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Entretien avec M. Gérard Larcher, Président du Sénat – Partie II

Élu en 2020 pour son quatrième mandat de président du Sénat français, plusieurs fois ministre, « ténor » des « Républicains » : les titres sont nombreux pour qualifier M. Gérard Larcher, qui nous a fait l’honneur d’accepter nos sollicitations dans le cadre du Projet présidentielles de KIP. Nous vous proposons donc un entretien politique d’anthologie, avec une personnalité rare, pilier de notre démocratie. Pour faire durer le plaisir, cet entretien sera divisé sous la forme d’une série de deux articles. Si vous avez aimé le premier article, consacré à la place et au rôle du Sénat dans la démocratie française, vous adorerez ce second volet, plus politique, qui rassemble les impressions du Président du Sénat sur l’élection présidentielle de 2022.

Regards sur la campagne actuelle

Victor Pauvert : Le 11 janvier, sur l’antenne de France Inter, vous appelez les élus à “parrainer le candidat de leur choix”. Vous songez notamment aux candidatures de candidats comme Jean-Luc Mélenchon ou Éric Zemmour. Pensez-vous que le système de parrainages préalables à l’élection présidentielle soit utile à la démocratie ? Êtes-vous favorable à l’anonymat des parrainages ?

Gérard Larcher : D’abord, j’ai dit autre chose, j’ai dit “parrainer n’est pas soutenir”. je pense que c’est un droit que doivent exercer les élus. Ici, je voyais dans le journal l’avis des élus. Je vois que quand même un certain nombre d’élus sont réticents à parrainer par pression institutionnelle, par pression politique, par pression de l’environnement. Je le vois dans leurs réponses, ceux qui ne sont pas clairement engagés ont un peu de mal. Pourtant, c’est un droit extraordinaire qui est donné aux maires et une reconnaissance du maire par la République, où le maire de Lyon n’a pas plus de pouvoir que le maire de Gambaiseuil, une de nos plus petites communes qui fait 60 habitants. C’est donc une sacrée responsabilité, née pour éviter les candidatures fantaisistes (notamment en 1962, la candidature de Marcel Barbu, face au Général de Gaulle). Donc, on a donné ce pouvoir aux maires et on l’a augmenté.

Ça n’a jamais été anonyme et c’est devenu la publication générale de l’ensemble des noms suite à un rapport qui avait été fait et demandé par le conseil constitutionnel. Avant, ils étaient publiés mais dans le couloir constitutionnel, si bien que la presse allait les voir mais ça n’avait pas le même effet qu’une publication générale. Je suis attaché au droit de parrainage, je suis attaché au principe de “parrainer, ce n’est pas soutenir”.

Je suis président du comité de soutien de Valérie Pécresse donc je vais parrainer Valérie Pécresse, ça va commencer lundi puisque le décret sort, mais je dis aux élus : “vous pouvez parrainer, ça ne veut pas dire que vous soutenez. Et d’ailleurs, vous pouvez publiquement le préciser, vous l’avez fait pour permettre l’expression de la démocratie”. Il y a quand même un sujet. Si ni Marine Le Pen, ni Jean-Luc Mélenchon, ni Eric Zemmour, alors que quand vous prenez l’ensemble, ils représentent 40%, ne peuvent accéder à l’élection, il y a un petit sujet. Donc, on va voir ce qu’il se passe cette fois-ci, mais je pense qu’ils les auront. Je crois qu’il faut aussi que les élus n’aient pas peur, qu’ils soient sans crainte vis-à-vis des procès d’intention qu’on leur fait. Si on s’aperçoit que cette fois-ci, pour des raisons diverses, il y a un problème, il faudra, de toute façon, derrière l’élection présidentielle, se reposer la question qu’est l’anonymat ou non.

