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Splendeurs et misères du scrutin proportionnel

Une campagne, et tout spécialement une campagne présidentielle, est émaillée de déclarations publiques plus ou moins heureuses. Confessions, gaffes ou aveux démentis par la suite sont monnaie courante pour les candidats. Et ce risque n’a pas épargné le président-candidat, pourtant favori à sa réélection. Le 13 avril 2022, lors d’une interview, M. Macron se déclare favorable à une « proportionnelle intégrale » pour les élections législatives. Malgré un rapide rétropédalage de son équipe de campagne, précisant que le programme de réélection de M. Macron ne prévoit qu’une part de proportionnelle dans l’élection des députés de la nation, le Président de la République a ouvert un débat de premier plan autour de la question de la désignation de nos élus. Pourtant, ce mode de scrutin, éprouvé dans nombre de pays européens, est loin d’être idéal, et pourrait représenter une menace pour la stabilité démocratique du pays.

Question de représentativité

L’une des caractéristiques du scrutin actuel, qui repose sur une série d’élections locales et à deux tours, est qu’il l’extrême droite comme la gauche radicale incarnée, désormais, par la Nouvelle Union Populaire. Dans une grande partie des cas, lorsqu’un candidat investi par un parti d’extrême droite comme le Front national se qualifie pour le second tour, il est battu par son concurrent qui bénéficie du report des voix de l’ensemble des autres partis dits « modérés ». Un exemple emblématique de cette situation a été observé dans la troisième circonscription des Pyrénées-Orientales, en 2017. Lors du premier tour, Mme Laurence Gayte, investie par La République en Marche est arrivée en tête, avec 22,7 % des suffrages exprimés, suivie de près par Mme Sandrine Dogor, candidate du Front national, totalisant 19,3 % des voix. Du fait du report des voix du Parti socialiste ou des Républicains, l’écart s’est creusé lors du second tour : Mme Gayte a remporté l’élection, totalisant quasiment 60 % des suffrages !1https://www2.assemblee-nationale.fr/elections/circonscription/2017/resultats/66/03

Plus généralement, le Front national a obtenu, aux élections législatives de 2017, 21,5 % des voix cumulées des Français. Un score qui place la formation nationaliste en deuxième position derrière le parti présidentiel. Cependant, le parti ne récolte que 8 sièges sur les 577 que compte l’hémicycle du Palais-Bourbon. De quoi donner du grain à moudre à la cheffe de file de ce parti populiste, Mme Le Pen, qui remet en question la représentativité de cette élection, donc du Parlement de la nation. 

Il n’est donc pas étonnant de lire, dans le programme présidentiel du Rassemblement national en 2022, le projet d’instaurer un scrutin proportionnel pour les législatives. Il s’agit là de l’un des seuls points qui mette Mme Le Pen d’accord avec le Président sortant et fraîchement réélu. 

De l’autre côté de l’échiquier du second tour des présidentielles, cette situation favorise indubitablement l’exécutif, qui a bénéficié, de 2017 à 2022, de la plus large majorité de la Ve République. Aux 306 sièges conquis par La République en Marche s’ajoutent notamment les 42 obtenus par le Mouvement Démocrate de M. Bayrou, allié du Président de la République depuis la campagne de 2017. L’Assemblée nationale devient donc, selon les contempteurs du système, une simple « chambre d’enregistrement » qui n’est capable que d’avaliser les décisions qui émanent d’un gouvernement tout-puissant. Le paroxysme du régime présidentiel gaullien, renforçant le caractère « jupitérien » souvent opposé à M. Macron. 

Question de légitimité

En ce sens, le mode de scrutin proportionnel apparaît comme le plus sensé pour résoudre cette question de représentativité. Pour autant, l’élection par circonscriptions a l’avantage d’ancrer les représentants de la nation dans des territoires, et de faire avancer les dossiers locaux au sommet de l’Etat. Un processus décentralisateur avant l’heure, en somme. Les députés partagent alors leur temps entre tâches législatives au Palais-Bourbon et actions auprès de leurs administrés, en circonscriptions. 

La légitimité électorale de nos députés ne fait donc pas débat dans ce statu quo : chacun des électeurs, où qu’il se trouve, a voté pour un homme ou une femme avant de voter pour un parti ou une liste. C’est alors qu’une question difficile à résoudre apparaît : dans l’hypothèse d’un scrutin mixte, local pour une part et proportionnel pour une autre, les députés bénéficieraient-ils d’une légitimité égale ? Les députés élus à la proportionnelle tireraient leur légitimité de la puissance de leur parti au plan national, tandis que les députés élus dans leur circonscription mettraient en avant leur ancrage local. Un scrutin mixte pourrait donc aboutir à une confrontation transpartisane des députés, opposés non pas par leurs idées politiques, mais par le mode de leur élection. Un chantier supplémentaire dans une société déjà suffisamment fracturée.

Il faudrait alors choisir entre deux modes de scrutin, de manière absolue et intégrale. Et ce, sûrement par référendum du fait de la nécessité de modifier la Constitution, ce qui aurait pour conséquence de fracturer une nouvelle fois le pays. Par ailleurs, comment satisfaire le camp des perdants ? Si le scrutin local est choisi, quelle légitimité auraient les députés élus dans les circonscriptions qui auraient majoritairement voté pour le scrutin proportionnel ? 

La question de la légitimité est donc inhérente au débat sur le scrutin législatif, et ne doit pas être sous-estimée, au risque d’accentuer  les clivages toujours plus marqués parmi les Français.

