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Illustration de Julie Omri pour KIP

Osons l’atome

Imperceptible, silencieux et menaçant, nous nous en servons tous les jours dans des gestes qui paraissent anodins, et qui pourtant déchirent les foules et les politiques. L’énergie nucléaire n’a pas fini de susciter la hargne des plus fervents militants et le désespoir chez ses détracteurs. Le débat sur la dangerosité du nucléaire n’est pas vain, et alerte sur les aberrantes défaillances de sécurité de nos centrales branlantes, dont la fiabilité s’amenuise au rythme du vieillissement de leurs infrastructures. L’ombre terrifiante de Tchernobyl et Fukushima plane sur les plus indécis et renforce l’argumentation des militants anti-nucléaire : le nucléaire fait peur. À raison ? Dans la nécessité de plus en plus pressante de lutter contre le réchauffement climatique, le nucléaire n’est-il pas justement la meilleure alternative aux énergies fossiles à moyen terme ?

Le nucléaire ne sait se défaire de son image démoniaque dont il a hérité des catastrophes qui ont bouleversé notre croyance d’une énergie sûre. Son sombre passé lui fait préjudice depuis que s’est formée l’équation hasardeuse “nucléaire = danger” qui abrège les débats là où une discussion informée aurait un intérêt crucial. Ce raisonnement simpliste fait déjà des dégâts : plus de deux tiers des français pensent qu’il contribue au dérèglement climatique (1). Cette masse croissante, soucieuse de l’impact écologique de l’énergie nucléaire, confond à tort sa dangerosité et son impact environnemental. Leur perception biaisée n’est pas non plus rassurée par la multiplication des théories du complot qui laissent penser que de dangereux éléments radioactifs se baladeraient dans la fumée émise par nos centrales.

Contrairement aux aprioris, le nucléaire peut sauver notre planète 

Le temps presse. Nous n’avons plus que quelques années pour changer radicalement notre mix énergétique et rapidement agir pour notre planète. L’urgence climatique nécessite un profond changement dans la façon que nous avons de produire de l’électricité car, encore trop souvent, nous nous éclairons au prix de la fumée noire et étouffante des centrales à charbon qui contaminent encore et toujours notre atmosphère. La France reste certes épargnée par la pollution envahissante de ces centrales reliques d’un passé obscurcit par la suie et le charbon, mais le constat à l’échelle mondiale inquiète : 40% de l’électricité provient directement des centrales thermiques 1Centrale à charbon: explications, production d’électricité, fonctionnement (connaissancedesenergies.org). Même l’Allemagne, souvent considérée à tort comme exemple dans leur politique environnementale, a fait le choix d’abandonner les centrales nucléaires au profit de centrales thermiques. 

Le nucléaire est une solution et c’est même une excellente solution sur le plan environnemental. Là où les complotistes imaginent des particules radioactives s’échapper des cheminées des centrales, la réalité est bien plus anodine : la démoniaque fumée blanche n’est en réalité que de la pauvre vapeur d’eau… Tout de même, il serait hasardeux et rapide de considérer qu’une centrale ne pollue que par ses émissions directes.

Pour démontrer que le nucléaire est plus propre que les autres moyens de produire de l’énergie, encore faut-il réfléchir sur la pollution dans sa globalité : de l’extraction de l’uranium, en passant par la pollution liée à la construction de la centrale et celle liée à son démantèlement. En opérant de même pour les autres moyens de production, le nucléaire apparaît non seulement comme une énergie verte, mais aussi plus verte que certaines énergies renouvelables !

Parlons peu, parlons chiffres. Le nucléaire émet en moyenne 16 grammes de CO2 pour produire un kilowattheure d’électricité. A titre de comparaison, une centrale à charbon (considéré comme le moyen de production le plus polluant) émet plus de mille grammes de CO2 par kilowattheure (3). Parmi toutes les façons de produire de l’électricité, le nucléaire est la deuxième énergie la moins polluante, après l’énergie solaire (12 g/kWh) mais devant l’éolien (22 g/kWh). Pour avoir une idée précise de quoi on parle, un kilowattheure correspond à une quantité d’énergie disponible qui permet à un foyer moyen de s’éclairer pendant une heure (4).

Sans entrer dans les détails, cette moyenne de 16 grammes de CO2 par kilowattheure varie. L’uranium, avant pouvoir être utilisé dans le réacteur, doit être traité par une opération très énergivore. Cette opération peut être plus ou moins polluante selon la façon de produire l’électricité nécessaire au travail de l’uranium en amont2 Pour être plus précis, c’est le procédé d’enrichissement d’uranium, nécessaire au fonctionnement de la centrale nucléaire, qui est très énergivore. Selon le moyen de production d’électricité utilisé pour ce procédé, le processus est plus ou moins polluant.. Dans les pires cas, on estime qu’une centrale consomme environ 50 grammes de CO2 par kilowattheure.