Il y a eu d’autres propositions sur la table auxquelles je n’adhère pas, celle notamment d’une sorte de convention, de signatures de 150 000 citoyens, qui est d’ailleurs une proposition Jospin qui avait été faite. On va voir les résultats de la Primaire Populaire demain, mais ce qu’on sait c’est qu’il y a beaucoup d’inscriptions qui sont faites sous les pressions. Je fais plus confiance aux élus. Mais il faut qu’on crée des conditions où les élus n’ont pas à subir trop de pression. Je suis donc favorable aux parrainages des élus, mais en me posant la question quand même. Je prendrai une initiative après l’élection présidentielle. D’autant plus qu’il y a d’autres sujets. Nous allons être moins en démocratie pour l’élection présidentielle que nous ne l’avons été pour les élections régionales et départementales, nous avions en effet voté la double procuration et là, on n’a pas le temps de la faire voter. Je pense que c’est une erreur de la part du gouvernement. 

V.P. : Vous avez toujours été fidèle à votre parti, Les Républicains, duquel vous êtes l’une des figures les plus éminentes. Quelle analyse faites-vous de l’issue du congrès de votre parti, qui s’est tenu entre le 2 et le 4 décembre 2021 ? Quelles leçons peut-on en tirer ?

G.L. : Je suis dans cette famille politique depuis la classe de première. A l’époque, on s’engageait peut-être plus qu’aujourd’hui, derrière 68 etc., il y avait une ambiance. J’étais chez les gaullistes-sociaux, l’Union Démocratique du travail. Il y avait un mouvement de jeunes qui s’appelait l’Union des jeunes pour le progrès, il était fort à l’époque. Ça a donc été ma famille politique, avec ma sensibilité gaulliste, plutôt sociale. Si je devais me définir, ce serait un mélange de laïcité et christianisme social. Christianisme social qui n’est pas uniquement la doctrine sociale de l’Église catholique, mais l’ensemble du christianisme social, moi-même ayant fait le choix du protestantisme.

Ma famille politique est sortie extrêmement affaiblie de l’élection présidentielle de 2017, elle est sortie encore plus affaiblie de l’élection européenne de 2019. Mais elle n’a pas disparu et elle s’est plutôt reconstituée, à la différence du parti socialiste qui a connu les mêmes choses, ce qui est quand même un sujet pour la démocratie en tant qu’un des partis d’alternance.

J’étais favorable à l’organisation d’une primaire, tout le monde le sait. J’étais notamment favorable à une primaire élargie, nous avions réfléchi à un collège d’élus locaux avec ceux qui s’inscriraient volontairement dans ce collège. Les adhérents dans un congrès ont décidé que ce serait aux seuls adhérents. Léonetti et moi étions pour une formule plus élargie. Les partis politiques contribuent à la démocratie et prendre la décision de quitter un parti, c’est une sacrée décision, d’autant plus par rapport à la démocratie. Je ne donne de leçons à personne, c’est mon avis. Donc, j’ai fait mienne la décision des adhérents républicains, j’ai participé à toute la préparation du congrès qui allait définitivement choisir. Les débats se sont plutôt bien passés et nous avons réussi deux choses. On a réussi à ce qu’il y ait un choix qui n’appelle pas de contestations et nous avons réussi à passer de 80 000 à près de 150 000 adhérents aujourd’hui, c’est-à-dire à reconstituer une force politique significative. La troisième chose qui nous attend c’est de gagner l’élection présidentielle.

Je vois le travail de rassemblement que nous avons conduit. Avec l’élection européenne, j’avais fait l’initiative de faire des congrès territoriaux, parce que je sentais que tout le monde foutait le camp et on a pu rattraper tout le monde. Au fond, depuis le 4 décembre, Valérie Pécresse a réussi le rassemblement. Elle a réussi à enclencher une dynamique. Après cette dynamique il faut lui donner un peu plus mais on est passés de 11% à 16-17% dans un délai assez bref. Aujourd’hui, on ne peut pas trop calculer parce qu’on n’a pas encore le sparring-partner sur le ring puisque le président Macron n’est pas encore candidat.

