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Réjouissons-nous, le XV de France est bel et bien de retour !

Huit années… huit longues années de tristesse, d’après-midi finies en plein désespoir devant sa télé ou au stade. Huit années à perdre espoir en l’humanité devant des résultats tout bonnement catastrophiques. Huit années durant lesquelles le terme de « défaite encourageante » a dû être popularisé spécialement pour trouver du positif dans les performances d’une équipe incapable de gagner. Huit années où l’on en venait à se demander si l’on pourrait un jour à nouveau réellement vibrer devant un match de rugby. Voici ce qu’ont vécu tous les supporters du XV de France entre 2011 et 2019. Et puis, depuis deux ans, les Bleus sont enfin de retour sur le devant de la scène, au point que les espoirs les plus fous sont permis pour les années à venir. Zoom sur le retour en grâce d’une équipe que beaucoup pensaient perdue à jamais. 

Après la pluie (ou plutôt l’énorme orage) …

En Novembre 2011, rien ne pouvait laisser prévoir une telle descente aux enfers du rugby français. Certes, la dernière coupe du monde avait été faite de hauts et de bas et le XV de France semblait n’avoir jamais réellement maitrisé son sujet1On citera notamment une défaite honteuse 19-12 face aux îles Tonga en poule dans un match que les français avaient pris trop à la légère et dans lequel ils s’étaient retrouvés mangés dans l’agressivité par des joueurs tongiens décomplexés, ou encore une demi-finale, gagnée d’un seul point seulement face au Pays-de-galles alors que le XV du Poireau avait joué quasiment tout le match à 14 contre 15, à l’issue de laquelle on pouvait se demander si c’était bien la meilleure équipe qui avait gagné.,mais celui-ci avait bon gré mal gré atteint la finale où il n’avait jamais été aussi près (à un arbitre près, diront les mauvaises langues dont pour une fois je ferai partie2L’arbitre a toujours raison, c’est connu… néanmoins Craig Joubert a toujours été connu pour avoir eu des difficultés à accorder la victoire à une équipe européenne face à un géant de l’hémisphère sud en coupe du monde. Demandez donc aux écossais, à qui la même mésaventure est arrivée face à l’Australie en quart de finale de la coupe du monde 2015.) de remporter le graal mondial, échouant à un rien des All Blacks pour une défaite d’un minuscule petit point qui reste aujourd’hui encore un crève-cœur pour tout supporter français. L’arbitrage sur cette finale, c’était comme les soldes: à la fin il ne restait plus grand chose d’invendu… Si l’horizon n’était pas entièrement dégagé, l’avenir s’annonçait néanmoins radieux.

Pourtant, c’est une période de marasme d’une ampleur historique qui arrive pour le XV de France ! Voyez plutôt : sur les huit années qui ont suivi, les trois entraîneurs qui se sont succédés à la tête des Bleus (Philippe Saint André, Guy Novès et Jacques Brunel) n’ont remporté que 37 victoires pour 49 défaites (et 3 matchs nuls)3Dans le détail, Philippe Saint André, à la tête de l’équipe entre 2011 et 2015, a remporté 20 victoires, 23 défaites et 2 matchs nuls, alors que Guy Novès, arrivé à la tête de l’équipe en 2015 et évincé pour mauvais résultats en 2017, a un bilan de 7 victoires pour 13 défaites et 1 nul, et que son successeur Jacques Brunel (2018-2019) a, lui, remporté 10 victoires pour 13 défaites.. 41,6% de victoires, c’est le bilan d’une équipe de seconde zone, et cette impression se confirme lorsqu’on regarde les résultats des Bleus dans les grandes compétitions. Jamais, durant ces huit ans, le quinze de France n’aura fait mieux qu’une troisième place dans le Tournoi des 6 Nations4Compétition annuelle regroupant les six meilleures équipes européennes (Angleterre, Pays de Galles, Écosse, Irlande, France et Italie)., finissant même à une insultante dernière place en 2013. Derrière l’Italie qui ère comme une âme en peine dans cette compétition depuis son entrée en 2000, il fallait quand même le faire….

En coupe du monde, ce n’est guère plus brillant : la France s’arrête dès les quarts de finale en 2015, humiliée par la Nouvelle-Zélande sur le score fleuve de 62-13, et, en 2019, battue sur le fil par les Gallois 20-18. Il s’agit là des deux pires résultats de son histoire dans cette compétition5Avec la coupe du monde 1991 où l’équipe de France s’était inclinée à ce même stade de la compétition face à l’Angleterre sur le score de 19-10..

