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Valérie Pécresse, l’assurance-vie d’Emmanuel Macron

Cet article a été écrit en Janvier. Il peut donc, par moments, comporter des anachronismes vis-à-vis de la situation électorale actuelle. Les rapports de force politiques sont par nature fluctuants.

« En 2017, c’était Fillon. En 2022, ce sera vraisemblablement Macron ». Nombre de partisans historiques de la droite française dressent ce constat résigné. « Voter pour Pécresse ? Certainement pas ! », assument-ils, eux qui ont toujours été fidèles au parti conservateur, héritier du gaullisme, et qui porte aujourd’hui un nom évocateur : « Les Républicains » (LR). La candidature de Valérie Pécresse à la plus haute fonction de la République ne fait en effet pas l’unanimité, y compris au sein du parti sur lequel elle s’est imposée à l’issue d’un congrès particulièrement médiatisé. Contre la doxa éditoriale du moment, ne peut-on pas se demander si l’investiture de Valérie Pécresse n’est pas, finalement, un atout pour le président sortant.

Convictions, ambitions…

Inconstance ou pragmatisme ? Sur quel compte mettre les vertigineux revirements caractéristiques de la carrière politique de la candidate républicaine ? L’opportunisme semble être la solution médiane privilégiée par la majorité de ses commentateurs et biographes. Au fond, la seule conviction de Pécresse, c’est Pécresse elle-même. Et ce au grand dam d’une partie des électeurs de droite. 

L’histoire commence en 2016, lors de la campagne d’investiture du candidat de la droite pour les élections présidentielles de 2017. Contre toute attente, Pécresse, versaillaise, mère de famille catholique, choisit le centriste Alain Juppé et non le très conservateur François Fillon, duquel elle était naturellement plus proche.. Il est vrai que Juppé devançait largement Fillon dans les sondages. Le choix de Pécresse apparaît donc comme celui d’une carriériste, espérant, à l’élection de Juppé, prédestiné à être le prochain Président de la République, occuper l’un des plus influents ministères du prochain gouvernement. Mauvaise pioche : François Fillon fait mentir les sondages ; la stratégie de l’ancienne ministre du budget s’effondre. 

Autre embûche dans la carrière controversée de Valérie Pécresse : le débat relatif au « Mariage pour tous », introduit par une loi votée le 17 mai 2013. Nombre de pontes de la droite restent en retrait, par peur d’apparaître campés sur des positions d’une autre époque. Une droite qui, il faut le dire, sort très affaiblie de la défaite du président sortant, Nicolas Sarkozy, aux élections présidentielles de 2012. Pourtant, cette retenue échappe à Valérie Pécresse, qui saute à pieds joints dans un combat réactionnaire contre cette évolution sociétale. Ainsi décide-t-elle de soutenir la « Manif pour tous », un rassemblement ultra-conservateur, farouchement opposé à l’idée d’une famille qui s’affranchirait du traditionnel tandem père-mère. Cette association, créée à l’automne 2012, tombe en désuétude à l’issue de l’application de la loi « Taubira », après avoir, pourtant, rassemblé des centaines de milliers de manifestants. Encore une fois, Pécresse mise sur le mauvais cheval, en se décrédibilisant par des propositions qui font scandale, comme celle de « démarier » des couples homosexuels, qu’elle évoquait en novembre 20121https://www.huffingtonpost.fr/2013/04/22/video-quand-valerie-pecresse-voulait-demarier-les-couples-homosexuels_n_3130245.html

Ces positions gênantes pour la candidate de 2022 subissent d’ailleurs un nouveau rétropédalage acrobatique : Valérie Pécresse revient, début 2021, sur ses positions passées. Les évolutions de l’opinion publique ont raison, une nouvelle fois, des convictions de la candidate, dont la stratégie va même jusqu’à tenter d’effacer ses anciennes prises de position de sa page Wikipédia. Un faux air des retouches photo caractéristique de la propagande soviétique, pour une candidate aux antipodes de la gauche communiste. 

