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Zemmour, la menace pas si fantôme

Nous vivons une époque bien étrange… Il y a peu encore, la politique, surtout en ce qui concerne l’accès aux postes les plus prestigieux du pouvoir, était l’affaire d’une poignée de carriéristes. L’élection présidentielle, point culminant de la vie citoyenne française, opposait des candidats qui, s’ils espéraient pouvoir être crédibles aux yeux des électeurs, devaient avoir voué leur vie à monter progressivement les échelons de la classe politique. Aujourd’hui, un historien, polémiste et chroniqueur ayant cumulé les déclarations fracassantes et les scandales ces dernières années peut se retrouver, sans même s’être officiellement déclaré candidat, propulsé dans les sondages au second tour en lieu et place de figures de la scène politique française telles que Xavier Bertrand, Jean-Luc Mélenchon ou encore Marine Le Pen. Le plus grave là-dedans, ce n’est pas qu’une candidature que beaucoup qualifieraient de « fantaisiste » au regard du pedigree du bonhomme puisse attirer l’attention de tous pendant quelques semaines, cela a déjà pu arriver dans le passé, mais bien qu’il risque de ne pas s’agir d’un feu de paille et qu’Éric Zemmour a de bonnes chances de finir à l’Élysée en mai prochain…

La conjoncture politique française actuelle, le meilleur atout de Zemmour

Si Éric Zemmour monte autant dans les sondages, c’est avant tout en raison d’un élément bien simple : aucune tête ne dépasse dans la course à la présidence de la république. L’éditorialiste aurait-il été un challenger aussi inquiétant face à Jacques Chirac en 2002, Nicolas Sarkozy en 2007 ou même face à François Hollande en 2012 (pour ne citer que les élections les plus récentes) ? Certainement pas ! S’il est aussi inquiétant aujourd’hui, c’est parce que ce que tout le monde refusait de croire est désormais une réalité bien ancrée dans l’esprit des français : le bipartisme droite/gauche (RPR/PS, UMP/PS ou LR/PS selon les époques) est bien mort et enterré (en tout cas en ce qui concerne les élections présidentielles)… Rappelons-nous l’élection présidentielle de 2017 et le séisme qu’elle avait représenté à l’époque à nos yeux[1]. Ni François Fillon (3ème avec 20,01% des suffrages exprimés), ni Benoit Hamon (5ème seulement avec 6,36% des suffrages exprimés) n’avaient atteint le second tour. Jusque-là, en 10 élections présidentielles, jamais les deux grands partis de droite et de gauche n’avaient manqué simultanément ce grand rendez-vous (et déjà en 2002 quand seul le candidat de droite avait été au second tour face à Jean-Marie Le Pen, souvenez-vous du séisme que cela avait provoqué dans l’opinion…) L’histoire est bien partie pour se répéter une seconde fois et forcément ce déclin des puissances politiques traditionnelles ouvre la porte à des outsiders qui n’auraient auparavant fait que de la figuration à de telles élections…

Mais plus encore que de parler du bipartisme, il faut regarder de plus près sur les candidats voulant occuper la plus haute fonction de l’Etat. Le fameux sondage publié il y a quelques semaines par l’institut Harris Interactive [2] étudiait différentes configurations possibles pour le premier tour selon les candidats qui y seraient présents. Il citait bien évidemment Marine Le Pen, leader toujours incontestée du Rassemblement national mais qui semble depuis quelques années sur une pente descendante et semble avoir atteint un plafond de verre en 2017 où elle s’était décrédibilisée durant le débat d’entre-deux tours face à Emmanuel Macron. Les Républicains semblaient alors divisés entre plusieurs candidats, principalement Xavier Bertrand et Valérie Pécresse qui de toute façon ne rassemblaient pas suffisamment, aucun des deux ne dépassant les 13% selon ce sondage. Si la présidente de la région Île de France a connu une belle poussée dans les sondages suivants le congrès LR, il lui reste à prouver qu’elle a la capacité réelle de pérenniser cette tendance. A gauche, le PS part de bien trop loin et Anne Hidalgo semble de toute façon bien trop clivante (comment peut-on espérer l’emporter à l’échelle nationale avec une candidate qui divise déjà profondément rien qu’à Paris, la ville dont elle est maire ?). Avec 3%, la débandade semble totale… Les écologistes ont été vus un temps comme des outsiders potentiels, mais la fièvre verte qui s’était emparée de plusieurs grandes métropoles françaises aux dernières municipales en 20201Les villes de Lyon, Strasbourg, Grenoble et Bordeaux étaient (entre autres) tombées entre les mains des écologistes semble bien retombée et Yannick Jadot, candidat désigné par la primaire écologiste pour la présidentielle, fait la course loin derrière dans les sondages avec seulement 6% des intentions de votes. Enfin, à l’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon semble comme son opposée à droite connaître un certain déclin et ressemble de moins en moins, après avoir essuyé de nombreux scandales, à un candidat crédible à l’accession au second tour. Même le président en exercice Emmanuel Macron, encore favori dans les sondages avec ici plus de 24% des voix, risque à un moment ou à un autre de subir le contrecoup dans l’opinion publique de bientôt deux ans de mandats qu’il a passés sous la menace du COVID 19 et où il a dû mettre en place de lourdes restrictions que nombre de français risquent de ne pas lui pardonner. Alors oui, quand on voit le marasme général dans le camp de ses adversaires, on peut se dire que Zemmour a de beaux jours devant lui.

Le rôle ambigu des médias : Zemmour, une trajectoire à la Donald Trump ?