Julien Vacherot : L’élection d’Emmanuel Macron et la candidature d’Éric Zemmour aux élections présidentielles de 2022 donnent l’impression d’un étau qui se resserre sur votre parti. Quelle est alors, aujourd’hui, la spécificité des Républicains qui les démarquent des autres partis de la droite ou du centre ?

G.L. : Je ne suis pas sûr qu’on soit dans un étau parce que dans un étau, il y a deux mâchoires et nous ne partageons pas les valeurs du projet Zemmour, pas plus que du projet Le Pen. Ce n’est pas parce qu’on se dit qu’il pleut, qu’on voit qu’il pleut dehors, qu’on est d’accord. Oui il pleut, mais les solutions, les analyses que fait Eric Zemmour sur des questions régaliennes, la sécurité, la migration… Oui il y a des questions migratoires, mais dire qu’il n’y aurait plus de délinquance s’il n’y avait plus d’immigrés en France, même s’il y a une surreprésentation des gens d’origine étrangère en prison dans la délinquance, c’est une forme d’affirmation qui est absurde. Je vous le dis parce que je le pense comme ça.

Avec Emmanuel Macron, nous avons une vraie différence sur un certain nombre de sujets, je pense au sujet régalien. Sur la question de la sécurité, de l’immigration, il n’a pas réussi. Sur la question économique, nous avons des parties en commun. Il a plutôt bien commencé son quinquennat avec les ordonnances travail, que nous n’avions pas toujours eu le courage de prendre mais que nous avons votées. Nous avons partagé le soutien aux entreprises pendant la pandémie, mais on est quand même dans une situation où sur le plan économique, on a une approche financière radicalement différente. On est à 3 000 milliards d’endettement, nous avons refusé de voter le budget cette année, pas uniquement pour des raisons d’un calendrier politique. Nous avons 155 milliards – au moment du vote, c’est plus aujourd’hui – de déficit budgétaire sur le budget de la nation, sur un budget de 455 milliards ! Et on a aucune perspective de retour à l’équilibre avant 2030. Et puis troisièmement, on est différents dans la gouvernance. Il est très vertical. je pense que c’est fini dans le pays, que ça nous conduit aux gilets jaunes, au rejet, à la défiance. Et il n’aime pas la décentralisation, alors que nous sommes décentralisateurs.

Donc, je pense qu’il n’y a pas d’étau, je pense qu’il faut faire comprendre qu’il y a une manière de résoudre les questions vraies que Zemmour pose sur la table, qu’on pose tous et d’autres approches sur le libéralisme, on ne peut pas ignorer les réalités économiques, financières et surtout il y a une différence : c’est la verticalité.

V.P. : Le groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale fut profondément divisé sur la question du “passe vaccinal” proposé par le gouvernement. Quelle est votre position à ce sujet et comment expliquez-vous ces divisions ?

G.L. : On est pour, majoritairement, le passe vaccinal. Comme nous l’avons été pour le passe sanitaire. Nous voulons simplement qu’il y ait adéquation entre ce qui est demandé et la réalité, d’où la mise en place de la commission d’enquête par la commission des affaires sociales la semaine dernière. Je disais tout à l’heure, il faut qu’on manipule tout ça avec beaucoup de prudence vis-à-vis de la démocratie. Je dois dire que cette question est importante au-delà même du passe sanitaire et du passe vaccinal. Le jour même où on votait le passe vaccinal, voilà que le premier ministre annonçait un desserrement à partir de la semaine prochaine des jauges. Enfin, je pourrai aller en boîte de nuit le samedi à partir du 21 février, et ainsi de suite. Donc, il faut qu’on fasse attention parce que j’entendais le patron du service de réanimation de Garches qui disait que c’est de la folie de lever les jauges tout de suite. Il faut qu’on ait un peu de cohérence, un peu de cohésion. On a entendu tout et n’importe quoi pendant la pandémie, aussi bien de la part des professeurs, que des politiques…

