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Illustration de Rajda Kahoul pour KIP.

Le crépuscule des idoles ou comment philosopher avec une start-up

Xavier Niel ou Elon Musk sont des noms qui inspirent l’admiration et l’envie. Dans un monde accéléré qui voue un culte au progrès, la start-up devient le nouvel Eldorado contemporain. Dès lors, rien de moins surprenant que le startuper, en digne ambassadeur de cet idéal, devienne un modèle qui suscite l’enthousiasme. Il semble rompre avec les modèles entrepreneuriaux passés, pourtant il plaît parce qu’il incarne en réalité les idéologies les plus profondément ancrées dans notre société occidentale. Figure disruptive ou substantifique moelle de l’ancien monde ? Creusons un peu.

Fermez les yeux. Figurez-vous « un homme dynamique, créatif, visionnaire, ambitieux et pragmatique. »

Cette description qui pourrait être celle d’un super-héros tiré des meilleurs Marvel est en fait ce qu’une étude de la BNP [1] attribue à la personnalité du startuper type. C’est dire comme ce dernier est adulé. Et si l’étude de la banque reflète cet engouement collectif pour la figure du startuper, c’est loin d’être le seul indicateur qui le révèle.

En effet, le vocabulaire associé à l’univers de la start-up est déjà un indice probant de la bénédiction que lui donne la société. Des termes à la consonance anglophone et nettement mélioratifs sont employés de manière récurrente afin de nommer les rares élus évoluant dans cette Terre Sainte économique. On voit ainsi une horde de « business angels » (i.e investisseurs spécialisés dans les start-ups) côtoyer une armée de « customer heros » (plus humblement appelés « directeurs commerciaux » dans les entreprises classiques). Ainsi, la notion de start-up est idéalisée puisqu’elle est automatiquement associée au Bien.

Reste ainsi à expliquer les raisons d’une telle adoration.

Harder, Better, Faster

La start-up se distingue de la petite entreprise par la croissance fulgurante qu’elle connaît. Elle semble promettre une amélioration des résultats constante et infinie.

Le phénomène est encore accru lorsque la start-up s’appuie sur les nouvelles technologies pour garantir cette croissance. Le progrès (i.e l’intelligence artificielle, le stockage de données dans le Cloud et autres merveilles technologiques) entretient alors le progrès (i.e. la croissance de la start-up). Cela permet de financer les recherches qui garantiront le progrès futur (i.e les nouvelles technologies développées par la startup). Le startuper se voit alors propulsé à la tête d’une spirale vertueuse qui semble promettre une croissance sans fin.

Il va sans dire que cette illusion de croissance parfaite n’est qu’un écran de fumée qui dissimule le risque élevé inhérent à l’initiation de tout projet et qui, en réalité, cause la chute de nombreuses start-up. D’après l’INSEE [3] , 49 % des startups feraient faillite après 5 ans, mais c’est sans compter les projets qui ont requis des mois de travail qui sont abandonnés avant même la création de l’entreprise. C’est pourtant un aspect que le public oublie vite.

Étudions davantage le startuper lui-même. Il est, selon l’imaginaire collectif, jeune, sportif et réussit dans la vie.

Quel tableau idyllique, n’est-ce pas ? Idyllique non seulement parce que la start-up est performante à l’instant présent, mais aussi parce qu’elle est une promesse d’amélioration constante garantie bien souvent par le progrès technique. Elle concrétise ainsi le mythe du progrès et le startuper, en bon ambassadeur, l’incarne : raison n°1 d’adoration.

Homo festivus

Mais cette raison, vous vous en doutez, n’est pas la seule. Le startuper est un sujet évoluant dans un univers caractéristique d’une plus grande espèce : l’homo festivus [2] . En effet,  il se meut dans un espace où le divertissement est omniprésent. Les babyfoots colonisent les bureaux, les canapés ornent les espaces communs et les jeux vidéo connaissent une véritable apologie. Philippe Muray y verrait la marque indéniable de l’homo festivus (i.e l’homme contemporain en tant qu’il est obnubilé par le divertissement et assimile l’existence à une fête permanente sans en mesurer la profondeur). Le startuper, persuadé que la réussite de sa vie professionnelle va de pair avec un épanouissement personnel, incarne donc le rêve de ses congénères en mélangeant intimement travail et jeu : raison n°2 d’adoration.

Me, myself and I

« Jamais deux sans trois » professe le dicton populaire. Je vous propose donc une troisième raison afin d’expliquer le charme du startuper : il est un prophète de l’initiative individuelle.

Selon l’étude menée par la BNP, le motif le plus souvent évoqué par le commun des mortels pour expliquer sa volonté de gagner les rangs de l’entrepreneuriat est sa soif d’indépendance. En effet, le startuper souhaite « disrupter » la société, sortir des normes imposées par les infrastructures pesantes des grandes entreprises afin de réinventer le monde professionnel. Il est libre car il s’est affranchi des institutions : c’est un self-made-man.

Vous reconnaissez ici l’adage libéral qui encourage chacun à s’extraire des institutions collectives pesantes pour penser out of the box et ainsi créer une méthode de travail qui lui correspondrait davantage : raison n°3 d’adoration.

Ainsi, ces raisons d’adoration démontrent une chose : le public est convaincu que le startuper sort du système en sortant de l’entreprise classique. Pourtant, il ne fait qu’incarner ce système puisqu’il est le produit d’idéologies sous-jacentes à notre société occidentale. Dès lors, il est absurde de vouloir renouveler notre modèle de société grâce à la start-up. Au contraire, si telle est l’ambition du public, il s’agit d’en inventer réellement un. 

« Le désillusionné parle : je cherchais des grands hommes, et je n’ai trouvé que des hommes cherchant leur idéal. »[4]

Sources et renvois

  • Étude sur les startupers en France réalisée par l’atelier BNP Paribas et TNS Sofres. Étude menée auprès de 200 entrepreneurs français.
  • Après l’histoire, Philippe Muray, Les Belles Lettres, 1999.
  • Etude conduite par l’INSEE en 2017.
  • Friedrich Nietzsche – Maximes et traits – Crépuscule des idoles ou comment on philosophe avec un marteau, 1888.
Clara Descos

Clara Descos

Etudiante française en Master in Management (H2022) à HEC Paris.
Contributrice régulière - Responsable interviews

French student in Master in Management (H2022) at HEC Paris
Regular contributor - Interviews Manager