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Le « contrat du siècle » tombe à l’eau

A la stupéfaction générale, l’Australie a annoncé 5 ans après la signature du « contrat du siècle » qu’elle renonçait à sa commande de 12 sous-marins à l’entreprise française Naval Group. Pourtant, cette décision est loin d’être une surprise et doit obliger la France à prendre conscience des difficultés évidentes que connaissent ses fleurons industriels à être concurrentiels. Ce choix australien force également la France à mener une réflexion sur le déclin de sa position internationale. 

La débâcle de Naval Group, reflet des lacunes de l’industrie française

Après 14 mois de lutte face à l’allemand TKMS et au consortium japonais Mitsubishi-Kawasaki, Naval Group remporte l’appel d’offres australien. Le champagne avait coulé à flots lorsqu’il avait été entériné entre Paris et Canberra en 2016. Pourtant, le contrat du siècle s’est aujourd’hui transformé en contrat de la discorde. Il est également le triste témoin d’un déclin certain de l’attractivité des entreprises françaises. L’entente avec l’Australie aurait permis à Naval Group de renforcer sa position internationale dans l’industrie de l’armement, mais elle s’est finalement avérée vectrice de honte et de dénigrement pour le groupe. 

Pour autant, Naval Group ne peut se plaindre de cette situation, car l’entreprise en est totalement responsable. Initialement fixés à 50 milliards de dollars, les coûts du contrat ont été réestimés à 80 milliards de dollars dès 2019, auxquels s’ajouterait un coût d’exploitation de la future classe Attack de 145 milliards de dollars d’ici 2080. Moins de 4 ans après le lancement du contrat, le groupe prévoyait déjà un retard de 9 mois dans la phase de design des sous-marins, phase qui représente 47% des coûts totaux de leur production. Bien entendu, calculer le coût exact de cette production est extrêmement complexe, et une augmentation des prix est totalement vraisemblable, mais la volte-face de l’Australie ne semble pas excessive. En effet, l’Australie avait déjà subi une déception suite à la signature d’un pacte avec la Suède en 1996, qui avait connu des surcoûts exorbitants, des retards colossaux, additionnés au fait que les sous-marins livrés présentaient des déficiences majeures. Peut-on alors réellement brimer l’Australie d’avoir pris la décision d’annuler un contrat de plus en plus défaillant, censé assurer sa sécurité nationale pour au moins 50 ans ?

L’Australie n’est donc pas à blâmer pour ce choix, mais cela ne retire en rien le sentiment amer que la France ressent face à ce retrait, qu’elle considère comme « un coup dans le dos »1Selon les termes de Jean-Yves le Drian, ministre français des Affaires étrangères . Outre la honte d’avoir perdu ce contrat, cette décision ne fait que dévoiler la médiocrité dans laquelle la France se confond depuis quelques décennies déjà. En effet, d’autres affaires témoignent des difficultés présentes de l’industrie française de l’armement à convaincre des acheteurs sur la scène internationale. Au cours de l’été 2021, la Suisse choisit le groupe américain Lockheed Martin pour la construction de 56 avions de chasse, au détriment du Rafale de Dassault.  Cet échec montre bien que la France est de moins en moins capable de convaincre de potentiels acheteurs pour sa production industrielle. Ainsi, l’impossibilité de Naval Group à répondre aux exigences australiennes révèle les lacunes d’un complexe militaro-industriel gangréné par des années de difficultés à innover et à s’imposer sur la scène internationale. Lorsque l’on sait que l’industrie de l’armement est un des secteurs de pointe en France, il devient légitime de se demander quel avenir attend notre pays…

La France boit la tasse en tentant de justifier cet échec

La culpabilité de Naval Group dans la perte de ce contrat n’est plus à prouver. Cependant, au milieu du tourbillon médiatique qui entoure cette affaire, des éléments ressortent, tentant de justifier l’échec de Naval Group en rejetant la faute sur l’Australie. En effet, les chiffres auraient été gonflés par les médias australiens, qui auraient fait preuve d’un intérêt presque malsain envers Naval Group car l’entreprise n’était pas encore présente sur le territoire australien. De plus, Naval Group a été victime d’une campagne de dénigrement2Campagne menée en particulier par le PDG de Jaycar Electronics qui a commandé une étude au cabinet Insight Economics Australia pour montrer que le montant du contrat était excessif., qui s’est poursuivie lorsque le parti travailliste australien a qualifié de « profondément préoccupant » le retard de Naval Group un an seulement après la signature du contrat. Hervé Guillou, ex-PDG de Naval Group, va jusqu’à dénoncer des critiques « totalement malveillantes et totalement infondées […] et une campagne malveillante qui n’a aucune raison d’être. » Il est évident que ces critiques peuvent être dures à entendre, mais elles ne reflètent que la réalité. Le retard pris par le projet et les surcoûts qui commençaient à s’accumuler ont été alarmants pour l’Australie, qui a déjà vécu une expérience similaire dans le cadre de son contrat avec la Suède. Naval Group aurait bien évidemment dû déployer un effort plus important pour honorer ce contrat, quitte à annoncer des retards et des surcoûts ultérieurement.