Comment expliquer cette différence d’approche ? Au fond, au Sénat, on a une approche globalisée assez partagée, il y a comme dans toutes les familles politiques, un certain nombre de gens qui sont contre toute coercition. Ils existent, c’est aussi la diversité, on ne fonctionne pas au canon sur ce genre de trucs. Et c’est aussi peut-être un signe de liberté à l’intérieur de famille politique. Ce que j’ai appelé mes collègues à faire, c’est à bien réfléchir quand même à cette réponse qui doit toujours être proportionnée entre la réponse santé qu’on doit faire pour nos concitoyens et la proportionnalité de la liberté qu’on leur retire à titre temporaire.

Vous êtes dans mon ancien cabinet de vétérinaire, moi je m’occupais de chevaux mais ici, mes collègues faisaient et des vaches, et des chiens, et des chats. Vous êtes dans la salle qui était ma salle de consultation quand je venais ici. Et vous savez, je suis d’une formation biologique. Je crois à la protection collective par la dimension vaccinale. J’entends autour de moi des gens que je sens encore réticents, parce que nouvelles techniques, parce qu’inquiétude vis à vis du développement d’autres pathologies mais on voit bien que la vaccination c’est un geste collectif de solidarité et c’est ça qu’il faut faire partager.

Pauline Haritinian : Vous avez notamment été ministre du Travail il y a maintenant quinze ans. Que retenez-vous du quinquennat Macron sur ce plan ? Son bilan peut-il peser sur la prochaine élection ?

G.L. : J’en ai dit un mot tout à l’heure, je pense que le début de son quinquennat avec les ordonnances travail ont été un moment important. On les a d’ailleurs votées au Sénat, (ce qui n’était pas tout à fait le cas à l’assemblée, vous voyez les différences), parce que ça libérait, ça mettait les entreprises au cœur et ça levait un certain nombre de freins. Dans les choses positives qu’il a pu faire, il y a la réforme partielle de l’indemnisation du chômage.

Mais, il y a 3 déficits. Premier déficit : le dialogue social n’est vraiment pas là. Et puis dans la dimension sociale, il nous a manqué 2 réformes majeures. Une complètement ratée : la réforme des retraites et une oubliée, qui nous tient très à cœur puisque j’ai été président de la fondation hospitalière de tous les EHPAD publics de France : la réforme de la dépendance. Il y a l’actualité mais j’ai présidé ici des Ehpad, y compris celui de Rambouillet, public. La question de la dépendance, ça va être une question majeure pour votre génération. On est à deux millions de plus de 85 ans, on en aura huit millions quand vous serez à l’âge de la retraite quasiment. On est sur des sujets sur lesquels on s’est plantés.

Sur le chômage, des résultats qui tombent plutôt sur ce que nous avions vécu Borloo et moi puisque nous avions de la croissance. Un sujet majeur : une bonne réussite sur l’alternance. En revanche, sur le chômage de longue durée, on est toujours à des chiffres et des gens qui ne décollent pas. Donc un bilan assez balancé. Dans le plan social, on ne peut pas gouverner par des chèques successifs, y compris face à l’inflation. Le gouvernement par chèque, ça ne dure qu’un moment. Il faut donc de la compétitivité des entreprises, on est quand même le pays qui demeure le plus fiscalisé de l’OCDE. On doit être 63ème ou 64ème en indice de complexité, dans le dernier classement. Et à l’OCDE on est 38ème sur 38 donc on a des vrais sujets. Voilà pourquoi les projets politiques pour les temps qui viennent sont importants.

Illustré par Myriam Kebbati

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.

Pauline Haritinian

Pauline Haritinian

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Double diplôme avec l'ISAE Supaero. Membre de KIP, réalisatrice de vidéo et intervieweuse.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024).
Member of KIP, member of the video pole and interviewer.