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Empire Marvel
Illustration de Kim Provent pour KIP

L’émergence de l’empire Marvel, nouveau mythe d’Icare au XXIème siècle

Icare, l’un des héros grecs les plus célèbres, est surtout connu pour les conditions rocambolesques de sa mort : dotés d’ailes mécaniques fabriquées par son père Dédale, il découvre les joies du vol et de la liberté, pouvant s’élever dans les airs. Mais le jeune homme tombe dans le péché d’hybris, voulant s’approcher toujours plus prèsêt du soleil. La chaleur dégagée par celui-ci fait fondre la cire reliant les plumes de ses ailes et il finit par s’écraser dans la mer Égée. A priori, il est difficile de voir un rapport entre ce récit central de la mythologie grecque et le Marvel Cinematic Universe, ensemble de films et de séries basées sur les comics éponymes lancé il y a maintenant bientôt 13 ans. Quoique…

D’un projet fou…

Rendez-vous compte, lorsque Iron Man, premier film du Marvel Cinematic Universe sort en 2008, le projet de Marvel de lancer un vaste univers super-héroïque semblait bien utopique. Les films du genre connaissaient un succès des plus mitigés : aux films Blade et au Spiderman de Sam Raimi plutôt bien reçus par les critiques et par le grand public, succédaient Les 4 Fantastiques et les X-men qui eux étaient descendus en flamme. Les studios Marvel ne possédaient même pas les droits de plusieurs des personnages majeurs des comics comme notamment Spiderman. De plus, si le casting proposé pour les rôles titres comportaient plusieurs acteurs confirmés (Samuel L Jackson, Jeremy Renner, Chris Evans, Chris Hemsworth, Robert Downey Jr ou encore Marc Ruffalo), aucun ‒ à part peut-être Scarlett Johansson dans le rôle de Black Widow ‒ ne semblait en mesure de pouvoir porter sur ses épaules un projet de cette ampleur. Enfin, si le genre super-héroïque disposait d’une communauté de fans historiques, il était cependant difficile de voir en ces films de futurs mastodontes du box-office international.

Pourtant, les six films de la « Phase 1 » du projet rencontrent un certain succès. A part le film L’incroyable Hulk, cas à part dans le Marvel Cinematic Universe1L’appartenance de ce film à l’univers Marvel est souvent discutée, la quasi-intégralité du casting ayant depuis été recasté et Marvel ne possédant pas les droits du personnage de Hulk pour un film solo centré sur celui-ci. , tous les autres films dépassèrent les 400 000 000$ de recettes, un chiffre très correct pour l’époque. L’apogée de cette phase, le premier Avengers rassemblant les héros précédemment introduits totalisa même 1,5 milliard de dollars, un résultat tout simplement exceptionnel pour un film de 2012 et qui représente encore aujourd’hui le huitième meilleur résultat pour un film dans l’histoire du cinéma. Bref, en l’espace de quatre ans, les studios Marvel avaient réussi un incroyable tour de force : lancer en partant de rien un ensemble de films reliés entre eux et susciter une attente renforcée pour les phases suivantes, bien loin du relatif anonymat que connaissaient les films de super-héros jusqu’alors chez les non-initiés.

Vint ensuite une Phase 2 en demi-teinte, entre confirmation avec Iron Man 3 et ses 1,2 milliards de dollars de recettes au box-office, adulation critique avec Captain America : Le Soldat de l’hiver. Cette phase brille par la diversité de ces films:, film d’espionnage ô combien d’actualité à sa sortie en 2014,  peu après l’affaire Snowden, comédie rafraîchissante décalée avec l’inattendu succès des Gardiens de la galaxie et catastrophe industrielle avec Thor 2 : Le monde des ténèbres. Bref, à l’image de sa conclusion avec un Avengers : l’ère d’Ultron lourdingue et clairement en demi-teinte sans pour autant être un échec financier, cette période de trois ans confirmait le retour au premier plan des films de super-héros tout en montrant leurs premières limites et un risque d’overdose chez le public.

… A un envol majestueux

Alors que s’amorce en 2019 la phase 3 du MCU, les studios Marvel (sous bannière Disney depuis 2009) sont attendus au tournant. Celle-ci doit conclure avec le troisième et le quatrième film Avengers un arc narratif s’étant développé sur plus de 10 ans et sera donc très scrutée par les fans. Elle doit aussi permettre l’introduction dans cet univers de certains des personnages préférés des fans de comics tels que Spiderman. Les attentes sont d’autant plus grandes que le rachat de la Fox par Disney offre au grand patron de Marvel Kevin Feige un potentiel quasi illimité en termes de développement d’univers. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la licence Marvel a passé avec un brio pour le moins certain cet examen de passage. Du phénomène de société Black Panther qui devint l’un des symboles du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis jusqu’au double épisode d’Avengers (Infinity War puis Endgame), six films estampillés Marvel Studios rapportant plus d’un milliard de dollars au box-office mondial sortent en l’espace de quatre ans au cinéma. Chaque film est à présent un événement et la communauté de fans grossit de jour en jour. La saga des pierres d’infinité est morte, vive le roi Marvel !

