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Le terrorisme moderne : beaucoup de mémoriaux, trop peu de mémoire

Le temps était à l’unité ce samedi 11 septembre au mémorial du World Trade Center à Manhattan, pour rendre hommage aux quelque 3.000 personnes tuées il y a 20 ans lors des attentats les plus meurtriers de l’Histoire. En présence du président Joe Biden, de ses prédécesseurs Barack Obama et Bill Clinton, une première minute de silence a été observée à 08H46, précisément vingt ans après l’effondrement de la tour Nord, percutée par l’avion détourné par un commando islamiste d’Al Quaïda. Ce moment de forte solidarité ne suffira toutefois pas à panser les blessures d’une Amérique profondément divisée, affaiblie par la contestation permanente de sa supériorité et humiliée par l’échec de vingt ans de guerre1Débutée le 7 octobre 2001 par une série de bombardements, l’invasion dure 3 mois jusqu’à la prise de Kaboul et la fuite des Talibans. Ce n’est que 20 ans plus tard, le 30 août 2021 que les troupes américaines se retirent officiellement d’Afghanistan.. Si le peuple américain a pris le temps de faire honneur à la mémoire de ses victimes, les leçons des attentats n’ont pas encore été tirées.

Un pays uni et intransigeant face à l’Axe du Mal

Au réveil du 11 septembre 2001, les États-Unis retrouvent un ennemi, une doctrine et un objectif commun : la guerre globale contre l’Axe du Mal. Ébranlés par une agression sans précédent sur leur sol depuis Pearl Harbor, unis dans une immense ferveur patriotique, les Américains s’en sont remis, presque aveuglément, à leurs dirigeants. S’ensuit un déferlement de puissance militaire américaine sur le monde, visant d’abord à punir les Talibans jugés coupables d’accueillir Ben Laden et à détruire l’organisation d’Al Qaïda en Afghanistan, puis à saisir l’opportunité du moment unipolaire pour mieux remanier le nouvel ordre mondial. Inspirée des théories de la paix démocratique2 Selon ces théories, des Etats démocratiques ne peuvent chercher à faire la guerre entre eux. Toutefois, ces Etats mènent des guerres contre les autres régimes, et peuvent même s’avérer être les plus belliqueux. Pour parvenir à une paix totale, il faut donc étendre le processus de démocratisation., l’idéologie néoconservatrice prône le renversement de régimes pour lutter contre le terrorisme et la menace d’une guerre nucléaire

Les objectifs initiaux ont largement été atteints. La campagne de l’automne 2001 aboutit à une revanche triomphale des Etats-Unis : les Talibans sont contraints de se réfugier dans les montagnes afghanes, 80 % des membres d’Al-Qaïda en Afghanistan ont été tués et deux tiers des cadres de l’organisation ont été éliminés. Depuis, Al-Qaida n’a plus jamais commis d’attaques sur le sol américain et son chef, Oussama Ben Laden, a été tué au Pakistan par des commandos au terme d’une traque de dix ans. En ce sens, l’opération américaine souligne l’efficacité d’une intervention rapide et violente lors de laquelle des ressources militaires quasi illimitées sont employées pour renverser un ennemi voire un État. Mais la suite témoigne des difficultés titanesques qu’il y a à stabiliser l’État renversé, à détruire totalement un ennemi dans le cadre d’une guérilla, à légitimer la violence sur le long terme et à justifier la poursuite d’une guerre dont on finit par en oublier la raison. 

Des erreurs répétées du Vietnam: quand l’Etat libérateur devient voyou

Le paradoxe et l’échec de la vague néo-conservatrice est simple à comprendre : c’est sa volonté de mettre à profit ce moment d’hyperpuissance américaine pour asseoir sa domination qui va en précipiter la fin. En intervenant à tout va, en s’enlisant dans des guerrilla sur un terrain qu’ils ne maîtrisent pas, en faisant preuve d’une violence illégitime, les Etats-Unis ont vu leur puissance s’éroder. La présence américaine à l’étranger est devenue synonyme  d’autoritarisme et, ironie du sort, l’Etat libérateur a fini par endosser le costume des voyous qu’il avait pourtant chassés. 

Les Etats-Unis ont souffert d’une forme de cécité politique et culturelle. Ils s’étaient imposés au monde en faisant preuve de discernement et d’efficacité militaires, tout en jouissant d’une popularité exceptionnelle chez les populations libérées lors de la Seconde Guerre mondiale. Cette fois, ils se sont jetés dans un conflit dont ils ne pouvaient maîtriser la nature tout en subissant le rejet des populations locales3En particulier, les Afghans rejettent la violence et la corruption qui sévissent dans le pays: estimée entre 260 et 465 millions de dollars pour la seule année 2007 (sur un PIB de 7,5 milliards de dollars), cette dernière touche tous les fonctionnaires de l’état jusqu’au président Karzai lui-même.. Les difficultés rencontrées ont poussé à un reniement des valeurs de l’Etat de droit, considérées comme le fondement de la démocratie américaine. Les premiers échecs ont justifié des mesures disproportionnées, souvent cachées aux yeux du monde. La mise en place d’un système extrajudiciaire pour lutter contre le terrorisme, le recours à des zones de non-droit comme les prisons secrètes de la CIA et le camp de Guantanamo, la normalisation de la torture comme moyen d’information resteront une tache noire sur l’image des Etats-Unis. 

L’Amérique de Bush a voulu remodeler le monde par la force, celle de Joe Biden est priée de rentrer chez elle. Il devait être préparé et ordonné, le retrait américain d’Afghanistan fut précipité et chaotique. Minée par ses erreurs, dépassée par l’intervention de nouveaux acteurs et affaiblie par sa guerre contre le terrorisme, la puissance américaine est contrainte de se replier. Cette guerre d’un nouveau genre va dans le sens de la mondialisation que connaît le monde aujourd’hui : affaiblissement des Etats, multipolarité accrue, affirmation des identités culturelles. En tirant leçon des échecs de leur domination hégémonique, les Etats-Unis doivent comprendre qu’ils ne peuvent rester une puissance classique, s’ils veulent préparer au mieux le multilatéralisme de demain.

Paul Berlemont

Paul Berlemont

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024).
Vice-président de KIP, responsable du pôle podcast et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024).
Vice-president of KIO, Head of the radio content and regular contributor.