KIP

Peut-on se fier à nos alliés ?

La crise des sous-marins, exemple de trahison significatif

Le réveil est difficile, très difficile même pour les français en ce 15 septembre 2021 et l’annonce conjointe des américains et des australiens de leur accord sur les sous-marins, annonce qui rend obsolète le contrat de 68 milliards de dollars signé en 2016 par la France et qui nous fut alors présenté comme « le contrat du siècle ». 

Moins d’une année après l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, les espoirs de renouveau d’une alliance fondée sur l’amitié, le respect et la confiance ont été balayés brusquement. Alors qu’on espérait que le Président Biden, d’origine irlandaise, permettrait la renaissance des relations entre l’Europe et les Etats Unis mises à mal par Donald Trump, c’est tout le contraire qui vient de se produire. Rapidement passé d’homme providentiel à personne peu fréquentable, celui-ci est décrit pat  le ministre français des affaires étrangères « comme Trump mais sans les tweets ». 

L’ardent désir d’un contrat juteux et de freiner les ambitions de la Chine auront donc eu raison des amitiés américaines envers la France. En bref, l’argent et la puissance ont triomphé de l’amitié et de la coopération. Une histoire commune ou des valeurs partagées ne semblent pas être des éléments suffisants pour créer un lien qui puisse résister aux aléas, qu’ils soient économiques ou stratégiques. Si des personnes  continuent parfois de s’aider ou de s’aimer en dépit de situations ayant radicalement changé, il ne semble pas que cela soit le cas entre Etats. 

L’amitié ou la coopération entre pays ne semblent donc être fondées que sur l’utilité réciproque.  Celle-ci fonctionne et permet bien d’établir des relations, mais elles ne sont ni apaisées ni durables. Un autre exemple très actuel esquisse malheureusement cela : la répartition des vaccins dans le monde. Face aux difficultés, les pays disposant des précieuses doses ont absolument laissé tomber ceux qui n’en avaient pas en dépit des « bonnes relations » que ces pays pouvaient entretenir, à les écouter du moins. J’espère et je crois que face à un tel danger, chacun de nous n’aurait pas laissé tomber ses amis de cette façon. 

L’amitié entre pays n’est qu’une illusion 

Comment peut-on alors  savoir que l’on pourra compter sur un allié au-delà du moment où nous lui sommes utiles ? Je crois qu’on ne le peut pas. Car, il est certain que les équilibres ayant changé, un pays n’aura pas besoin de ses alliés de la même manière dans le futur. Et ceci est d’autant plus vrai si les deux pays n’ont pas la même puissance financière, économique ou encore militaire. 

Car, peut-il y avoir une amitié si une telle distorsion existe? L’amitié, nous dit Aristote, ne peut exister que s’il y a égalité, autrement, nous risquerions de finir comme ce pauvre pot de terre, fracassé par le pot de fer, d’abord son ami… Or, entre Etats, l’égalité est rare tant les distorsions sont fortes, qui plus est quand on désire se rapprocher des Etats-Unis alors qu’on est un pays d’à peine  67 millions d’habitants…La France ne peut espérer être traitée en égale par un pays beaucoup plus riche, beaucoup plus puissant et qui se passerait bien plus facilement d’elle que l’inverse. C’est là souvent le drame des relations entre pays : elles se font sur un fond de domination : France-Afrique, blocs de l’Est pendant la guerre froide, ou encore le Commonwealth.

De plus, et cela est sans doute de notre responsabilité, nous semblons attendre des Etats la même chose que ce que nous attendons de personnes qui nous sont proches : fidélité, loyauté, équité par exemple. Or, les rapports entre pays sont davantage impersonnels. Il s’agit surtout d’entités, d’institutions mais non de personnes. Ces institutions sont parfois brièvement incarnées par des hommes et femmes d’Etat, mais cela ne suffit pas à leur insuffler un souffle d’humanité, si petit soit-il : ils restent froids. Ceux qui en sont à la tête ont beaucoup à faire et semblent donc incapables de désintéressement dans leurs fonctions. Les pays recherchent l’utilité, il ne sont pas animés par des valeurs morales. Ou, du moins, si des valeurs morales sont importantes pour un pays, elles passent bien souvent au second plan même si elles sont fièrement affichées. Aucun pays n’a jamais consacré son existence à d’autres alors que bien des hommes l’ont fait, le font et continueront de le faire dans le futur. 

La fin de l’espoir d’une entraide ? 

Mais que reste-il alors pour ceux qui ont envie de croire, comme moi, qu’il n’y a pas que cela qui compte ? Suis-je naïf, voire inconsistant si je dis, comme Emmanuel Macron et Jean-Yves le Drian que les Etats-Unis n’auraient pas dû se comporter ainsi ? 

Bien que conscients de l’existence de cette loi du plus fort, nous continuons sans cesse d’espérer davantage. Nous voulons et faisons tout pour croire (cérémonie, réceptions officielles, discours en commun) que les relations entre les pays excèdent le lien commercial et le rapport de force. Mais ce n’est pas le cas. Bien sûr que nous pourrions vouloir que cela se passe d’une manière absolument différente. Mais les choses étant ce qu’elles sont, passer son temps à se scandaliser ne semble ni très fructueux ni très utile. Pourtant cet espoir reste toujours présent, ne nous quitte jamais et même dans ce cas précis, on voit que les Etats-Unis cherchent encore à ménager la France, à ne pas trop froisser cet allié historique. Comme si même après cette véritable trahison il fallait maintenir l’illusion que c’était une erreur de parcours, que cela sera différent les fois suivantes. 

La situation est même encore plus étonnante puisque les Australiens et les Américains (qui se sont, il faut tout de même le dire, mal comportés) voudraient à présent nous persuader du contraire en nous montrant qu’une véritable alliance est possible. Ils nous diront que les sous-marins français n’étaient pas performants, qu’ils nous en avaient prévenus, et que si nous avions écouté, nous pourrions avoir de bonnes relations, à l’image des leurs. En bref, tout ceci serait de la faute de la France. 

Ces deux pays veulent apparaître plus soudés que jamais, mais jusqu’à quand ? Sans doute jusqu’au moment où les intérêts américains pousseront Joe Biden (ou un autre) à trahir ses amis, ses alliés australiens plutôt. Car les pays ne sont pas capables de faire honneur au terme d’amitié. Une alliance ne dure toujours qu’un temps. Attendre plus que cela, c’est prendre le risque d’être profondément déçu. Ce qui signifie aucunement qu’il est interdit de le prendre.

Eliott Perrot

Eliott Perrot

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Member of KIP and regular contributor.