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Mario Tax
« Mario Tax », Création originale de Hugo Sallé pour KIP

La Taxe sur les carburants : injuste socialement, futile écologiquement

Le mouvement des gilets jaunes a mis en lumière le face-à-face entre une France périphérique, habituellement silencieuse, qui affirme toujours payer sans jamais recevoir et un gouvernement justifiant les réformes au nom de l’impératif écologique. À y regarder de plus près, on s’aperçoit cependant que ce sont bien les classes moyennes inférieures qui payent pour une transition pas si écologique.

La voiture : un impératif pour les classes populaires

Tout personne qui a déjà vécu en dehors du centre ville le sait, la voiture est indispensable en raison des longues distances à parcourir pour faire ses courses, se rendre au travail ou simplement aller chercher ses enfants à l’école. Ainsi, la moitié des Français doit parcourir plus de quinze kilomètres quotidiennement pour se rendre au travail [1]. Et ce sont dans les territoires les plus pauvres que les distances sont les plus grandes (à la seule exception de la Seine St-Denis). Par exemple, en plus d’avoir le taux de pauvreté le plus élevé de France (20,3 %), la Corse possède la plus grande distance moyenne travail/domicile [1] [2]. Dans ces mêmes territoires, les transports en commun ne constituent pas une alternative à la voiture et pour certains, il n’y a que trois cars dans la journée (et uniquement du lundi au vendredi) : un le matin à 6h, deux le soir à 17h et 18h.

Le plus inquiétant reste la disparition programmée des petites lignes ferroviaires faute de rentabilité. Ceci rentre en totale contradiction avec la politique affichée du gouvernement et les engagements pris par la France, puisque le train est fiable, écolo et rapide. Double peine donc : le gouvernement taxe le carburant tout en supprimant les alternatives à la voiture dans les territoires périphériques [3].

Au contraire, ce sont dans les départements les plus riches de France, comme les Hauts-de-Seine ou encore Paris, où l’offre en transports en commun est de très loin la meilleure, avec un maillage de bus, tram et métro sans équivalent, que la taxe sur le carburant aura le moins d’impact sur le pouvoir d’achat.

Ce ne sont pas forcément ceux qui polluent le plus qui sont le plus taxés… bien au contraire

Cependant, cette population périphérique que l’on aime pointer du doigt est loin d’être l’unique responsable des émissions de CO2 en France. Une automobile qui date de 8 ans (moyenne nationale des véhicules en service) émet en moyenne 133g de CO2/km [4], si on multiplie ce chiffre par le kilométrage moyen de 2015, soit 17 423 km (en forte baisse) [5], on obtient alors 2,31T de CO2, ce qui revient à 2,09T après ajustement relatif au taux d’occupation de l’auto. À titre de comparaison, un passager qui fait un aller-retour Paris Los-Angeles émet 1,8T et un aller-retour Paris-Marrakech 0,35T [6]. Ainsi, un séjour à Marrakech et des vacances à Los Angeles polluent plus, rien qu’avec le trajet aérien, qu’un an d’utilisation normale d’une voiture. Je vous laisse imaginer l’empreinte carbone colossale des flux touristiques en Asie du Sud-Est, d’un étudiant français au Canada qui revient en France deux fois par an, ou des voyages d’affaires mensuels de certains consultants.

Une vraie justice environnementale imposerait que ces voyages soient lourdement taxés, d’autant plus qu’ils sont effectués majoritairement par des individus issus des classes supérieures. Or, en raison d’un accord international signé en 1944, le kérosène est taxé à… 0 % [7] ! Des solutions existent : on pourrait imaginer une TVA à 65 % spécifique aux billets d’avion (comme pour le carburant). Mais cela reviendrait à doubler le prix des billets d’avion… Pas sûr que l’électorat CSP+ urbain qui a plébiscité le gouvernement actuel apprécie…

La taxation des carburants, une mesure symbolique mais dérisoire pour le climat

Enfin, on pourrait aussi comparer les émissions du Français moyen à celles d’un Chinois, ou d’un Américain. En 2016, la France est à l’origine de 0,7 % des émissions de CO2 dans le monde [8]. À elle seule, la Chine émet ¼ de l’ensemble des émissions de la planète, et même si l’on rapporte ce chiffre au nombre d’habitants, le Chinois émet plus que le Français, et c’est aussi le cas du Russe, du Bulgare ou du Sud-Africain [8]. Et que dire des États-Unis de Trump, du Brésil de Bolsonaro, ou des pays du Golfe, dont la priorité est très loin d’être le climat ?

