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Tifosi à l’épreuve du confinement

Nous sommes samedi soir, il est 20 heures, vous vous installez tranquillement dans votre canapé pour passer une bonne soirée en compagnie du MultiLigue 1. Vous espérez que Ludovic Ajorque, que vous avez acheté sur MPG[1], plantera un doublé face à l’armada angevine. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Rembobinons.

Nous sommes samedi soir, il est 20 heures et mis à part un moment de communion avec les quelques voisins qui ne sont pas partis se confiner sur l’île de Ré ou dans quelque autre contrée sympathique, vous n’avez pas grand-chose à vous mettre sous la dent.

Un virus au nom de pale lager a soudainement fait taire tous les stades d’Europe et du monde, bouleversant la routine de millions de tifosi. Tous ? Non. Un pays peuplé d’irréductibles Biélorusses résiste encore et toujours à l’envahisseur. À l’heure où les acteurs du foot rivalisent d’inventivité pour imaginer une fin acceptable à cette saison brusquement interrompue, le dernier championnat d’Europe encore en activité – en sursis plutôt, et en public pour le moment – est devenu l’ultime recours des parieurs compulsifs et autres forçats du football. Les plus instruits d’entre eux connaissent déjà le BATE Borisov, protagoniste régulier des compétitions européennes, voire même le Dinamo Minsk, deuxième club biélorusse à atteindre les phases de groupe d’une compétition européenne lors des Ligue Europa 2014 et 2015. Pour la première fois de son existence, le monde du football s’intéresse à la Vycheïchaïa Liga. Plus par contrainte que par choix, certes, mais l’essentiel est là. Pour échapper aux rediffusions de championnats de France de pétanque – vous avez le droit de vous en repaître, on ne juge pas – ou aux innombrables documentaires à l’esthétique douteuse dont nous gavent les chaînes sportives, les aficionados tricolores du ballon rond découvrent subitement l’existence de quelques francophones exilés aux confins de l’Europe et se mettent à trembler devant des rencontres improbables, à l’image d’un Gorodeja-Soligorks (ne me demandez pas de placer ces clubs sur une carte, j’en serais bien incapable).

Si vous n’avez pas envie de vous mettre au cyrillique – ou si vous n’aimez pas le foot, ce qui n’est pas exclu – il existe des solutions pour alimenter votre perfusion quotidienne de contenus sportifs sans avoir recours à des sports extrêmes tels que le lancer de fléchettes. Que vous soyez un inconditionnel du Red Star ou que vous pensiez que Rakitic joue au Real, le confinement est avant tout l’occasion de renforcer votre culture sportive et de vous donner les moyens de briller le dimanche autour d’un barbecue entre amis.

Les amateurs de tennis lassés des lives Instagram Paire-Wawrinka apprécieront les rediffusions de matchs légendaires proposées par l’ATP, la WTA et les tournois principaux, à l’image du mythique Isner-Mahut de 2010, match plus long de l’histoire du tennis (11 heures 05 tout de même, mais vous avez le temps) ou du délicieux Kyrgios-Coric de Miami 2019. Revivez le monumental Nadal-Verdasco en demies de l’Australian Open 2009, véritable chef-d’œuvre du tennis ibérique, et versez une larme devant l’émouvant Federer-Djokovic de Roland Garros 2011. Dans un style différent, le 20e titre du Grand Chelem de Serena Williams, conquis de haute lutte face à Lucie Safarova à Roland Garros en 2015, fait partie des matchs mémorables de la championne aux 23 majeurs et mérite le coup d’œil . Si vous cherchez à en savoir plus sur la vie et la préparation des joueurs et êtes friands d’images inédites, comme disent les commentateurs sportifs, il existe d’innombrables reportages sur les champions des vingt dernières années. Regardez notamment Les Secrets d’un Géant, réalisé par la chaîne L’Équipe 21 en 2014, qui analyse l’écrasante domination de Nadal sur terre et l’illustre par de nombreux témoignages et anecdotes.

Les millenials à la recherche de tennis vintage feraient aussi bien de se remémorer les rivalités Borg-McEnroe – dont le film Borg vs McEnroe, réalisé par Janus Metz Pedersen en 2017, a été tiré – et Navratilova-Evert ou de s’inspirer des revers de Gabriela Sabatini en vue de leur retour sur le court. C’est aussi le moment de revoir le sacre de Mary Pierce Porte d’Auteuil en 2000 et l’impitoyable 6-0 6-0 infligé par Steffi Graf  à Natasha Zvereva en finale du même tournoi en 1988, année de son « golden slam ».

