurs choisissent eux-mêmes les candidats qu’ils souhaitent désigner.

V.P. : Vos positions peuvent vous rapprocher de celle du parti Europe écologie – Les Verts. Pourriez-vous voter ou appeler à voter pour M. Jadot au premier tour de l’élection présidentielle ?

H.T. : Notre position est très claire : le parti animaliste est transpartisan. La cause animale dépasse les clivages politiques et rassemble des personnes de gauche, de droite, ou qui ne se reconnaissent dans aucune des sensibilités. La réalité le prouve : nos militants incarnent cette diversité de sensibilités. Ainsi sommes-nous indépendants : il n’y aura ni soutien, ni consigne de vote, car nous estimons que les consignes de vote sont particulièrement infantilisantes pour les électeurs. Ils sont en mesure de se déterminer par eux-mêmes.

Ensuite, au sujet d’Europe écologie – Les Verts, nous avons en apparence des proximités, mais de leur côté il s’agit souvent davantage de communication.. En réalité et sur le terrain, nous sommes différents. Nous avons créé le Parti animaliste car nous estimions qu’aucun des partis existants ne répondait à nos attentes sur la question animale.

Illustré par Maxence Delespaul

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.