Plus encore que les résultats, c’est bien le contenu qui porte le plus à critique. Tout à coup, le « French Flair »6Style de jeu typiquement français basé sur des « coups de folie » dans la désorganisation visant à surprendre l’adversaire. disparaît, laissant la place au French Fail. Moins captivant hein ? L’équipe a beau avoir à disposition des joueurs de talent comme Frédéric Michalak, Thierry Dusautoir, Louis Picamoles ou encore Wesley Fofana, elle peine à en tirer le meilleur et les contre-performances s’enchaînent devant ce projet de jeu inexistant. Point d’orgue dans l’horreur : les défaites désastreuses face à l’Italie en 2013, au Fidji en 2018 ou encore le match nul face au Japon en 2017. C’est une chose de perdre face à l’Angleterre, la Nouvelle-Zélande ou l’Australie. C’en est une autre de s’incliner face à des équipes du Tier 27Au rugby, un classement est souvent fait des équipes en termes de « Tier » c’est-à-dire de palier (les meilleures étant dans le Tier 1, les équipes secondaires dans le Tier 2 et ainsi de suite… dont on s’est demandé à un moment si la France avait rejoint les rangs.

Ce qui semble le plus problématique avec cette équipe de France et ce qui finissait par lasser jusqu’à ses plus fidèles supporters, c’était qu’elle ne savait plus gagner ! Vous signeriez les yeux fermés pour un 16-10 face à l’Afrique du Sud8Test-match de 2018, finalement perdu 29-26 alors que le score était même monté à 23-10 en faveur des Bleus au retour des vestiaires., un 16-09Match du tournoi des Six Nations 2019, finalement perdu 24-19. ou 19-10 face aux Gallois10Quart de finale de la coupe du monde 2019, finalement perdu 20-19.? Le problème ? C’est qu’il s’agissait des scores à la mi-temps des matchs concernés, la France finissant à chaque fois par perdre pied et par prendre le bouillon en seconde période. Les raisons étaient à chaque fois différentes : un clermontois écervelé, un autre incapable de regarder le chronomètre avant de mettre le pied en touche, un jeunot toulousain ne trouvant rien de mieux à faire que de se faire intercepter à deux minutes de la fin du match… Mais le résultat restait le même : quelle que soit la physionomie du match, on ne pouvait pas croire jusqu’au coup de sifflet final à une victoire française. Bref, soutenir l’équipe de France de Rugby durant la décennie passée, c’était comme être végétarien dans un restaurant de grillades : tout simplement déprimant.

… Viennent l’espoir et le beau temps

C’était un dimanche après-midi, il était 16h et le « Crunch »11Surnom donné au match France-Angleterre. s’apprêtait à débuter. Je m’installais devant la télévision, résigné. Pourquoi ? Car tout semblait aller en faveur d’une large victoire de la Perfide Albion : les Anglais arrivaient dans le costume des vice-champions du monde en titre12Ils avaient été les finalistes malheureux quelques mois plus tôt de la coupe du monde 2019 face à l’Afrique du Sud au Japon. alors que le nouveau sélectionneur de l’équipe de France avait décidé de trancher dans le vif pour créer une rupture avec la série noire des Bleus et présentait donc une équipe très rajeunie avec quelques joueurs encore quasiment inconnus du grand public (avouez que lorsqu’on vous dit qu’un ancien taulard et un maçon jouent dans l’équipe, vous pouvez être résolument pessimistesJ13’ai depuis largement revu mon jugement sur Mohammed Haouas et Anthony Bouthier.) Bref, j’espérais sans trop y croire une énième défaite encourageante » et craignais une nouvelle déroute. Et là, le miracle s’accomplit : la France mène très rapidement au score, enchaîne séquences défensives solides et mouvements offensifs concluants ; l’état d’esprit est irréprochable, le public au diapason…. A la 54ème minute, Antoine Dupont plante le troisième essai français, portant le score à 24-0. On croit rêver mais on a trop souffert du néant des fins de matchs françaises pour exulter. Pourtant, cette fois, les Bleus tiennent et résistent au retour anglais pour l’emporter 24-17! C’est donc ça de vibrer devant un match ? J’avais oublié… 

Les matchs suivants sont du même acabit malgré quelques trous d’air (coucou le repris de justice qui décide de laisser le cerveau au vestiaire et de décocher un magnifique crochet du droit à un pauvre écossais sans défense) et, si les titres fuient encore l’équipe de France, celle-ci a fini deuxième des tournois des six nations 2020 et 202114Respectivement derrière l’Angleterre et le Pays de Galles et finaliste de l’Autumn Nations Cup15Compétition créée à l’occasion de la crise du coronavirus en 2020 et ayant regroupé en plus des équipes du tournoi des Six nations la Géorgie et les Fidji..

Plus encore que ce retour tant espéré des victoires, la manière a de quoi largement satisfaire jusqu’aux supporters les plus exigeants. Sous l’impulsion d’une vraie ossature et de joueurs au talent sans limite comme Antoine Dupont, Mathieu Jalibert, Romain Ntamack ou encore Virimi Vakatawa, on retrouve enfin le jeu à la française tel qu’on nous avait appris à l’aimer : des mouvements de jeu léchés, du pragmatisme parfois, mais surtout un cœur énorme et une capacité à renverser des montagnes même lorsque la situation paraît désespérée. Parole de fan, voir en Mars dernier Alu Win Jones, capitaine historique du Pays de Galles repartir du Stade de France le regard hagard perdu dans le vide en se demandant comment le ciel a bien pu lui tomber sur la tête, ça n’a pas de prix. 