Il n’est même pas nécessaire de revenir sur sa fugitive « rupture » avec le parti Républicain à la suite de la débâcle des européennes de 2019, qui lui vaut parmi les partisans de droite le surnom de « Valérie Traitresse ». Une chose est sûre : ces revirements d’opinion si fréquents valent à la candidate une réputation d’arriviste dont le seul objectif est de rajouter une prestigieuse ligne à son Curriculum vitae. Ainsi, pour certains membres des « Républicains », Pécresse joue pour elle-même avant de jouer pour les Français. 

Un grand écart à l’équilibre instable

Apparemment, les votants au récent congrès républicain n’en ont pas tenu rigueur à la présidente de la région Île de France, fraîchement réélue en 2021. Deuxième au premier tour derrière un Éric Ciotti hébété du haut de sa première place2Tous les sondages plaçaient M.Ciotti en avant-dernière position pour l’investiture républicaine, avec moins de 10% des voix. Il récolte finalement 25,59 % au premier tour, en première position., elle remporte largement le second tour, avec 60,95 % des voix. Candidate de la droite et du centre à la prochaine élection présidentielle, son rôle est maintenant de rassembler une famille qui oscille entre espoir et défiance à son égard. 

C’est ainsi que Valérie Pécresse, talons aux pieds et serre-tête dans les cheveux3Lors de la première candidature de Valérie Pécresse à la présidence de la région Île de France, elle s’était heurtée aux moqueries de son rival socialiste, Claude Bartolone, qui insistait notamment sur son style vestimentaire., commence par s’attaquer à la droite de son parti, de plus en plus attirée par le candidat Zemmour4Guillaume Peltier, fidèle parmi les fidèles de Nicolas Sarkozy, a notamment annoncé rejoindre le mouvement fondé par Éric Zemmour, en janvier 2022.. Éric Ciotti, en bon perdant, devient partie prenante de la campagne de la candidate. Il opère par là un glissement à droite, en tant que nouveau leader d’une aile plus conservatrice du parti. La candidate organise par ailleurs, le 21 janvier, un très médiatique déplacement sur les terres de l’ex-président des Républicains, Laurent Wauquiez, aujourd’hui à la tête de la région Rhône-Alpes. Il faut dire que Wauquiez, malgré sa traversée du désert consécutive aux derniers échecs électoraux du parti, reste un important repère pour cette même aile droite des Républicains. Des retrouvailles aux apparences de réunion, notamment entre l’ancien parti « Libres ! », créé en 2019 par Valérie Pécresse, et les Républicains, formation toujours restée fidèle à son dirigeant déchu. 

Mais, en 2022, plus question de pieds-joints pour Pécresse : il ne s’agit pas de se jeter à corps perdu dans un glissement à droite plébiscité par une part croissante de son électorat. La candidate doit s’assurer du soutien du centre-droit, incarné notamment par l’Union des démocrates et indépendants (UDI) et par les Centristes, partis d’appoint pour Les Républicains. Ainsi poursuit-elle sa série de rencontres par la mise en scène de son investiture au sein de ces deux partis. La présidente de la première région de France opte donc pour la stratégie du grand-écart, consciente de l’échec de son enfermement dans des positions trop marquées. Mais la maîtrise de cette figure acrobatique suppose souplesse et dextérité. Si la politicienne surdiplômée possède à n’en pas douter cette qualité-ci, ses antécédents malheureux pourraient bien compromettre sa maîtrise de celle-là. 

A trop vouloir conquérir l’ensemble des sensibilités de droite, elle perd en crédibilité sur tous les plans. Au fond, Valérie Pécresse, même si elle se réclame de l’héritage d’Angela Merkel, n’est pas coutumière du consensus. A-t-elle la capacité, rare, de concilier des opinions parfois diamétralement opposées ? Rien n’est moins sûr, comme en témoignent les défections de certains Républicains, notamment vers l’extrême droite.  