Mais le plus inquiétant vient du sous-continent indien et de l’Afrique sub-saharienne où l’augmentation de la pollution sera démultipliée : non seulement ces pays se développent mais ils n’ont toujours pas achevé leur transition démographique [9]. Il ne faut pas se leurrer : les nouvelles classes moyennes de ces pays veulent une voiture, pas un vélo électrique.

Ainsi, il serait vain que la France ou l’Union Européenne arrive à la neutralité carbone, si les pouvoirs publics ne mettent pas en place dès aujourd’hui une politique drastique, contraignante, immédiate et mondiale de réduction des gaz à effets de serre incluant des sanctions économiques et des mesures pour contrôler de la natalité [10].

L’écologie est une bonne excuse pour augmenter les rentrées fiscales

En conséquence, il paraît bien futile de s’acharner à taxer le carburant (le Diesel atteindrait 1,68 €/L en 2022 avec l’augmentation progressive des taxes [11]), et ridicule de faire endosser la responsabilité du réchauffement climatique à l’ouvrier qui prend sa voiture quotidiennement pour aller travailler à l’usine.

Les experts des différents ministères et cabinets sont bien conscients de ces incohérences. C’est pourquoi le motif de la transition écologique cache autre chose : des objectifs purement économiques et électoraux. D’un côté, cela permet au gouvernement de se poser en rempart écologique, de donner bonne conscience aux classes supérieurs urbaines sans trop les bousculer [12] [13]. De l’autre, c’est une véritable manne financière pour l’État [14]. Mais ces choix sont faits au prix d’une injustice sociale

La France périphérique et provinciale, bien souvent silencieuse, n’est pas dupe ; elle sait pertinemment ce qui se cache derrière les beaux discours sur le climat, et pour la première fois depuis bien longtemps, elle sort de son mutisme pour montrer qu’elle a son mot à dire.

Illustration : Création originale de Hugo Sallé pour KIP

Sources et renvois

[1] Emmanuelle Réju, « Les trajets domicile-travail toujours plus longs », La Croix, 30/06/2016
[2] Laurent Auzet, Magali Février, Insee Bretagne Aude Lapinte, « Niveaux de vie et pauvreté en France : les départements du Nord et du Sud sont les plus touchés par la pauvreté et les inégalités », INSEE, 26/10/2007
[3] Benoît Duteurtre, « Il paraît que les petites lignes de chemin de fer coûtent trop cher », Le Monde Diplomatique, Avril 2018
[4] « Évolution du taux moyen d’émissions de CO2 en France », Car Labelling Ademe
[5] Thibaut Frank, « Kilométrage annuel moyen : les Français roulent de moins en moins », L’argus, 24/09/2015
[6] DGAC, Calculateur d’émission de CO2 de l’aviation
[7] Claudia Cohen, « Carburants : pourquoi les avions et les bateaux échappent aux taxes », Le Figaro, 16/11/2018
[8] Global Carbon Atlas, CO2 emissions
[9] « Climat : des scientifiques appellent à freiner l’essor démographique », Europe 1, 09/10/2018
[10] « World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice », BioScience, 13/11/2017
[11] Thomas Le Bars, « Carburants : le calendrier des hausses de taxes et leur impact sur les prix à la pompe », Capital, 22/08/2018
[12] « Le regard des Français sur le mouvement des “Gilets jaunes” », Rapport de l’Ifop pour Le Journal du Dimanche, Novembre 2018
[13] Rapport « Le regard des Français sur la mobilisation des automobilistes », Rapport de l’Ifop-Fiducial pour CNews et Sud Radio, Novembre 2018
[14] Luc Lenoir, « Carburants : les taxes ne sont presque pas affectées à la transition énergétique », Le Figaro, 12/11/2018
Plume Anonyme

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