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Illustration par Adrien Martin pour KIP.
Illustration par Adrien Martin pour KIP.

Fonds de relance européen (1/2): un coup d’épée dans l’eau?

“L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises”, affirmait Jean Monnet dans ses Mémoires. Cette citation résume parfaitement la dynamique de la construction européenne, qui s’est toujours déchirée entre errements et avancées décisives pour son avenir et sa prospérité. En effet, si l’on s’arrête aux 30 dernières années, on constate que l’intégration économique et monétaire croissante, liée à une volonté d’intégration interne au bloc mais surtout aux vents alors porteurs de la mondialisation, a généré (et a permis de résoudre par la suite) des crises liées à l’incomplétude des nouvelles mesures. On peut bien évidemment penser aux nouveaux mécanismes et institutions comme la BCE, le MSF ou encore le FESF qui ont égrené la construction européenne. Ces derniers, créés pour résoudre des crises, ont eux-mêmes été à la source de nouvelles crises par la suite  comme celles du SME, de 2008 ou encore des dettes souveraines pour ne citer que les plus retentissantes d’entre elles. 

La crise sans précédent par sa magnitude consécutive à la pandémie du coronavirus a réactivé un débat concernant la création d’un vrai budget fédéral commun qui permettrait enfin à l’UE de devenir une vraie puissance politique à même de compenser les écarts de développement et les chocs asymétriques qui touchent certaines régions ou secteurs économiques. Le fonds européen de relance NGEU (Next generation European Union), financé à hauteur de 750 milliards sur la période 2021-2027, semble un premier pas vers la création d’un budget européen intégré qui pourrait enfin avoir un puissant rôle contracyclique durant les prochaines tempêtes que ne manquera pas d’affronter notre chétive zone économique. À ce titre, on peut remarquer que jusque-là le budget de l’UE représentait à peine 1% du PIB européen quand le budget fédéral américain représente en moyenne 15 % du PIB du pays, ce qui donnait jusque lors à ce dernier une puissance de feu autrement supérieure  comme la crise de 2008 nous l’avait par exemple montré avec force. La somme des plans européens de relance faisait alors bien pâle figure en comparaison avec un plan Obama financé à hauteur de 787 milliards de dollars.

Au-delà des effets d’annonce et des montants souvent spectaculaires, il me paraît nécessaire d’aller plus en profondeur afin d’analyser quels sont les ressorts de ce plan et quels en sont les effets potentiels à moyen et long terme tant pour l’économie que pour l’avenir de l’intégration européenne.

Au premier abord, le plan de relance européen paraît un plan ambitieux qui serait à même de résoudre des problèmes beaucoup plus profonds que ceux posés par la crise du coronavirus, qui on l’espère devrait rester un problème conjoncturel. Il s’agit pour chacun des protagonistes de laisser une trace aussi profonde que possible dans l’histoire de la construction européenne. En effet, il semble que ce plan financé à hauteur de 750 milliards d’euros serve aussi les objectifs de relance d’un couple franco-allemand complètement en panne ces dernières années. Angela Merkel a accepté et même porté un plan qui, il y a encore quelques mois, aurait créé une levée de bouclier massif dans son parti très certainement pour enfin faire croire qu’elle est une européiste convaincue, ce dont on pouvait encore douter1Se référer par exemple à sa réaction à la main tendue par Emmanuel Macron en 2017 après son discours d’Aix-la-Chapelle.. Au-delà de la défense des simples intérêts personnels du personnel politique européen, il semble néanmoins qu’il y ait eu une prise de conscience forte des deux côtés du Rhin qu’il est désormais nécessaire de panser les plaies créées par la mondialisation et la financiarisation, parfois excessives et sans contreparties, de nos économies. Ainsi, les objectifs du plan, au-delà de la simple sauvegarde des économies sont également de réduire des écarts de développement qui se sont considérablement accrus avec l’intégration des économies pour par exemple limiter l’exil des forces vives des pays les plus touchés par la crise ou encore pour limiter la montée des populismes. Comment oublier l’exil massif de plusieurs dizaines de milliers de jeunes Grecs, en 2011? Même si certains programmes européens existent pour pallier ces problématiques à l’instar du FEDER, ces derniers restaient jusque lors de faible envergure ce qui ne sera dorénavant plus le cas avec le renforcement massif de leurs moyens.

On remarque également qu’avec un volet développement durable ambitieux, l’Union se dote enfin des moyens de respecter les objectifs poussés sans succès par l’agenda de Lisbonne puis par la stratégie Europe 2020 ; en témoigne l’intervention de Ursula von der Leyen dans lequel elle met en avant que « près de 30% du plan de relance sera dépensée vers des projets liée au climat, à la recherche et à l’intelligence artificielle. » Ainsi L’UE a fini par prendre en compte l’existence et le nécessaire développement de biens publics « régionaux » dans lesquels aucun État de l’Union n’aurait décidé d’investir seul comme par exemple la préservation du climat ou encore la souveraineté industrielle, ce qui n’est pas trop tôt pour une zone économique qui a finalement pris le parti de s’affirmer comme une grande puissance. L’UE déploie enfin les grands moyens afin d’effectuer sa mue énergétique et enfin sortir des grandes incantations pour devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale »2Ouverture du rapport concernant la stratégie de Lisbonne, 2000..