Les sondages, indicateur fluctuant

Pourtant, encore une fois, ce propos paraît déconnecté de la réalité des sondages. La victoire de Valérie Pécresse au congrès républicain a incontestablement relancé la campagne du parti conservateur, mettant désormais la candidate en position d’affronter Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle. Certains sondages donnent même Valérie Pécresse gagnante, notamment grâce au report des voix d’extrême droite. 


Malgré tout, il est prématuré et dangereux de se fier aux derniers sondages. D’une part, plusieurs mois de campagne nous séparent encore de l’élection présidentielle. Et le cas Fillon, en 2017, montre que l’élection n’est pas à l’abri de révélations fracassantes à l’encontre de l’un des favoris, qui pourraient, une fois de plus, tromper nos certitudes quant à l’issue de ce scrutin. 

D’autre part, les sondages ont souvent montré leurs limites. Ce fut le cas lors des deux dernières « primaires » de la droite pour les élections présidentielles de 2017 et de 2022. Deux exemples parmi d’autres, qui conduisent à douter de la fiabilité de ces études d’opinion, pourtant si stratégiques pour les équipes de campagne des différents candidats. La présence de la candidate Pécresse au second tour de la présidentielle est donc pour le moins incertaine. 

Macron, grand gagnant du congrès républicain ?

Il est donc possible de défendre une opinion surprenante et déphasée par rapport au résultat des derniers sondages : et si l’investiture de Valérie Pécresse était une assurance pour la réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République ?

Revenons pour cela à l’introduction de ce propos : certains partisans républicains de toujours voteront Macron et non Pécresse en 2022. Reste à évaluer le poids de ces dissidents dans l’électorat conservateur. Pour les centristes, Pécresse peut apparaître décrédibilisée par ses positions passées sur le plan sociétal et sa nouvelle lubie du contrôle aux frontières, particulièrement depuis le ralliement d’Éric Ciotti, pour lequel l’immigration est et doit être la première préoccupation des Français5Il assure notamment cela sur l’antenne de BFM TV, le 23/01/2022.. Quant à l’aile droite du parti, les différents revirements de Pécresse peuvent l’affaiblir face à un Éric Zemmour campé sur ses arguments nationalistes depuis des années. Pécresse ne constitue donc pas le choix évident pour de nombreux Républicains. 

Ensuite, qu’en est-il des électeurs des candidats d’extrême droite, que sont Marine Le Pen et Éric Zemmour ? Cette question paraît accessoire, du moins pour le premier tour. Mais le ticket d’accès au second tour sera particulièrement bas en 2022, du fait de la multiplicité des candidats, et de la division de cette même extrême droite. Aujourd’hui, Valérie Pécresse est annoncée à la deuxième place au premier tour, mais avec moins de 20 % des suffrages. Alors certes, la réserve de voix constituée par les électeurs de la droite nationaliste est considérable. Mais beaucoup de partisans de Zemmour ou de Le Pen partagent les critiques brutales que ces deux candidats adressent continuellement à Valérie Pécresse. Pour nombre d’entre eux, Pécresse ne constitue qu’une pâle copie de Macron. Pourquoi, alors, choisir la copie plutôt que l’original, et ne pas s’abstenir ? Pire, Pécresse est une femme, élément sûrement répulsif pour certains partisans d’Éric Zemmour, qui, il faut le rappeler, est l’auteur d’un essai misogyne intitulé Le premier sexe

Ainsi, si Éric Zemmour pense avoir la possibilité d’opérer une union des droites autour de sa personnalité, ce n’est pas pour rien. Valérie Pécresse a peu de chances de remporter l’élection présidentielle face à un Emmanuel Macron fort d’une base électorale solide. La candidate républicaine apparaît de plus en plus comme un « tigre de papier » incapable de réellement affaiblir la candidature du Président en exercice. Contre toute attente, une implacable conclusion semble se dessiner : la candidature Pécresse est un atout inespéré pour Emmanuel Macron, dont, à ce stade de la campagne, la réélection apparaît fort probable. 

Illustré par Victor Pauvert

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.