A cela s’ajoutent les plaintes de la France qui, à force de tenter de justifier ses performances médiocres, semble se noyer dans un verre d’eau. Sa justification principale vient du fait que la concurrence est très forte entre les industriels navals. Certes, une concurrence importante accroît la difficulté à obtenir des contrats, mais c’est également un élément qui aurait dû pousser le groupe à se dépasser, à innover, afin de satisfaire la demande australienne et de séduire de nouveaux acheteurs. De plus, la France avait déjà été avertie plusieurs fois par l’Australie, qui expliquait son mécontentement. Son retrait du contrat n’est donc pas étonnant, au vu de l’absence de réactivité française. Visiblement, la France a eu trop confiance en ses capacités en matière d’armement et elle n’a pas su garder les pieds sur terre. 

La France, éternelle délaissée

L’humiliation pour la France d’avoir perdu ce contrat prend un goût encore plus amer lorsque l’on apprend que l’Australie a finalement décidé de confier la construction de ses sous-marins aux Etats-Unis. Vécue comme une trahison, la seule justification avancée par l’Australie est le contexte géopolitique changeant de la région indopacifique, en particulier lié à la montée en puissance menaçante de la Chine. La France se trouve donc marginalisée et méprisée dans le cadre de la montée des rivalités entre les Etats-Unis et la Chine, alors même qu’elle s’était évertuée à effectuer un tournant indopacifique pour ne pas être mise de côté. 

Une nouvelle fois, ce mépris peut surprendre ceux qui voient toujours en la France une nation incontournable militairement et économiquement parlant. Bien qu’ayant été une puissance avec laquelle il fallait compter au sortir de la Seconde Guerre mondiale, elle a depuis été rétrogradée au rang de puissance moyenne ayant fait preuve « d’une foi naïve dans la protection des Etats-Unis »3D’après les termes de Jean-Baptiste Vouilloux, dans La démilitarisation de l’Europe – un suicide stratégique ? selon Jean-Baptiste Vouilloux, lorsqu’il traite le sujet de la démilitarisation européenne.  Même si, fut un temps, la voix française a eu un poids décisif dans les décisions internationales, elle n’est plus guère audible aujourd’hui, dans un monde de plus en plus complexe et concurrentiel auquel la France a du mal à s’adapter. L’affaire des sous-marins montre donc bien qu’elle passe au second plan, et qu’elle sera à l’avenir de plus en plus délaissée. 

Un entretien téléphonique a également eu lieu entre Joe Biden et Emmanuel Macron, afin de diminuer la tension entre les deux pays. Cet entretien a duré une demi-heure, temps qui semble minime face au camouflet reçu par la France. La volonté des Etats-Unis de résoudre cette crise diplomatique et de se repentir auprès de la France semble donc faible, ce qui montre bien qu’ils ne tiennent pas tant à leur relation de proximité avec la France. En effet, ils sont aujourd’hui tout à fait capables d’agir sans elle. Finalement, cette distension des relations entre les deux pays témoigne de la poursuite de la mise en place du pivot asiatique de Barack Obama, à savoir la volonté américaine de déplacer ses efforts diplomatiques et ses forces vers l’espace asiatique, au détriment de l’espace européen.

Quant aux réparations, l’Australie, du fait de la rupture brutale de ce contrat, devra payer des pénalités à la France, quelques centaines de millions d’euros négligeables face au montant initial du contrat, et surtout négligeables face au prix inestimable de l’image à l’international de la France et de Naval Group. Déchue de son statut de nation avantagée par ce contrat, la France n’en a finalement tiré qu’une mauvaise publicité et une détérioration de sa réputation, ce qui prédit un avenir peu reluisant pour notre pays. 

Diane Lapacherie

Diane Lapacherie

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-présidente de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and regular contributor.
Member of KIP and regular contributor.