Au vu de l’incroyable succès que reçoit quasiment tous les films Marvel, le temps semble au beau radieux pour les super-héros de Disney. On ne peut qu’être optimiste pour l’avenir, surtout quand on voit l’immensité du champ des possibles qui s’offrent aux équipes de Kévin Feige. La plateforme Disney + du géant américain éponyme ouvre en grand au studio les portes du petit écran (auquel celui-ci s’était déjà essayé il y a plusieurs années sur Netflix avec les sous-cotés Jessica Jones, Daredevil, Iron Fist et Luke Cage. La première production de la si attendue phase 4 du MCU est d’ailleurs la série WandaVision, disponible depuis Janvier dernier. La banque de personnages de l’univers Marvel s’enrichit encore de nouveaux personnages, Marvel Studios ayant récupéré les droits des X-Men ou encore des 4 Fantastiques. Enfin, Marvel semble vouloir attirer de nouveaux publics, s’attaquant notamment au marché chinois par un film très centré sur la culture de ce pays, Shang-Chi, présentant un héros spécialiste des arts martiaux. Rien ne semble pouvoir arrêter l’usine à cash Marvel… Enfin… Presque rien…

Pourquoi va-t-on assister à la chute de Marvel Studios ?

Si Icare, condamné par son hybris a fini par voir ses projets de grandeurs tomber à l’eau (c’est bien l’occasion de le dire), pourquoi en serait-il de même pour Marvel ? Le parallèle semble en effet s’arrêter à l’ascension fulgurante des deux entités. Pourtant, je suis persuadé que la stratégie prônée par Marvel conduit le studio à pécher par orgueil, ce qui pourrait bien le mener à sa perte et ce plus rapidement qu’on ne le pense.

Tout d’abord, à vouloir s’approcher toujours plus près du soleil, Kevin Feige risque bien de se brûler. En effet, Disney presse les différentes franchises qu’elle a pu racheter durant la dernière décennie, jusqu’à totalement les dénaturer et provoquer un effet de trop plein visible y compris chez les fans de la première heure (tous les amoureux de la saga Star Wars peuvent en témoigner). Marvel n’échappe pas à cette règle ! Imaginez plutôt : pour la fameuse « phase 4 », Marvel envisage de sortir quatre films (sans compter les éventuels reports liés au COVID 19 qui pourraient encore densifier le calendrier déjà surchargé). Et à cela il faut ajouter huit séries inédites qui seront destinées à Disney +. A moins d’avoir une capacité de visionnage quasi-illimitée, c’est l’indigestion assurée.

L’overdose est d’autant plus prévisible que ce n’est pas comme si les nouvelles productions Marvel révolutionnaient le genre super-héroïque. Dans 90% des cas, le scénario est découpé en trois phases : 1- Un individu doté de pouvoirs surnaturels se comporte de manière immature et irresponsable, 2- Il rencontre sur son chemin un méchant vraiment vraiment méchant qui lui colle une raclée, 3- Le héros comprend le fameux dicton « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » et bat le méchant. Ajoutez à cela le sempiternel love interest aussi fade qu’inutile, le meilleur ami du héros qui par ses actes tous plus farfelus les uns que les autres apporte une touche comique à l’intrigue et la traditionnelle scène post-générique (parce qu’après deux heures de films, il faut rappeler aux spectateurs qu’il faudra repayer une place pour un épisode 2 qui sera plus ou moins calqué sur le premier volet), secouez un peu, et ça y’est, votre film Marvel est prêt. Toute tentative d’innovation trop importante est étouffée sans pitié. Demandez à Scott Derrickson, installé en tant que réalisateur de Doctor Strange : The multiverse of madness prévu pour 2022, puis tout aussi rapidement éjecté du projet lorsqu’il annonça vouloir faire de ce projet un film d’horreur. Bienvenue chez Marvel, le paradis des Yes Men et la morgue des idées innovantes. C’est d’ailleurs l’un des principaux points qui conduit aujourd’hui à une diabolisation du studio et plus globalement de la maison mère Disney: le développement  de firmes gigantesques au mépris du cinéma indépendant. Le phagocytage du cinéma par Disney se fait au mépris des milliers de producteurs indépendants, menaçant de redessiner en profondeur le paysage hollywoodien.

Enfin, il y a un danger réel pour Marvel de prendre des personnages moins connus en termes de tête d’affiche de leurs prochains films. En effet, s’il était utile pour faire avancer la trame narrative du MCU de faire mourir certains des personnages principaux que les fans ont appréciés pendant les dix années passées, on peut sérieusement se demander si Shang-Chi, Mrs Marvel ou encore She-Hulk remplaceront les piliers qu’ont longtemps représenté pour Marvel Studios Chris Evans en Captain America, Robert Downey Jr en Iron Man ou encore Scarlett Johansson en Black Widow. Le pari est audacieux, mais avant tout risqué tant le départ de ces figures de proues du MCU risque telle la cire fondue des ailes d’Icare de faire tomber tous les beaux projets de Marvel Studios à l’eau.


[1] L’appartenance de ce film à l’univers Marvel est souvent discutée, la quasi-intégralité du casting ayant depuis été recasté et Marvel ne possédant pas les droits du personnage de Hulk pour un film solo centré sur celui-ci.

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.

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