KIP

Analyse critique de la vidéo de candidature d’Éric Zemmour

Nous sommes le mardi 30 novembre, il est 12h. 

Éric Zemmour vient d’officialiser sa candidature à l’élection présidentielle. 

Cette annonce s’est faite à travers une petite vidéo d’une dizaine de minutes. Avec une telle mise en scène, c’est peut-être même le terme de court-métrage qui serait ici le plus adéquat. 

Mêlant extraits de vidéos, discours de l’auteur et utilisant Beethoven comme fond sonore, cette vidéo touche celui qui la regarde. Elle attache le regard et marque l’esprit. Elle énerve, elle déchaîne. Elle donne envie de se lever avec ou contre son auteur.

Cette officialisation de candidature ressemble de près à une déclaration de guerre. 

Il ne s’agit pas ici de critiquer les idées d’Éric Zemmour ni de faire un plaidoyer politique. Nous voulons simplement tenter une analyse critique de cette vidéo. L’expliquer permettra, peut-être, de dissiper le malaise qui s’en dégage.

« Pour que nous puissions leur transmettre la France telle que nous l’avons connue et reçue de nos ancêtres » 

Nous voilà soudainement plongés dans une France merveilleuse, intellectuelle et artiste : celle des siècles précédents. L’époque dans laquelle nous vivons serait au contraire celle de l’obscurantisme. Voici tout de même un drôle de renversement.  

« Le pays de Pascal et de Descartes » nous dit-on, comme si avant le XXIème siècle tout citoyen français était un véritable Pic de la Mirandole et s’adonnait au débat intellectuel.  Rappelons qu’au XVIIème siècle très peu de personnes savaient lire et que donc, il semble peu probable que les travaux de Descartes donnaient lieu à des débats enflammés dans toutes les chaumières. La France de Descartes et de Pascal se limitait sans doute à quelques arpents, quelques palais.

Pire, Descartes ne pouvait pas publier ses œuvres librement et décida même de patienter de longues années avant de faire paraître Le Monde. Il craignait de subir le même sort que Galilée, condamné pour ses travaux en 1633 (car ils allaient à l’encontre des conceptions de l’Eglise) et qui resta en résidence surveillée jusqu’à sa mort en 1642. Rédigé en 1633, le Monde ne fut publié qu’en 1664.  Est-ce un endroit rêvé que celui où s’exerce la censure sur les philosophes ? 

De la même manière, la France de « Victor Hugo » est une France qui a exilé pendant vingt années cet artiste exceptionnel car il osait condamner dès 1851 la violence du Second Empire. Est-ce là une France « légère et brillante », que celle qui oblige ses esprits les plus fins à la fuir pour rester libre ?  

D’ailleurs, « la France de Victor Hugo » et la misère matérielle et intellectuelle qui allait avec, ce dernier la combattait avec force. Victor Hugo croyait dans le progrès et l’élévation de l’homme, non dans la nostalgie et le retour en arrière. Il ne fait aucun doute que Victor Hugo en personne ne serait aucunement nostalgique de « la France de Victor Hugo ». 

De tous ces raccourcis s’élève un tableau qui ne tient pas debout. La France dont il est ici question n’a jamais existé. Elle est une jolie construction, un beau roman national pourrait-on peut-être dire, une belle « idole » qui ne sert malheureusement qu’à une chose : exacerber le nationalisme et délaisser le présent pour un passé fantasmé. Rêver du passé, c’est quitter le présent. Le nostalgique, c’est celui qui a peur de l’avenir. 

« Il n’est plus temps de réformer la France mais de la sauver »

Si le passé apparaît aussi radieux, c’est comparé à la noirceur du présent. Mimant l’appel à la résistance de de Gaulle du 18 juin 1940, Éric Zemmour mobilise les heures les plus sombres de l’histoire française. Si la référence à de Gaulle est devenue monnaie courante dans le paysage politique actuel, il semble ici y avoir un décalage trop important entre l’annonce d’une candidature à l’élection présidentielle et ce discours mythique. 

Éric Zemmour tente de créer une ambiance lourde et pesante, faite de précarité et de violence. Cette mise en scène annonce un autre élément important de la vidéo : la mise en exergue d’une violence supposément partout et la dramatisation de la situation actuelle. 