Laissez-moi vous raconter à présent une petite histoire. Nous sommes en 2015. Donald, un riche homme d’affaires, envisage de se présenter dans la course à l’investiture du parti républicain, dans le but totalement utopique à l’époque de devenir le prochain président de son pays. Personne n’y croit et son projet fou a relevé pendant longtemps plus de l’utopie que d’autre chose. Mais Donald dispose d’un appui de taille que tout le monde avait négligé. Les plus gros médias nationaux se repaissent des déclarations fracassantes du candidat qui, à chacune de ses sorties, enchaîne polémique sur polémique, que ce soit par ses propos sexistes, ses discours racistes ou tout simplement par les calomnies qu’il adore manier contre ses adversaires. Même si ses propos sont truffés d’un si grand nombre de « fake news » qu’il en est aujourd’hui quasiment considéré comme l’inventeur de ce type de déclarations, ils lui accordent un temps d’antenne très important, retransmettent un nombre incalculable de fois chacune de ses interventions et se régalent d’analyses et de best-of de leurs meilleurs passages. Surfant sur cette publicité gratuite et bienvenue et sur la renommée qu’elle lui apporte, Donald arrive un peu plus d’un an plus tard à la Maison Blanche, pour ce qui restera les quatre ans les plus sombres du pays de l’oncle Sam.

Il n’est ici pas question d’essayer de comparer de manière abusive d’Éric Zemmour et Donald Trump , qui n’ont finalement pas grand-chose d’autre en commun que leurs tendance avérée au sexisme et à l’islamophobie, mais de dire que les médias qui ont très largement contribué au couronnement du désormais ex-président américain sont aussi en grande partie responsables de la montée soudaine dans l’opinion publique de celui qui ne s’est même pas encore officiellement déclaré candidat et que si ils continuent d’agir ainsi, ils pourront être considérés comme les premiers responsables en cas de victoire de sa part le jour J. Certes, il est vital pour le bon fonctionnement d’une démocratie que toutes les opinions puissent s’exprimer. Pour autant, ce n’est pas du journalisme que de faire le jeu d’un populiste en faisant ses choux gras en permanence d’une candidature potentielle et en invitant fréquemment celui-ci en le maintenant dans sa zone de confort en ne l’interrogeant que sur ses sujets de prédilection. On n’est alors plus dans le journalisme mais dans la recherche du buzz à tout prix. Posez-vous une bonne question : avez-vous déjà vu un journaliste tenter de mettre en difficulté Zemmour sur des sujets tels que ses propositions économiques franchement inexistantes ? Personnellement, je cherche encore et pourtant c’est (du moins je l’espère) un critère majeur à avoir en tête pour un citoyen qui va être amené à choisir en mai prochain celui qu’ils veulent voir diriger leur pays pendant les cinq prochaines années. Certaines chaînes d’infos bien connues devraient réfléchir au sens qu’elles veulent donner à leur profession…

Arrêtons de nous voiler la face : les rangs de la génération Z sont bien plus fournis qu’on ne le pensait

Certes les médias et les divers déboires rencontrés par la concurrence sont deux facteurs importants pouvant expliquer l’émergence d’Éric Zemmour, mais il faut à présent clairement s’avouer quelque chose : son succès, il le doit aussi à lui et à ses idées qui séduisent de plus en plus. La présence au second tour de Marine Le Pen nous l’a suffisamment montré si tant est qu’il y en ait encore eu besoin : le vote extrême n’inquiète plus les français qui ne sont plus autant repoussés qu’ils ont pu l’être auparavant par l’idéologie populiste et raciste de l’extrême droite, voire y adhèrent. Certes Zemmour semble en premier lieu s’attaquer à l’électorat de la présidente du Rassemblement National, mais aujourd’hui il n’est pas rare de voir un jeune expliquer vouloir voter pour le polémiste en avril prochain. Le front républicain faiblit pendant que le camp du rassemblement national et consort grossit de jour en jour. Cessons donc de nous réfugier derrière ce mythe du vote barrage qui empêchera in extremis comme en 2017 le populisme d’accéder à la fonction suprême ! Ce mythe semble plus que jamais en mesure d’être déconstruit, surtout si Zemmour venait à se retrouver en face d’Emmanuel Macron au second tour, tant les détracteurs du président en exercice semblent prêts à tout pour le faire chuter… Arnaud Montebourg critiquait notamment récemment sur le plateau de LCI une volonté du pouvoir en place de laisser la côte de Zemmour grimper pour jouer le jeu du “extrême face à l’homme présidentiable” au second tour afin de faciliter sa réélection.Ajoutez à cela que Zemmour s’appuie, contrairement à la famille Le Pen qui perdait en cela de la crédibilité, sur un discours à l’apparence de vérité comme ceux que dénonçait en son temps  Pierre Vidal Naquet2Dans Les Assassins de la Mémoire, Naquet explique comment il est possible en ne se concentrant que sur certains faits et en omettant d’autres, de construire un discours pouvant convaincre les publics les moins avertis mais ne représentant en aucun cas la réalité. Ce qui était à l’époque le propre des révisionnistes et des négationnistes est aussi une arme redoutable que sait remarquablement bien utiliser Éric Zemmour basé sur des analyses historiques qui ,si on n’y veille pas, peuvent tromper bon nombre de personnes, maîtrise parfaitement l’exercice médiatique et a voué sa vie à déconstruire des hommes politiques dont les Français se défient. Vous comprendrez qu’Éric représente désormais une menace plus que crédible pour tous ceux qui voudraient succéder à Emmanuel Macron. A chacun aujourd’hui d’en être bien conscient et de saisir le danger qu’une telle candidature représenterait pour notre pays et de faire en connaissance de cause son choix le 10 Avril prochain, car comme dit l’adage « Les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures ».

Julien Vacherot

Julien Vacherot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). Chief Editor of KIP, interviewer and regular contributor.