KIP
King Kong's Hollywood
« King Kong's Hollywood », Création originale de Hugo Sallé pour KIP

Hollywood : studios tout-puissants

L’ingérence des studios dans les blockbusters, ou l’impasse du système Hollywoodien.

Hollywood. Ce lieu, ou plutôt le mythe qu’il incarne, ne laisse pas indifférent. Tantôt présenté comme une machine implacable qui broie les artistes au nom d’un profit tout puissant et d’une gloire éphémère, tantôt vu comme une formidable usine à rêves et à success-stories improbables. Par-delà cette opposition caricaturale, il est un phénomène qui nourrit les polémiques : l’ingérence excessive des studios dans le processus créatif, et plus particulièrement celui des blockbusters.

Cette ingérence est loin d’être récente. Elle remonte sans doute aussi loin que le système des studios, qui sont avant tout des entreprises soucieuses d’apporter un produit conforme à leur clientèle. Sorti en 1982 et élevé depuis au rang de film culte de la science-fiction, Blade Runner fait figure d’exemple. A la suite du retrait de la société de production Filmways pour cause de difficultés financières, la production n’eut d’autre choix que de trouver d’autres sources de financement. En position de faiblesse, elle fut forcée d’accepter une forte ingérence des studios sur le plan créatif. S’en suivirent le choix d’une voix off enregistrée par un Harrison Ford réticent, des remplacements des plans qui ne furent pas jugés assez grand public, ou encore une fin différente de celle prévue. Il fallut ainsi attendre 2007 et la sortie d’un final-cut pour découvrir la version du film voulue par Ridley Scott, son réalisateur.

Malgré cet exemple d’ingérence néfaste, le rôle des studios reste primordial dans cette industrie cinématographique. Certains films auraient très bien pu couler des entreprises entières à cause de choix impossibles de leur réalisateur. L’ambitieux Dune d’Alejandro Jodorowsky, qui prévoyait notamment au casting Orson Welles, Mick Jagger ou encore Salvador Dali, entre dans cette catégorie. Gouffre financier en puissance, il ne fut jamais réalisé. Dans ces cas-là, une intervention du studio devient nécessaire : la major se doit de limiter les excentricités du réalisateur à un niveau raisonnable. En absence de réactions, elle risque tout simplement de disparaître. Le cinéma hollywoodien regorge en effet d’exemples de faillites liées à un laisser-faire prononcé de la part des studios. La Porte du Paradis (1980) de Michael Cimino a coulé à lui tout seul le studio United Artists, qui était justement connu pour laisser une liberté artistique totale à ses réalisateurs – en témoigne la production de Vol au dessus d’un nid de coucou (1975), Rocky (1976) ou encore Raging Bull (1980), tous des classiques du cinéma Hollywoodien. Avec ce film, M. Cimino poussa son sens du détail à un niveau extravagant qui fit bondir le budget prévisionnel de 20 à 42 millions de dollars. Il bloqua par exemple la production pendant une journée entière pour attendre qu’un nuage apparaisse exactement au bon endroit pour un plan – sachant qu’une journée de tournage coûtait près de 220 000 dollars. La version du film, d’une durée de 3h40, résulte de la compression de plus de 200 heures de rushes tournés. L’échec monumental du film au box-office eut raison du studio, qui fut racheté par MGM. Ainsi, pour ce qui est des domaines logistiques et financiers, le studio doit avoir son mot à dire. Cependant, il n’en est pas de même lorsque l’on étudie cette thématique d’un point de vue créatif. Ce conflit a conduit aujourd’hui à un réel niveau d’absurdité dans le système de production des blockbusters.

Depuis plusieurs années, les spectateurs assistent à une nouvelle tradition estivale. Les plus gros studios tels que Warner Bros ou Disney sortent chaque été leur tent-pole. Leurs recettes de l’année reposent en grande partie sur les résultats au box-office de ces films. Ces blockbusters ont bien souvent un budget conséquent ainsi qu’une forte promotion, qui coûte presque aussi cher que le film lui-même. Transformers 4: Age of Extinction (2014) de Michael Bay a par exemple bénéficié d’un budget promotionnel de 100 millions de dollars rien qu’en Amérique du Nord. À titre de comparaison, c’est le budget moyen nécessaire pour la production d’un film par une major hollywoodienne, coût marketing inclus [1]. À cet égard, le studio attend un retour sur investissement certain. Ce besoin de certitude est d’autant plus grand que ces dernières décennies, le budget de ces productions a grimpé à une vitesse exponentielle. Parallèlement, les recettes issues des diffusions ont augmenté bien plus lentement. Aussi les sociétés de productions assument-elles désormais un risque encore plus élevé qu’auparavant. Survient alors un conflit d’intérêts avec le réalisateur : la production va vouloir que son film plaise à un maximum de personnes et dégage un profit maximal. Elle se met donc à interférer dans le processus créatif afin d’aboutir à un produit lisse et consensuel. Cette conception de l’industrie cinématographique grand public est terrible car elle balaie les choix audacieux ou les risques qu’aurait pu prendre le réalisateur. Aussi obtient-on souvent des films sans personnalité que l’on oublie aussitôt sortis de la salle de projection, à l’instar de Battleship (2012), dont les effets spéciaux – certes spectaculaires – ne permettent pas de rattraper l’insipidité de l’intrigue.