De nombreux observateurs ont noté, dans l’ensemble avec raison, que nous aurions à faire à un « moment hamiltonien » pour l’UE, c’est-à-dire une période pendant laquelle les différents  pays de l’UE à l’instar des 13 États américains en 1790 décident de s’unir autour d’un budget commun avec tous les outils que cela requiert, c’est-à-dire l’émission d’une dette commune et garantie par tous les États membres. Si on creuse un peu plus dans les détails , cette affirmation est dans l’absolue vraie et porteuse de sens. Cette crise, qui a doté l’UE d’une surface financière nouvelle, l’engage désormais à trouver de nouvelles sources de financement en commun et ce dans un laps de temps très réduit. Cette pression herculéenne mise sur la Commission, qui d’ici 7 ans devra commencer à rembourser les fonds empruntés, va enfin pousser les États à décider quelles options stratégiques concernant le budget doivent être mises sur la table. La taxe sur les transactions financières, plus communément appelée « taxe Tobin », pourrait voir sa mise en place accélérée pour faire face au remboursement de la dette après des années d’atermoiements et de dissensions entre les pays favorables à une régulation du trading haute fréquence et ceux souhaitant à tout prix préserver leur places financières3À l’image de l’Allemagne, dont la place de Francfort sort grande gagnante du Brexit.. La Commission, avec raison, songe également à la mise en place d’autres outils comme par exemple une taxe sur le plastique ou encore sur les produits importés polluants. Une vraie convergence des intérêts va peut-être enfin naître, ce qui ne peut qu’enjoindre à de l’optimisme concernant la capacité de l’UE à faire face au défi climatique, économique et social.

Créer un budget commun est, au contraire du bonheur si on veut copier sans vergogne Saint-Just, loin d’être une idée neuve en Europe. En effet, le visionnaire rapport Werner, commandé à l’occasion du sommet de la Haye en 1969, expliquait que pour qu’une future zone monétaire entre les États membres soit efficace, il était indispensable que soit mis en place un budget commun afin de lisser les chocs macro-économiques entre les États. Bien plus récemment, fin septembre 2019, Mario Draghi, ancien gouverneur de la BCE expliquait au Financial Times que “la politique monétaire peut faire son travail, mais qu’en l’absence d’une capacité de stabilisation, elle le fera plus lentement et avec plus d’effets secondaires”. Dans tous les cas, on remarque que ce plan est un premier pas  pour enfin sortir de notre situation “d’Europe sans souverain” si on reprend  l’expression façonnée par Fitoussi dans son ouvrage Le théorème du lampadaire (2009). En effet, une zone monétaire qui ne possède pas une capacité financière suffisante pour lisser les chocs macro-économiques souvent asymétriques auxquels ses membres sont confrontés de manière récurrente est condamnée à leur faire subir à des dévaluations internes douloureuses, l’outil du taux de change ne pouvant plus être mobilisé pour réajuster les différentiels de compétitivité qui peuvent se créer. Ainsi, avoir un budget commun de taille suffisante permet d’allouer des ressources des pays épargnés vers les pays les plus touchés par la crise afin d’éviter que ces derniers ne voient leur potentiel de croissance durablement baisser comme on a pu le constater après une crise des dettes souveraines qui après 2011 avait contraint des pays comme la Grèce ou encore l’Espagne à effectuer de douloureux ajustements. Si on cherche plus loin, on constatera même qu’un budget commun est à même d’éviter aux pays d’entrer dans un cercle vicieux des dévaluations compétitives de la mise en concurrence fiscale qui finit par entretenir un mécanisme de d’austérité généralisée, ce dernier s’auto-renforçant si tout le monde en fait de même. Un budget commun permet en somme de se sortir confinant à une situation de dilemme du prisonnier, où s’il est a priori efficace de mener cette politique individuellement, cela ne devient plus le cas si chaque pays en fait de même.

Il est également à noter que ce plan fait la part belle au développement des zones les plus touchées par l’impact de la mondialisation. En effet, si l’on suit la logique développée par Paul Krugman en 1990 dans Increasing returns and Economic geography, on constate qu’au sein d’une zone économique régionale se créent des effets d’agglomération qui poussent à la concentration des activités économiques vers certains territoires particuliers et laissent en marge d’autres territoires. Ces derniers peuvent connaître une désindustrialisation et une fuite des activités vers ces nouveaux clusters dans lesquels les entreprises pourront connaître des rendements croissants et donc devenir plus compétitives. Si ce phénomène peut paraître économiquement efficace, il laisse pourtant sur le bas-côté de nombreux territoires et personnes qui auront le plus grand mal à se déplacer vers ces nouvelles zones dynamiques4À cet effet, on remarquera que le cas de l’UE est assez particulier si on le compare à celui des États-Unis car on y observe une mobilité des personnes qui y est bien plus faible, très certainement pour des raisons linguistiques ou encore culturelles..

Quoi qu’il en soit, ce plan semble enfin prendre à bras le corps la problématique des inégalités territoriales, qui jusque là n’a engendré que de la colère. Un sentiment profond d’injustice qui ne peut que faire le lit des populismes…

Cet article fait partie d’un diptyque sur le plan de relance européen, publié en octobre 2020. N’hésitez pas à consulter, du même auteur, Fonds de relance européen (2/2): une réelle avancée?, accessible sur le site de KIP.

Marc-André Buquet

Marc-André Buquet

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Member of KIP and regular contributor.