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Hypersensibles, ou la vie à 100 %

Notre quotidien est sans cesse bousculé par nos rencontres, nos discussions, par toutes ces interactions qui font notre bonheur. Ce rire qu’on a eu avec une personne rencontrée dans le bus, ce message mignon envoyé par un membre de notre famille ou encore cette pensée pour un proche qui nous a quitté trop tôt : ce sont ces mille petites choses qui suscitent en nous joie, tristesse ou mélancolie. Mais si certains le ressentent comme part d’une routine bien huilée, d’autres en sont profondément bouleversés. Tel est le quotidien des hypersensibles, une vie d’émotions hautes en couleurs. 

Je fais partie de ces personnes atteintes d’une maladie rare et précieuse, l’hypersensibilité. Ce sont des hommes et des femmes qui voient la vie d’une couleur plus intense1Je me suis beaucoup inspiré du jeu Life is Strange : true Colors pour cette comparaison, une histoire et un jeu qui m’ont beaucoup marqués., autant dans ses tons les plus joyeux que ceux plus malheureux. Alors que la plupart d’entre eux profitent de leur sensibilité pour laisser les couleurs chaudes réchauffer leur vie, encore trop sont focalisés sur un gris plus maussade qui entraîne leur âme dans une grisaille terrifiante.

Une relation à autrui plus profonde

L’hypersensible a une relation particulière à l’autre : mieux que n’importe qui, il peut ressentir les états d’âme de son entourage. Ce n’est pas seulement voir quand l’autre est heureux ou malheureux, c’est profondément ressentir ces émotions, comme si elles étaient siennes. Instantanément, il va vivre et comprendre ce que son interlocuteur traverse. Malheureusement, il n’a souvent pas le recul lucide sur ces situations, recul pourtant nécessaire pour ne pas être blessé. Sa sensibilité augmente proportionnellement à son attachement aux personnes : plus l’affection est grande, plus il est susceptible d’être blessé.

Les blessures ne cicatrisent pas toujours. Sans précautions, elles peuvent se rouvrir ou même pire, s’infecter. Et il y a des cicatrices qui ne s’effacent jamais. Leur empathie, elle, n’est jamais totalement calmée. Elle est une arme à double tranchant : elle leur permet de mieux comprendre ce qui tracasse leur ami, mais elle les condamne à ressentir chaque remarque, chaque déception comme un coup de poignard. Ils ont alors tendance à surinterpréter les réactions de leurs amis, leurs familles, en analysant constamment leurs dires et actions. Le moindre soupir d’un ami devient pour eux une source de remise en question.

Ce rapport ambigu à l’autre vient principalement du fait qu’ils croient que les autres pensent comme eux. Ils ont tendance à toujours voir le bon côté des personnes, même quand ceux-ci leur font du mal2Je parle un peu plus longuement de ce sujet dans l’article suivant : Trop gentil, trop con ? – KIP (kipthinking.com). A force de toujours se mettre à la place des autres, ils s’empêchent de leur formuler des reproches. A ne jamais reprocher, incapable d’en vouloir à l’autre, ils finissent toujours par en vouloir à eux-mêmes.

Souvent incompris, les hypersensibles ont donc le sentiment d’être à part, étrangers d’un monde qui ne les comprend pas. Ils pensent souvent être seuls à voir la vie sous un éclat aussi fort. La solitude les guette : beaucoup se renferment, par peur d’être blessés, lassés de ne pas être totalement maîtres de leurs propres sentiments. Ils ont des amis, bien-sûr, des personnes sur qui compter, mais ils ne se sont jamais parfaitement eux-mêmes, par peur d’être catégorisés ou exclus.

Une vie haute en couleur

La vie est loin d’être un long fleuve tranquille. Les hypersensibles le savent très bien : chaque défaite, chaque rupture, chaque dispute est un peu plus difficile. Si les moments heureux leur font atteindre l’extase, les moments tristes les font apercevoir un gouffre qui les aspire. Tel est le pacte qui les lie à leur vie : vivre intensément tous les moments de la vie, quelle que soit leur couleur.

Le chemin cahoteux de leur vie leur réserve bien des surprises : jeunes, la moindre remarque, le moindre jugement à leur égard est comme une balle qui leur perce le cœur. Avec l’âge et l’expérience, ils apprennent à se libérer de leurs sentiments pour ne pas s’effondrer au moindre coup dur. Pour eux, c’est l’apprentissage d’une vie. Tous, nous avons appris à nous endurcir : pour avancer et vivre heureux, encore faut-il ne pas prendre trop à cœur tout ce qui nous arrive. Mais relativiser rime avec impossibilité pour l’hypersensible. Il n’aura de cesse de se remettre en question, à se demander s’il doit vraiment lutter contre ses sentiments.

Et pourtant, ils se battent. Ils combattent leurs mauvais sentiments pour avoir une vie plus paisible. Ils apprennent à ne plus être sans cesse blessés par ce qui les entourent, ils apprennent à atténuer les couleurs les plus fortes pour se protéger. Les meilleurs d’entre eux réussissent à mettre un voile sur leurs sentiments les plus tristes, tout en conservant les sentiments heureux les plus forts. Encore trop sont malheureusement inconscients de leur condition, les condamnant à vivre ces moments malheureux sans carcan.

Plus qu’un défaut, une incroyable qualité

Être hypersensible n’est pas toujours commode dans une société qui privilégie souvent l’égoïsme et le repli sur soi. Il n’est pas rare qu’il doive lutter pour se trouver une place. Profondément tourné vers l’autre, il apprend à ne pas donner trop facilement son affection, parce qu’il sait les abus fréquents. Heureusement, ils sont loin d’être seuls. 10 à 35% de la population serait hypersensible3D’après une étude parue dans Personality and Social Psychology Review.. Par la discussion et la rencontre des personnes qui, comme eux, vivent une vie à 1000%, ils apprennent à relativiser, et ils comprennent qu’ils ne sont plus seuls.

L’hypersensibilité n’est pas qu’un poids lourd sur la conscience, c’est aussi toute la beauté des hommes et femmes qui la portent. Attentifs aux autres, matures dans leurs relations à autrui, ils sont beaucoup à avoir une intelligence émotionnelle aiguë. Ils savent que de simples mots peuvent marquer, ils savent à quel point des gestes peuvent blesser, ils savent comme de petites attentions peuvent rendre heureux. Pour toutes ces raisons, un hypersensible va s’assurer que les autres se portent bien. Ils sont à l’écoute, se réjouissent pour le bonheur des autres, pleurent avec eux dans leurs malheurs.

Nous avons beaucoup à apprendre de l’hypersensibilité. Apprendre à voir l’autre comme un égal, se mettre à sa place, être à l’écoute… Telles sont les valeurs transmises par les hypersensibles. L’hypersensibilité n’est donc pas qu’une émotion, c’est un mode de vie : c’est accepter de voir la vie différemment, de la vivre dans sa relation aux autres et dans sa sensibilité. C’est un choix parfois difficile, car il implique de se confronter à tous ceux qui voient la sensibilité comme une faiblesse. Mais finalement, ne vivrait-on pas mieux dans un monde empathique qu’égoïste ?

Illustré par Maxence Delespaul

Maxence Delespaul

Maxence Delespaul

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Président de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). President of KIP and regular contributor.