Au lieu d’écouter les complotistes, peut-être vaut-il mieux se pencher sérieusement sur les chiffres et ne pas précipiter son jugement. Il n’est pas question de taire l’insécurité des centrales ici, mais d’analyser concrètement leur impact sur l’environnement. Et les chiffres sont à ce titre significatifs : le nucléaire est une énergie propre.

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Les centrales sont-elles si dangereuses ?

Vient le sujet fâcheux. Pour ses détracteurs, nous sommes assis sur un vieux moteur crasseux, rafistolé de toutes parts, prêt à exploser et à emporter avec lui des millions de morts. Mais la comparaison avec les ravages de la bombe nucléaire est beaucoup trop précipitée, et un accident nucléaire n’aura jamais le même impact qu’un Nagasaki. Rien ne sert de vouloir minimiser la perspective d’un accident, car les plus grands détracteurs diront que l’erreur est humaine, à raison. Tchernobyl est arrivé par la folie des grandeurs d’un seul homme, Fukushima a été aggravé par les mensonges d’hommes animés par des intérêts purement personnels et cupides 3La catastrophe nucléaire de Tchernobyl s’est produite après qu’un des responsables de la centrale décida de démontrer toute l’étendue des performances de la centrale alors que celle-ci était en travaux, ce qui provoqua l’accident. Pour Fuckushima, des enquêtes récentes ont montré que la société de gestion de la centrale avait déjà été mise au courant des risques encourus en cas de Tsunami. Elle avait délibérément ignoré ces rapports.

Le nucléaire est devenu un mouton noir, une bête à abattre sans scrupules, mais à trop se focaliser dessus, on en oublie d’autres démons bien plus dangereux. Pendant que les associations anti-nucléaires se fatiguent à militer contre le maintien de l’énergie nucléaire comme source première de notre approvisionnement en énergie, les fumées toxiques des centrales thermiques continuent à tuer à tour de bras et la liste des victimes de leur pollution se rallonge. Un danger, invisible et meurtrier, qui est tout de même à l’origine de 23 000 morts prématurées chaque année en Europe (7). Rappelons-le en toute sympathie à tous les militants anti-nucléaires : la fumée des centrales, elle, ne tue personne.

Fukushima et Tchernobyl ont eu leur lot de victimes. Entre 60 et 2000 pour Tchernobyl et seulement un mort potentiel pour Fukushima : les leçons semblent avoir été tirées. Pendant les évacuations sont aussi à déplorer quelques morts, dont la responsabilité revient plutôt à l’incapacité des autorités plutôt qu’aux répercussions immédiates de l’accident. Ces deux malheureux accidents, aux morts déplorables quoique restreintes, doivent être relativisés si on pense aux innombrables cimetières remplis par les deux siècles d’utilisation des centrales thermiques par l’homme.

La sécurité des centrales et leur vieillissement doivent être au cœur des préoccupations des Etats, mais de gros progrès ont été fait en cette matière. Les autorités de sûreté nucléaire ont appris des erreurs commises lors des précédentes catastrophes. Bien qu’elles ne soient pas totalement évitables, les plans d’actions, de déplacement des populations ont été soigneusement réfléchis par des spécialistes pour éviter les hécatombes.

Si certains pointent du doigt les pollutions liées à la contamination des sols et à la radioactivité, voire même à celles causées par les déchets radioactifs, il faut rappeler qu’elles restent régionales et qu’elles peuvent être facilement contenues. Rien à voir donc avec les répercussions immenses de la montée des eaux et du réchauffement climatique auxquels une large part de nos moyens de productions participent activement encore aujourd’hui.

Le nucléaire, une solution ?

Si le nucléaire est certainement moins diabolique qu’on ne le prétend, il ne constitue pas à lui seul notre échappatoire et doit être utilisé en soutien des autres solutions qui existent déjà dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’écueil réside en l’abandon total du nucléaire pour des raisons seulement sécuritaires. De nombreux pays, incluant l’Allemagne et le Japon, ont entamé une transition dangereuse et peu avisée, celle du démantèlement total des centrales. Mais ce choix a de terribles conséquences sur notre environnement, quand la plupart des centrales sont remplacées par des centrales thermiques, peu coûteuses mais extrêmement polluantes. Notre voisin allemand réouvre des centrales thermiques et en fait les frais par des morts à ne plus compter.

Et pourtant, pour réussir notre transition énergétique, rouvrir les centrales thermiques n’est pas tout à fait la voie à suivre. Les centrales nucléaires seront à moyen terme un moyen indispensable à la lutte contre le réchauffement climatique, en tout cas à moyen terme pour ensuite définitivement opter pour des énergies renouvelables comme le solaire ou l’éolien. Mais étant donné l’évolution du tempo du besoin énergétique, il sera impossible de se passer de l’énergie nucléaire à l’avenir, ou alors cela se fera aux dépens de notre planète.

Maxence Delespaul

Maxence Delespaul

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2024). Président de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2024). President of KIP and regular contributor.