Enfin, l’équipe de France a terminé l’année 2021 sur un exploit majuscule amené à rester gravé dans les annales du sport français : une victoire face à la Nouvelle-Zélande, équipe légendaire quasiment impossible à vaincre, sur le score record de 40-25. Dans un stade en fusion rempli à craquer de quelques 80 000 personnes poussant derrière eux, les Bleus atomisent les Blacks dans une première mi-temps tout simplement merveilleuse qui s’achève avec un irréel 24-6 au tableau d’affichage. La seconde période voit une réaction néo-zélandaise étouffée par l’héroïsme des français symbolisé par la relance déjà devenue légendaire de Romain Ntamack16Pour la beauté du geste, https://www.youtube.com/watch?v=Y3-N4q0e1qM. Le lendemain matin, les Kiwis se sont réveillés avec une sacrée gueule de bois et les Bleus avec une certitude, celle d’avoir envoyé un message on ne peut plus clair à la planète rugby : « La France est de retour ».

Un délicieux goût de reviens-y : le meilleur est à venir !

Vous pourrez me dire que cette équipe n’a encore rien gagné et qu’il ne faudrait pas qu’elle prenne un abonnement aux secondes places. A ce titre, le prochain Tournoi des Six Nations en février et mars prochains sera très attendu et, pour la première fois, le XV de France l’abordera avec une pression de résultats maximale. Pour autant, cette équipe a pour moi un potentiel quasi-illimité qu’elle n’a pas encore pleinement exploité.  

Le réservoir de joueurs dont dispose Fabien Galthié semble plus profond que jamais et le sélectionneur a déjà pu en faire plusieurs fois l’expérience. Fin 2020, en raison d’un accord avec la ligue, le nombre de matchs de l’Autumn Nations Cup pouvant être joués par un même joueur est limité à trois. Galthié embarque donc dans la fournaise de Twickenham une “équipe B” à laquelle tous les suiveurs promettent l’enfer. Pourtant, bien loin d’une démonstration du XV de la Rose, c’est bien le XV de France qui donne une leçon de détermination aux Anglais.. Les jeunes pousses, Moefana et Carbonel, joignent leurs efforts à ceux des revenants Dulin et Danty et font la course en tête pendant la très grande majorité du match avant d’échouer, malheureux, en prolongation. Le coup est passé près mais la bleusaille française a acquis le respect de tous. Six mois plus tard, c’est avec une équipe encore plus remaniée, privée de la majeure partie des demi-finalistes du TOP 1417Championnat de France de rugby que les Bleus s’envolent vers Australie pour une tournée pour laquelle beaucoup leur annoncent un long chemin de croix. Mais, là encore, la magie opère : de nouvelles têtes comme celle de Melvyn Jaminet, encore joueur de Pro D218Seconde division française à l’époque, émergent et la France fait mieux que rivaliser avec son adversaire, remportant un test pour la première fois depuis 30 ans sur le sol australien1926-28 le 13 Juillet 2021 à Melbourne, la fête nationale en avance, cocorico et perdant les deux autres de très peu2021-23 le 7 Juillet 2021 à Brisbane et 30-33 dans le même stade le 17 Juillet. Bref, la relève du rugby français est assurée et le staff de l’équipe de France peut être confiant face aux blessures inhérentes à la pratique du rugby à haut niveau.

Ces nouvelles sont d’autant plus réjouissantes qu’une nouvelle coupe du monde arrive dans un peu moins de deux ans, qui plus est sur le sol français ! En 2023, les hommes de Galthié vont accueillir les meilleures nations du monde le couteau entre les dents avec l’objectif d’aller au bout du rêve qu’ils clament depuis le début du mandat de l’actuel sélectionneur21Et dieu sait qu’à cette époque-là nous les avions pris pour des fous…: être les premiers à inscrire leur pays sur la coupe Web Ellis. Et ils auront de très sérieux arguments : l’avantage de jouer à domicile, le fait qu’ils aient battu toutes les meilleures nations mondiales au cours des deux dernières années à l’exception des champions en titre sud-africains, qu’ils n’ont pas encore affronté22Ils auront l’occasion de combler ce manque en novembre prochain lorsqu’ils recevront les Springboks.. Si le rugby, encore plus que tout autre sport, est loin d’être une science exacte, affirmer aujourd’hui que les Bleus feront partie des favoris sur la ligne de départ en septembre 2023 n’est plus une utopie. Il y a trente ans, Jean-Jacques Goldman sortait son célèbre titre « Au bout de mes rêves ». Plusieurs fois déjà depuis deux ans, le XV de France nous a emmenés où la raison s’achève et nous a fait vaciller dans la folie. A eux de nous prouver qu’ils maîtrisent l’autre partie du refrain en allant écrire le samedi 28 octobre 2023 la plus belle page du rugby français !

Illustré par Julie Omri

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.