La sortie de films voués à l’oubli n’est cependant pas le cas le plus critique. Parfois, le studio interfère tellement que l’on obtient des films sans queue ni tête, au montage absurde, ou truffés d’incohérences sur le plan scénaristique. Ces dernières sont souvent le résultat du re-tournage de certaines scènes, une partie du montage ayant été jugée trop peu grand public. Un exemple frappant de cette catégorie est Suicide Squad (2016). Le film, censé raconter les aventures de villains iconiques, semble rapiécé de toute part. Ce rendu s’explique très simplement : le réalisateur et le studio n’ayant pas la même idée du film, Warner Bros demanda à Trailer Park, entreprise habituée à concevoir des bandes-annonces pour les productions du studio, de monter une seconde version du film. La major avait déjà annoncé un date de sortie. Un retard représentant des coûts exorbitants pour un studio, le réalisateur David Ayer n’eut que six semaines pour écrire le film. Le résultat final n’est ni plus ni moins qu’une bande-annonce de deux heures, sorte de créature hybride ou de clone raté de ce que le film aurait pu être. Le Fantastic Four de 2015 s’inscrit dans cette lignée. Lui aussi détruit au montage, il est totalement désavoué par son réalisateur Josh Trank. Après avoir critiqué son œuvre, ce dernier ne retrouvera plus jamais de travail à Hollywood.

Le cas de Suicide Squad pourrait être sans incidence. Un flop au box-office suffirait pour que le studio prenne conscience de la nécessité de changer ses méthodes. Certains de ces films, bien que de qualité plus que discutable, ont été pourtant rentables, même si les bénéfices sont sans doute inférieurs à ce que les studios espéraient. Suicide Squad a rapporté 570 millions de dollars de bénéfices. Nous voici donc dans une situation ubuesque, qui est extrêmement problématique d’un point de vue artistique : ces films constituent pour les patrons de ces studios un investissement réussi. Avant de devenir CEO de la Warner, Kevin Tsujihara travaillait dans la division de l’entreprise visant à protéger les intérêts dans les parcs d’attractions et dans l’unité de home entertainment. Il ne s’est donc jamais réellement intéressé directement à la production de films. Ses décisions se fondent ainsi principalement sur les chiffres de l’entreprise uniquement, ce qui n’est pas sans poser problème.

La question des raisons pour lesquelles ces films ont rapporté de l’argent peut être débattue. Il n’en reste pas moins que nous semblons désormais dans une impasse. En sortir pourrait se révéler douloureux pour un studio, car cela consisterait à accepter que le budget non rentabilisé d’un de ses tent-pole fasse accuser des pertes colossales à l’entreprise. Disney en a fait l’expérience avec les pertes conséquentes enregistrées sur des films comme John Carter (2012) ou encore The Lone Ranger (2013), qui n’ont pas laissé une empreinte indélébile dans la mémoire des spectateurs. L’entreprise se rattrape avec son univers Marvel, qui accouche de films certes lisses, mais néanmoins relativement cohérents et divertissants. Quatre d’entre eux figurent parmi les 15 plus gros succès au box-office mondial hors inflation [2].

Ce mode de fonctionnement du système semble donc parti pour durer, même si des réalisateurs comme Christopher Nolan apportent un peu d’espoir en réussissant à imposer leur vision personnelle sur des films estivaux à très gros budget. Des productions comme The Dark Knight (2008) ou plus récemment Dunkerque (2017) sont tous sortis au cours de la période estivale mais sont imprégnés de la patte du réalisateur, avec une manière de filmer « réaliste » et des effets spéciaux conventionnels, à l’opposé des effets numériques désormais omniprésents dans des œuvres comme Batman v Superman (2016).

Illustration : Montage inspiré de King Kong (2005), Création originale de Hugo Sallé pour KIP

Sources et renvois

[1] Selon la Movie Picture Association of America.
[2] Avengers (5e), Avengers : L’Ère d’Ultron (7e), Iron Man 3 (12e) et Captain America : Civil War (14e).
Lukas Huberty

Lukas Huberty

Étudiant français en Master in Management (H2021) à HEC Paris.
Contributeur régulier.

French student in Master in Management (H2021) at HEC Paris.
Regular contributor.