Dans la même veine, on peut s’intéresser au film Battle of the Sexes, réalisé en 2017 par Jonathan Dayton et Valerie Faris et qui a pour objet le fameux match de 1973 entre Billie Jean King et Bobby Riggs. À défaut d’être un chef-d’œuvre du cinéma, il a le mérite de raconter de façon précise et documentée un événement marquant de l’histoire du tennis devenu incontournable à une période où l’égalité entre les sexes est – à juste titre – au centre des préoccupations.

Il en va de même pour le football, qui regorge de rencontres mémorables. Le récent décès de Michel Hidalgo (décidément, quelle période joyeuse) nous a replongés dans l’ambiance de la mythique épopée de 84, menée par un « carré magique » (Tigana, Fernandez, Giresse, Platini) en état de grâce et point d’orgue de la reconstruction du football français. L’Équipe  rediffuse en ce moment des matchs de légende tricolores, dont évidemment le cruel France-RFA de Séville 82, qui encore aujourd’hui remue les tripes des quelques téméraires qui s’aventurent à le revivre.

Une fois que vous vous serez penchés sur les grandes heures de notre bien-aimée équipe nationale, arrêtez-vous sur ceux qui ont forgé le football que nous pratiquons aujourd’hui. Si vous aimez les rencontres en noir et blanc, misez sur les meilleures actions du beau Real Madrid – Stade de Reims en finale de la première Coupe des clubs champions européens en 1956, ancêtre de la Ligue des champions. À l’issue d’un parcours exemplaire face à des équipes dont personne n’a entendu parler depuis (comme le Hibernian FC, valeureux club de première division écossaise), les Champenois, emmenés par Raymond Kopa, s’étaient mesurés à l’ogre madrilène et à son génie argentin Alfredo Di Stéfano. La rencontre, à laquelle avait d’ailleurs pris part Michel Hidalgo, se solda par la victoire du Real, qui malgré l’ouverture du score précoce de Michel Leblond à la 6e minute, finit par l’emporter 4-3, scellant le sort de la compétition. Replongez-vous ensuite dans les épopées ajacides du début des années 70 pour vibrer au rythme du football total, jeu de mouvement, d’espaces et de permutations imposé par Johan Cruyff et ses coéquipiers. Le Hollandais volant, chef d’orchestre de l’Ajax, mena son équipe vers les sommets européens et en particulier une victoire mémorable en finale de Coupe des clubs champions européens 1972 face à l’Inter et son catenaccio, stratégie défensive initialement efficace mais finalement dépassée par le lumineux jeu ajacide. Le football total connut son apogée lors de la Coupe du monde 1974, qui vit les Pays-Bas réaliser un parcours modèle avant d’échouer face à la RFA en finale.

Soûlés par tant d’Histoire, les Footix retrouveront leurs marques en revoyant les deux sacres mondiaux de l’équipe de France et l’inévitable documentaire Les Yeux dans les Bleus – les autres aussi, nul besoin d’être inculte pour verser quelques larmes devant les moments de gloire du foot français. Et parce que nous avons la chance de vivre à une époque où des géants éclaboussent le jeu de leur talent, noyez-vous sans vergogne dans les compilations des meilleures actions de Messi (surtout), Neymar et Ronaldo (aussi, même si cela fait depuis dix ans qu’il n’a pas mis un coup franc au-dessus du mur). Admirez aussi Robben et son soyeux pied gauche pour comprendre comment chaque défenseur tombait dans le panneau lorsqu’il rentrait dans l’axe. Quant à vous, les insomniaques, au lieu de regarder chasse et pêche au milieu de la nuit, délectez-vous d’un France-Luxembourg 2017 d’un ennui mortel, insipide 0-0 marqué par d’innombrables tirs tricolores stériles et la bravoure de nos voisins du Grand-Duché, en premier lieu de la superstar Jonathan Joubert, natif de Metz et illustre portier du F91 Dudelange.

À ceux qui n’aiment ni le tennis ni le football, consolez-vous, la suite arrive à grands pas.


Sources et renvois

[1] Mon Petit Gazon, sorte de football manager entre potes qui brise des amitiés chaque week-end .

Victoire Fauvet

Victoire Fauvet

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2022).
Contributrice

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2022).
Contributor