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Chronique d’un arbitre, partie I : Bienvenue dans l’arène !

Se lancer dans l’arbitrage n’est pas de tout repos. A travers ces articles, je désire livrer quelques éléments de ma modeste expérience d’arbitre de basket-ball qui fut parfois difficile, parfois belle, mais toujours très enrichissante.

Le 20 février dernier, le milieu de terrain Marco Verratti dit s’être fait « chier dessus par les arbitres » après la défaite du Paris Saint-Germain à Nantes 3-1. Ces termes illustrent avec éloquence la violence dont sont parfois victimes les arbitres, et ce à tous les niveaux. Ces hommes et ces femmes sont absolument indispensables au bon déroulement des rencontres sportives, et pourtant, les matchs sont rarement de tout repos pour eux.

La violence 

La violence envers les arbitres existe à tous les niveaux. Elle est bien souvent verbale comme dans le cas de Marco Verratti. La plupart des arbitres ont déjà été qualifiés d’arbitres de merde ». Beaucoup d’entre eux ont déjà entendu « qu’ils faisaient chier » pour reprendre quelques expressions en vogue. 

Le film Dans la tête des hommes en noir (diffusé sur Canal+ le dimanche 12 décembre 2021) raconte par exemple l’histoire d’une jeune fille qui  fut très fortement insultée et menacée lors de son premier match en tant qu’arbitre. Les critiques se saisissent alors de tous les éléments sortant un tant soit peu de la norme : cheveux longs pour un homme, le fait d’être un fille lors d’un match de garçons, le fait d’être plus jeune. Oui, ces comportements continuent de se produire. 

Mais la violence peut également être physique. Nous parlons ici d’exceptions, mais cela arrive. Une arbitre plus expérimentée me donna par exemple le conseil, à la fin du match que nous avions arbitré ensemble, de toujours enlever mon sifflet (porté autour du cou) dès la fin de la rencontre, au cas où la situation deviendrait soudainement explosive. J’avoue avoir été très étonné sur le moment, mais j’ai depuis acquis ce réflexe. 

De même, les consignes des comités sont claires : s’il y a une altercation violente entre joueurs, l’arbitre ne doit pas s’interposer car il risquerait lui aussi de se faire agresser. 

Malheureusement, si les instances donnent de telles consignes, c’est que dans les faits, ces événements continuent de se produire. Il m’est déjà arrivé d’être violemment menacé. Un de mes amis, arbitre de football, a lui été agressé par un entraîneur lors d’une rencontre de football qui avait dégénéré. Il a depuis arrêté cette activité.  

Une cible facile 

Pourquoi existe-t-il une telle violence ? Car l’arbitre est une cible facile. Il est un parfait bouc émissaire pour se dédouaner de ce qu’on ne parvient pas à faire  sur le terrain. Accepter d’avoir raté des choses et se remettre en cause est désagréable. Il est bien plus facile de s’en prendre à une tierce personne, qui devient alors l’entière responsable de la déconvenue du jour. Combien de joueurs, parfois même débutants, m’ont fait comprendre que leur mauvaise passe relevait uniquement de ma responsabilité ? 

Il ne s’agit pas de dire que les arbitres ne se trompent pas. Bien sûr, ils ne sont pas parfaits. Mais l’erreur de l’arbitre fait partie du jeu. Une étude a ainsi montré qu’en moyenne chaque arbitre professionnel de basket-ball se trompait 7 fois par match, ce qui revient à 21 erreurs par match en tout si l’on compte les trois arbitres. Et il s’agit ici des meilleurs arbitres de notre pays, qui ont des années d’expérience derrière eux ! On part du principe que les coups de sifflet doivent toujours être justes. Or les arbitres se trompent au même titre que les joueurs et que les entraîneurs. Seulement, on le leur pardonne beaucoup moins. Parfois même pas du tout. 

D’ailleurs, a-t-on déjà vu un arbitre reprocher à un joueur d’avoir raté une action qui paraissait pourtant très facile à réaliser ? 

Les terrains de sport sont aussi bien souvent les lieux parfaits pour se défouler, et certaines frustrations accumulées ressortent alors dans une sorte de catharsis. Des parents sont intenables sur le bord du terrain ; des joueurs, parfois adultes, s’emportent pour des choses absolument triviales. Et ces personnes qui se déchaînent l’espace d’un match sont sans doute parfaitement calmes dans la vie de tous les jours ! Seulement, lors des rencontres sportives, les inhibitions se brisent et laissent place à des comportements absolument irrationnels et qui ne seraient pas tolérés dans d’autres cadres, qu’ils soient professionnels ou familiaux. J’ai déjà vu, entre autres, un adulte cracher sur le terrain de l’adversaire car il était mécontent de perdre, ou encore des coéquipiers prêts à se battre pour une passe manquée. 

La solitude 

Alors qu’il est bien souvent la cible de critiques violentes, l’arbitre est paradoxalement isolé dans les environnements dans lesquels il évolue ce qui accentue sa vulnérabilité. 

Quantitativement d’abord, les arbitres sont très peu. Au basket, ils ne sont que deux, excepté dans le monde professionnel où ils sont trois.  Les équipes de basket sont quant à elles le plus souvent composées de 10 joueurs chacune, ainsi que d’un entraîneur et parfois d’un adjoint. Pour deux arbitres, il faut donc compter environ 25 personnes qui prennent part au jeu. 

Il faut ajouter à cela le public parfois beaucoup plus nombreux et avec lequel les arbitres doivent réellement composer, notamment au niveau amateur. Et ce dernier donne parfois plus de fil à retordre que les joueurs. Dans certaines salles, il arrive que les spectateurs pénètrent sur le terrain, insultent voire même menacent les arbitres. Il m’est même arrivé d’arbitrer un match durant lequel les supporters des deux équipes se sont mis à se battre dans les tribunes alors que le match était en cours. Normalement, l’arbitre n’a pas à s’occuper des spectateurs qui créent le désordre. Mais, dans les faits, et surtout au niveau amateur, il arrive que les clubs qui ont cette responsabilité ne l’assument pas. L’arbitre qui ne peut en aucun cas faire comme si rien ne se passe se retrouve à devoir également gérer les évènements qui ont cours en dehors du terrain. 

D’ailleurs, s’il y a deux arbitres, ceux-ci ne se connaissent pas forcément ou très peu, tandis que les joueurs des équipes s’entraînent ensemble chaque semaine. Si l’adversité fait que ceux qui officient sur le même match ensemble tendent à se serrer les coudes, il est parfois difficile de créer de la cohésion avec une personne rencontrée seulement quelques heures plus tôt. 

Que cela soit dit : arbitrer est difficile. Beaucoup d’arbitres ne continuent pas sur le long terme, lassés du traitement qui leur est réservé. Ce rôle est ingrat. Il arrive régulièrement qu’après s’être déplacé pour permettre au match d’avoir lieu, l’arbitre ne reçoive que méfiance et agressivité. Celui qui voulait donner de son temps pour permettre à un match d’avoir cristallise toutes les frustrations.

Illustré par Maxence Delespaul 

Eliott Perrot

Eliott Perrot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Member of KIP and regular contributor.