« Ils vous ont caché la réalité de notre remplacement »

 S’il y a besoin d’entrer en résistance, c’est qu’une guerre a commencé. Mais alors qui est l’ennemi ? Il serait d’abord intérieur : la violence. 

Une longue énumération convoque tous les lieux les plus anodins où chacun est amené à se rendre dans la vie de tous les jours et les transforme en véritables zones de guerres : les urgences, la sortie de l’école, l’aéroport, la poste. A chaque fois ou presque, les images qui sont utilisées montrent des scènes de guérilla urbaine, de violence, de tension. Ce procédé est périlleux car il insinue très clairement que prendre le métro ou aller à la poste serait un danger. Il ne s’agit pas de dire que cette violence n’existe pas, ou qu’il n’y a jamais d’incidents, peu importe le lieu. Mais il faut le dire : la rhétorique utilisée laisse penser que sortir de chez soi, c’est s’exposer à une violente attaque. Est-ce vraiment le cas ? Est-ce que nous français, vivons chaque jour, à chaque instant ces assauts ? Je ne le crois pas. Monsieur Zemmour a peut-être ce privilège grâce aux amitiés durables qu’il a réussi à nouer partout en France, pas les autres français. 

Regardons les chiffres : il y eut par exemple 350 000 agressions entre janvier et juin 2021 en France (chiffres repris d’un article du 29/07/21 du magazine Le Point). Ce chiffre est considérable. Mais pour 67 millions de français sortant chaque jour, signifie-t-il que la violence est quotidienne pour chacun ? Non. La violence existe, mais ce que montre cette vidéo, à savoir une violence de tous les instants, de tous les lieux, cela n’existe pas. 

« Nous ne nous laisserons pas dominer, vassaliser, conquérir, coloniser »

Cette violence « observée » par le candidat lui donne en quelque sorte carte blanche pour utiliser un vocabulaire militaire tout au long de son discours. Subir la violence donne le droit d’y répondre. La vidéo montre donc aussi la réaction populaire face à ce « grand remplacement » parfaitement symbolisée par la phrase : « Nous les Français, nous avons toujours triomphé de tout ». 

En plus des images, le fond sonore participe également de cette ambiance belliqueuse. Dans le film Meurtre mystérieux à Manhattan, Woody Allen disait : « Quand j’écoute trop Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne ». Il y a indubitablement quelque chose de cet ordre qui est à l’œuvre. Cette musique est agressive, poignante. Elle donne envie de résister, de se battre. L’effet est parfaitement réussi. Nous avons presque l’impression que la France est en guerre. Non, pas contre les allemands ou le Covid-19. Contre elle-même. 

« Le peuple français chasse ses mauvais bergers » 

Car un autre ennemi rôde et veut du mal au peuple français. En plus de l’ennemi « d’en bas », l’ennemi « d’en haut ». Après la violence du quotidien et le grand remplacement, les élites complices de l’islamo-gauchisme. 

Dans un élan qui se rapproche dangereusement du complotisme et qui remet à plus tard toute nuance, sont mis dans le même sac des journalistes, des syndicalistes, des hommes d’église, des universitaires, des hommes politiques et même des juges. En un mot, tout ce qui représente une quelconque forme de pouvoir ou d’autorité. 

Cette rhétorique est assez courante, c’est celle de « l’anti-système » : rejeter tout ce qui est établi pour apparaître comme la seule alternative qui serait viable. Cette création d’un nouvel ennemi, celui des institutions, cherche encore à renforcer le sentiment d’insécurité, de dépossession. C’est ce sentiment de se faire « voler son pays » que le candidat cherche à éveiller. Ceux censés défendre notre pays ne remplissent pas leur rôle. 

« La France n’était plus la France et tout le monde s’en était aperçu »

C’est donc un tableau bien sombre de la France qui nous est montré ici. Une France moins brillante que jadis mais plus violente. Une France moins démocratique, mais soumise à des élites cyniques.  

La fin de la vidéo laisse place à une certaine inquiétude. Mais de quoi ? Notre pays est-il vraiment devenu ainsi ? Rassurons-nous, du moins en partie, car nous voyons chaque jour que ce n’est pas le cas. En partie seulement, car nous voyons aussi que beaucoup y croient.

Illustré par Julie Omri

Eliott Perrot

Eliott Perrot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Member of KIP and regular contributor.