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Quand l’arc en ciel a grise mine

On a tous frémi devant les 5 banderilles plantées par le champion du monde en titre sur ce tracé flamand aux allures de classique ! On a tous savouré son envolée longue de 18 kilomètres à travers une foule hostile acquise à la cause du local Wout Van Aert. On s’est tous emporté devant le raid solitaire du porte étendard du cyclisme français ponctué par une deuxième victoire consécutive dans la course de ses rêves. Mais malgré l’ivresse du succès et l’euphorie contagieuse véhiculées par cet exploit retentissant, la reconquête victorieuse de l’arc en ciel n’en demeure pas moins un cadeau empoisonné pour Julian Alaphilippe. 

Le principal intéressé est lassé

Presque un an jour pour jour après ses larmes de joie au moment où il enfilait le maillot de champion du monde pour la toute première fois lors des mondiaux d’Imola le 27 septembre 2020, on retrouvait lors de cette édition 2021 un champion aux traits marqués, usé physiquement mais surtout pressé d’abandonner sa tunique pourtant si convoitée. De son propre aveu « perdre le maillot serait plus un soulagement qu’une déception » comme il le déclarait dans les colonnes de l’Equipe la semaine précédant l’échéance. Le contraste est saisissant, le constat est accablant : si la plus prestigieuse des tuniques colle à la peau de Julian Alaphilippe, ce dernier n’en voulait plus vraiment …

Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette lassitude exprimée par son détenteur n’a rien d’extravagante. Elle ne fait au contraire que révéler le poids des responsabilités inhérentes à son nouveau statut, responsabilités qui semblaient échapper jusque-là à ce coureur si désinvolte sur le vélo comme en dehors. Mais face à des sollicitations démultipliées, à des critiques acérées formulées à son encontre à la moindre contre-performance et à une pression de tous les instants, Julian Alaphilippe n’a pas échappé aux désagréments que peut réserver le maillot irisé.

Cet encombrant privilège a donc fini par lasser son propriétaire pourtant d’ordinaire si pétillant, lui ôtant progressivement son insouciance au profit d’une fatigue psychologique de plus en plus palpable à mesure que la saison s’écoulait. Ce phénomène n’est pas sans nous rappeler le désarroi exprimé par le triple champion du monde Peter Sagan, dernier coureur en date avant le français à avoir conservé son titre aux mondiaux, qui trainait un spleen de moins en moins dissimulé à mesure que son règne de champion du monde s’étendait. Cette victoire en Belgique contrarie ainsi les perspectives d’un coureur déjà entamé par son dernier sacre et qui risque de ne pas supporter une année de plus sous le feu des projecteurs. 

Les attentes sont démesurées

Si Julian Alaphilippe cristallise l’attention depuis son plus jeune âge en raison de performances de premier plan, les attentes que génère ce second sacre surpassent toutes les précédentes. Invité par France-Inter dans la foulée de sa victoire, les journalistes n’ont pas manqué de le lui rappeler en formulant une question désormais sur toutes les lèvres : est-il capable de remporter le tour de France ? Mais c’est précisément là que se situe le revers de la médaille pour le néo double champion du monde ! Non il n’a jamais été un coureur de grand tour, et ce malgré une édition 2019 où il a su déjouer tous les pronostics, et ne le sera vraisemblablement jamais.

Cette nouvelle année en arc-en-ciel et les attentes fantaisistes qu’elle engendre vont ainsi perturber sa préparation mais aussi sa définition d’objectifs. Il risque donc de renier ses qualités de puncheur pour céder à la pression collective et satisfaire des attentes décorrélées de ses possibilités. La saison qui vient de s’écouler n’a fait que renforcer ce constat : ses succès à la Flèche Wallonne, lors de la première étape du Tour de France et aux mondiaux ont tous été acquis sur des reliefs vallonnés sur lesquels il excelle, loin des longs cols auxquels la tunique irisée menace de le cantonner.  

Alors qu’il avait réussi à progressivement gommer les erreurs tactiques et les efforts superflus pour lesquels il était décrié à juste titre au début de sa carrière, l’arc en ciel a fait retomber Julian Alaphilippe dans ses travers. Moins d’une semaine après son titre à Imola, on croyait voir un junior lorsqu’il se faisait déclasser de Liège-Bastogne-Liège après avoir mené un sprint dangereux ponctué par une célébration avant la ligne d’arrivée alors qu’il se faisait dépasser par Primož Roglič … Rebelotte une semaine plus tard lors de la Flèche brabançonne lorsqu’il commettait la même erreur, cette fois-ci sans conséquence, alors même qu’il assurait avoir compris la leçon au micro de Laurent Jalabert. Ce maillot serait-il trop difficile à supporter pour Julian Alaphilippe ? Ses prestations tout au long de la saison ont donné du crédit à cette hypothèse tant sa volonté de faire honneur à cette tunique s’est matérialisée en course par des efforts trop nombreux bien souvent préjudiciables dans l’emballage final. Ce style de course offensif lui a finalement souri à Louvain mais son bilan en fin de saison prochaine risque de pâtir de ce succès manifestement difficile à gérer.

La concurrence féroce en profite

Alors que les préoccupations médiatiques et sportives se concentrent naturellement sur le nouveau champion du monde, une telle polarisation occulte ses concurrents qui sont pourtant de taille. Au-delà des interrogations que suscite ce succès sur les performances futures de Julian Alaphilippe, son sacre profite indubitablement aux autres prétendants des classiques que le natif de Saint-Amand-Montrond affectionne. Revêtir le maillot de champion du monde va en effet contraindre le français à assumer le poids de la course alors que ses adversaires pourront en profiter pour se faire plus discrets. Parallèlement à cette tâche qui lui incombera, son maillot distinctif le condamne à un marquage sclérosant de la part du reste du peloton qui pourrait lui empêcher de reproduire les raids solitaires dont il a le secret. 

C’est pourquoi Julian Alaphilippe subira des déconvenues du fait de son quotidien arc en ciel alors que Wout Van Aert, Mathieu Van Der Poel, Sonny Colbrelli ou encore Tom Pidcock jouiront d’un avantage indiscutable à demeurer dans l’ombre. Alors que le français semblait bien le plus fort sur les courses d’un jour ces dernières saisons, l’émergence d’adversaires de plus en plus affutés combinée au poids du maillot de champion du monde lui complique sérieusement la tâche dans sa quête de Liège-Bastogne-Liège, monument qui lui échappe toujours. A peine conquis, l’arc en ciel promet déjà d’être bien pâle …

Mais n’est-ce pas dans l’adversité que Julian Alaphilippe a construit son palmarès ? N’est-ce pas l’occasion pour lui de définitivement marquer l’histoire de son sport ? A 29 ans, le cycliste français est face à un challenge immense, le genre de défi qui le transcende. Il détient désormais à lui seul de donner tort à ses détracteurs comme il s’est appliqué de le faire à Louvain afin de montrer qu’il a bien les épaules pour son briller lors de son second règne arc en ciel, et pourquoi pas d’imiter la performance de Peter Sagan en allant chercher une troisième couronne consécutive en septembre prochain en Australie. D’ici là, s’il veut redonner des couleurs à un cyclisme français moribond, il lui faudra trouver une motivation quelque part au-dessus de l’arc en ciel.

Clément Labarrere

Clément Labarrere

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Member of KIP and regular contributor.