Question de stabilité

Il faut ensuite comparer notre système actuel à celui de nos voisins européens. En Allemagne, le Bundestag2Parlement fédéral allemand est intégralement élu au scrutin proportionnel. Les élections fédérales de 2022 ont attribué 206 sièges au SPD3Parti socio-démocrate allemand (gauche républicaine) contre 197 pour la CDU/CSU4Union chrétienne démocrate allemande (centre-droit européiste) et 118 pour les Verts5https://www.bundestag.de/fr/parlement/pleniere/repartition/20ebundestag-245992. Aucun parti n’a obtenu le seuil de 369 sièges nécessaires à la majorité absolue. Les partis du pays doivent donc former des coalitions, alliances de gouvernement entre partis pour obtenir une majorité. Le pays est actuellement gouverné par le chef de file du SPD, M. Olaf Scholz, qui dirige une coalition rassemblant les Socio-démocrates, les Libéraux du FDP et les Verts. Cette culture du consensus nécessite des concessions dans les programmes respectifs des partis de gouvernement. Ce mode de scrutin a donc deux conséquences sur la démocratie allemande : d’une part, le parti vainqueur des élections, soit celui ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au Bundestag, n’est pas assuré de faire partie du gouvernement. D’autre part, le programme sur lequel les électeurs fondent leur choix n’est jamais appliqué du fait des concessions nécessaires pour former une coalition. 

Par ailleurs, l’expérience de la IIIe et de la IVe Républiques françaises a témoigné des limites d’un régime parlementaire. Du fait de la fréquence des dissolutions et des revirements d’alliances, l’instabilité gouvernementale était permanente : en seulement onze ans, la IVe République (1947-1958) a connu 24 gouvernements différents. Cette instabilité, qui peut redevenir la norme en cas d’adoption du scrutin proportionnel intégral, ne peut qu’aggraver la défiance de la population envers la politique. En effet, les coalitions gouvernementales forment un terrain particulièrement propice à la conquête du pouvoir par l’intrigue politique. L’ambition primerait sur la volonté de servir le pays, ce qui le rendrait difficilement gouvernable. Ce fut d’ailleurs dans le but de pallier ces excès que le projet de Ve République présenté par le Général De Gaulle fut adopté par les Français. 

Un passage du scrutin législatif à la proportionnelle pourrait alors représenter un retour en arrière démocratique, plaçant le pays en proie aux maux et excès précités. 

Question constitutionnelle ?

Si le projet de scrutin proportionnel apparaît éminemment discutable, il répond à une incohérence démocratique : la toute-puissance du pouvoir exécutif et le dysfonctionnement du contre-pouvoir que devrait représenter l’Assemblée nationale. Beaucoup vilipendent la « monarchie » présidentielle inhérente à la Constitution gaullienne et à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. 

Le débat relatif à l’élection de nos députés ne constitue-t-il pas alors un déplacement du problème ? La défiance croissante de nos concitoyens vis-à-vis du pouvoir politique ne procède-t-elle pas de la fonction même de Président de la République et de son hégémonie sur la vie politique du pays ? Ces questions sont posées depuis des années par le candidat de l’Union populaire, M. Mélenchon. Un but : en finir avec le régime présidentiel. Un projet : le passage à une sixième République. Un moyen : la formation d’une assemblée constituante6https://melenchon2022.fr/programme/. Et c’est d’ailleurs dans le fonctionnement de la cinquième République que M. Mélenchon trouve la cause de son échec : le deuxième tour de l’élection présidentielle de 2022 ne représente qu’un tiers des inscrits sur les listes électorales7Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 17,9 M d’électeurs se sont prononcés pour l’un des deux finalistes du scrutin pour un total de 48,7 M d’inscrits.. Plutôt que de chercher un déficit de légitimité et de représentativité dans le mode d’élection des députés de la nation, il faut s’interroger sur la nature, la fonction et le mode d’élection du Président de la République. 

Aujourd’hui, l’action d’un Président de la République est en grande partie dictée par sa cote de popularité, calculée par les instituts de sondage. Or, ces indicateurs se font de plus en plus bas, négligeables lorsque l’on s’imagine que le Président de la République doit être soutenu par une majorité d’électeurs. Les périodes d’état de grâce, consécutives à l’élection des Présidents, sont de plus en plus courtes, voire inexistantes. La cote de popularité du Président Macron a fluctué, au cours de son mandat, entre 23 % et 45 %, des scores peu satisfaisants, mais bien plus hauts que ceux obtenus par M. Hollande à la même place. Le costume de Président serait alors trop grand pour nos hommes et femmes politiques. Trop centralisateur et, finalement, inadapté à la structure démocratique et sociale du pays, ce poste apparaît de plus en plus anachronique.

Plus grave, pour finir : les 7,7 millions d’électeurs de M. Mélenchon en 2022 ont sciemment voté pour la fin de la cinquième République et du régime présidentiel. Et ce, malgré le cri au “vote utile” qu’opposent les réfractaires au changement constitutionnel à M. Mélenchon. Comment M. Macron, certes fraîchement reconduit, peut-il conserver une légitimité suffisante devant cette part non négligeable de la population ? Une question difficile à trancher, qui peut mener à une conclusion : plutôt que de redéfinir le rôle et le mode de scrutin du Parlement, un débat doit être lancé pour une nouvelle constitution, plus en phase avec les aspirations actuelles du peuple français.

Illustré par Victor Pauvert

Victor Pauvert

Victor Pauvert

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Vice-président et rédacteur en chef de KIP, interviewer et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's vice-president and editor-in-chief, interviewer and regular contributor.