KIP

Zemmour et Bolloré : trouvez-vous une chambre !

Aujourd’hui, chers lecteurs, la rédaction vous propose : une histoire d’amour ! L’amour c’est beau, d’accord, c’est chaud, parfois, et c’est rouge, comme le logo CNEWS. Laissez-moi vous compter la dernière love-story en date sur notre chère scène publique française, celle que même Closer n’a pas encore couverte, entre Eric Zemmour et Vincent Bolloré.

La courbe de ta polémique fait le tour de mon plateau TV

Si je ne ferai pas l’insulte au lecteur de lui présenter M. Zemmour, j’aimerais tout de même enfoncer une porte ouverte et souligner qu’il est l’une des coqueluches de la chaîne CNEWS, élément phare de l’empire médiatique de Vincent Bolloré, et fer de lance de sa stratégie pour peser sur les prochaines présidentielles. Bolloré le multimilliardaire, fâché avec le reste du spectre politique, a trouvé en Zemmour son candidat, son poulain pour 2022 : sa radicalisation idéologique le brouille avec Macron, qui aurait « perdu le combat civilisationnel », et le pousse dans les bras du polémiste. Et quand on aime, on ne compte pas : un ancien militant d’un groupuscule d’extrême droite, Patrick Mahé, se retrouve à la tête de Paris Match. Pascal Praud, « hyperconservateur » autoproclamé, joue les figures de proue chez CNEWS. Que du beau monde chez Bolloré média.

Sur les plateaux de Bolloré, Zemmour est comme un poisson dans l’eau : pour faire paraître ledit poisson plus gros, on rétrécit la mare ; les débats sont légèrement biaisés, et on ne voit que lui. Quand Zemmour se rapproche à petits pas d’une candidature à la présidentielle, on s’aperçoit d’ailleurs de cette omniprésence (une pensée émue pour le CSA).

Mignonne, allons voir si la rue soutient Éric Zemmour

L’amour n’est pas amour s’il ne descend pas jusque dans les boulevards : l’émission “Face à la rue”, qui met des personnalités publiques dans des situations soit-disant spontanées -, dans la rue donc -, a accueilli comme premier invité M. Zemmour (surprenant, je sais). Une scène d’anthologie, mise en avant sur les réseaux sociaux de CNEWS, montre le polémiste convaincre une femme d’enlever son voile en enlevant lui-même sa cravate. Si on laissera bien volontiers le mini strip-tease de M. Zemmour à sa place (dans une chambre bien fermée dans laquelle on ne mettra jamais un pied, si vous suivez), et que l’on se gardera de toute remarque sur le port du voile, on soulignera que cette jeune femme est salariée de Bolloré Logistics. Ses réseaux sociaux la montrant rarement voilée, et l’émission étant (De l’aveu de M. Morandini, son présentateur, lui-même), scénarisée, on est en droit de s’interroger sur la spontanéité de la scène. L’émission toute entière fait intervenir des personnalités triées sur le volet, pour faire paraître M. Zemmour sous son meilleur jour (cravate lascivement dénouée, donc… aah Bolloré, tu nous régales !).

Il est entré dans nos têtes une part de Zemmour et je vois la vie morose

Mise en scène de A à Z ou bien seulement de A à X (renoue cette cravate Éric), ces sorties médiatiques ne sont pas un hasard. Bolloré soutenant Zemmour, ce n’est pas simplement une petite histoire amusante. C’est toute la force d’un appareil médiatique surpuissant, capable de transformer un polémiste qu’on écoute d’une oreille en candidat présidentiable plus crédible que bien d’autres. Un rouleau compresseur, qui envahit le petit écran et les réseaux sociaux (pas une journée sans voir Zemmour en top tweet) sans laisser à nos cerveaux le moindre répit. L’image lissée, les écarts instrumentalisés, la rue domptée, M. Bolloré offre à M. Zemmour une rampe de lancement dernier cri pour la présidentielle.

Pourquoi faut-il s’en inquiéter ? Parce qu’au-delà des opinions personnelles sur le nouveau candidat, il serait bon de se rappeler que démocratie et oligarchie, ça rime, mais que c’est quand même pas la même chose. Qu’un polémiste soit-disant opposé aux élites, auto-proclamé anti-système, s’appuie sur un milliardaire tel que Vincent Bolloré pour servir leurs intérêts réciproques, on pourrait avoir envie d’en rire; j’aurais presque envie d’en pleurer. Comme le souligne parfaitement un article de Julien disponible sur KIP, le parallèle que l’on peut faire sur ce point entre Trump et Zemmour saute aux yeux.

Messieurs Zemmour et Bolloré, l’amour c’est sympa, mais trouvez-vous une chambre : c’est un peu gênant de vous voir étaler votre relation dans les médias. De la dignité, que diable !

Illustré par Julie Omri

Avatar

Rédacteur de KIP