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L’art contemporain et Paris : je t’aime moi non plus

Un échafaudage, un tuyau d’arrosage, une piscine gonflable. Ceci est une œuvre de la Foire Internationale de l’Art Contemporain (FIAC), édition 2016. Il est vrai que, dit ainsi, c’est un peu loufoque. Et les Parisiens ne se privent pas de moquer cette excentricité. Pourtant, malgré un manque de réceptivité de leur part, Paris s’affirme aujourd’hui comme capitale internationale de l’art contemporain.

Selon une étude publiée en 2010, un Parisien sur trois disait manifester une indifférence totale vis-à-vis d’une œuvre contemporaine, tandis qu’un sur six criait au scandale quand il en découvrait le prix (qu’il jugeait exorbitant compte tenu de l’estimation du travail fourni par l’artiste). Il n’existe malheureusement pas d’études plus récentes, mais il est peu probable que les mentalités aient beaucoup évolué depuis. Peu ouverts d’esprit, plaintifs, voire dédaigneux : c’est un peu cette image que les internationaux ont des Parisiens, et il n’y a qu’à faire un tour aux Tuileries chaque année en octobre pour se rendre compte que ce sont les touristes qui prennent le temps d’admirer et de photographier les œuvres « hors les murs » de la FIAC. Bien sûr, ce constat est loin d’englober l’ensemble des Parisiens, fort heureusement. Mais les galeristes insistent : les Français ne sont que très peu présents sur le marché de l’art. Emmanuel Perrotin – galeriste de renom et star de la FIAC 2017 avec l’exposition d’une oeuvre de l’artiste japonais Murakami sur son stand – déplorait en 2014 que les Français n’étaient responsables que de 10 % de son chiffre d’affaires annuel.

Comment, alors, une ville devient-elle leader dans un domaine quand elle n’a pas le soutien de ses habitants ? La FIAC y est pour beaucoup : créée en 1974, elle est d’abord destinée à recevoir les quelques collectionneurs curieux dans l’ancienne gare de la Bastille (on y dénombre alors à peine 110 exposants) ; désormais, elle accueille chaque année au Grand Palais 75 000 visiteurs provenant d’une soixantaine de pays différents, expose près de 200 galeries, et mobilise nombre d’emplacements annexes pour la gamme « hors les murs » (le Petit Palais, les Tuileries, et la place Vendôme notamment). Son rayonnement est désormais incontestablement mondial : en octobre 2015, le galeriste Kamel Mennour confiait au Point : « En Chine, les collectionneurs me parlaient tous de la FIAC ». L’effervescence est telle que le Grand Palais a décidé de lancer des travaux à partir de 2020 pour pouvoir améliorer l’utilisation de l’espace et continuer d’accueillir la FIAC à l’avenir. En 2003, on craignait que l’ouverture de la Frieze londonienne – un évènement similaire – n’empêche totalement le développement de la jeune FIAC parisienne ; il n’en est rien, et aujourd’hui les deux rendez-vous sont au coude à coude en termes de fréquentation. Si la FIAC est donc pour beaucoup dans la prospérité de Paris sur le marché de l’art, elle n’est pas la seule ; le prestigieux MoMA (Museum of Modern Art) de New York a choisi en septembre dernier la fondation Louis Vuitton – à l’ouest de Paris – pour exposer ses œuvres uniques d’art moderne et d’art contemporain pendant sa restauration.

En fait, Paris n’a pas besoin des Parisiens pour rayonner sur le marché de l’art contemporain. C’est un peu comme pour le tourisme en général : il est bien connu que la tour Eiffel n’est pas faite pour les Parisiens – 90% n’y sont d’ailleurs jamais montés de leur vie. L’important est bien de véhiculer une image précise à l’international, celle d’une ville de prestige, symbole de l’amour et des goûts raffinés. Il faut dire que la FIAC a particulièrement bien atteint son objectif de « séduction » du visiteur étranger. Les négociations, qui ont été dures, et les investissements, nombreux, permettent en effet de ravir les mirettes du public à coup d’œuvres toujours plus recherchées : on pouvait admirer l’année dernière Duane Hanson au Grand Palais (l’artiste à qui l’on doit la Supermarket Lady), Marcel Duchamp et Damien Hirst au Petit Palais (le premier n’est ni plus ni moins que le précurseur de l’art contemporain avec son urinoir Fontaine, tandis que le second est l’un des artistes contemporains les plus en vue en ce moment). Cette année, les visiteurs ont pu apprécier des oeuvres de Niki de Saint Phalle, Murakami et Daniel Buren. Le comble de cette réussite est de constater qu’à présent il suffit aux organisateurs de la FIAC de dire d’une oeuvre qu’ils veulent l’exposer pour que la valeur de celle-ci explose.

En somme, le marchand d’art autrichien Thaddaeus Ropac – propriétaire de la très prestigieuse galerie à Pantin, au Nord de Paris – résume bien la situation : « pas une journée ne se passe sans que nous n’accueillions des visiteurs étrangers ». Et maintenant que Paris a atteint ce rang inespéré de capitale de l’art contemporain, elle devrait pouvoir le maintenir grâce à son pouvoir d’attraction à l’international… sans trop, finalement, s’occuper de l’opinion de ses habitants.

Illustration : Montage d’Hugo Sallé pour KIP

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Rédacteur de KIP