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Illustration d'Astrid Hirtzig pour KIP

Napoléon : La Marche de l’Empereur (1/2)

Certains lui attribuent le mot de héros, d’autres en font le héraut de tous les maux. Mais nul ne conteste au petit caporal corse le titre de grand général français, auréolé de gloire malgré les coups de Trafalgar. Une gloire qui se résume pour beaucoup à certaines batailles célèbres : Iéna, Wagram, Austerlitz, des noms qui résonnent encore dans nos esprits, dans nos discours et dans nos gares.

Mais gare à résumer Napoléon à un général. Si Napoléon se distingue, même parmi les Charlemagne, les De Gaulle et autres Jeanne d’Arc, c’est que quel que soit l’angle par lequel on aborde l’histoire de France, Napoléon y revêt son importance. Si nul n’est censé ignorer Napoléon, c’est d’abord par sa loi, son Code Civil encore aujourd’hui fondement de notre législation. Comme Charlemagne, il fut un conquérant, agrandissant les frontières de la France jusqu’aux confins de l’Europe. Comme De Gaulle, il fut un militaire puis un administrateur, capable de créer un nouveau régime politique et d’inspirer les Français même deux siècles après sa disparition.

Mais surtout, comme Jeanne d’Arc, l’Homme de Brienne 1Napoléon fut formé au camp militaire de Brienne est une épopée, une histoire, au secours d’une France en danger. Une histoire partie de l’île de Beauté pour s’achever tristement sur l’île isolée de Sainte-Hélène ; celle d’un homme qui a défilé en souverain devant les Pyramides d’Egypte, a vaincu trois fois la quasi-totalité des nations européennes en étant parti de trois fois rien, s’est fait sacrer empereur, et a épousé la descendante de la plus prestigieuse famille d’Europe. Un destin singulier dont lui-même dira à Sainte-Hélène qu’il faudra mille ans pour qu’il se rencontre de nouveau. Un destin singulier certes, mais aussi et surtout un homme singulier. Avec Sainte-Beuve, avec Bainville, on peut tracer le portrait d’un homme aux facultés exceptionnelles mais en proie à un trouble continuel, existentiel, le faisant douter de tous, et souvent de lui-même. 

Comme peu de figures historiques, Napoléon ne se décrit pas, il se raconte. Et pour débuter cette histoire, comme dans tout roman, il nous faut poser le contexte.

Le monarque républicain

             En page de garde, impériale, du roman de Napoléon, il y a bien sûr la France de la Révolution. Pas besoin ici de faire le tour de ses évènements : cette Révolution, Napoléon y assiste d’abord de loin, depuis les garnisons de Brienne en Champagne et de Valence dans la Drôme. De la période révolutionnaire, il nous faut avant tout retenir un état d’esprit, une effervescence, un climat bouillant où règne l’instabilité qui échauffe les cœurs et les sangs, effrayés par la guillotine, excités par un monde nouveau à construire. Ce qui rend ces corps affamés et ces cœurs enflammés de Révolution c’est bien sûr le rêve d’un avenir structuré autour de trois idées : Liberté, Egalité et Fraternité. 

Pour ce rêve, les Français sont prêts à se battre. C’est tout sauf un hasard si la Première République fut proclamée au lendemain d’une victoire, celle de Valmy, le 21 septembre. Après plus de mille cinq cents ans de monarchie, la France est à reconstruire autour de ses idées nouvelles ; tout est à faire mais personne ne sait comment y parvenir. Dans ce chaos, dans ce monde nouveau, le pouvoir peut échoir à n’importe qui, tant qu’il se montre capable d’exaucer ou de protéger le rêve de la Révolution.

En 1793, jeune artilleur arrivant devant le fort de Toulon, Napoléon est très loin d’imaginer qu’un jour ce prince il deviendra. Il démontre pourtant, immédiatement, une hauteur de vue, une compréhension fine des évènements et de la tactique militaire qui lui permettent de s’emparer du fort de l’Eguillette qui résistait depuis des semaines. Il y démontre surtout son impétuosité, qui deviendra bientôt de l’ambition, en n’hésitant pas à prendre des initiatives et aller contre les instructions de ses supérieurs quand il l’estime profitable. Cette fougue du jeune corse lui sera indispensable lorsque son heure viendra.

Cette heure commence à se former en quelques minutes décisives à la fin de l’année 1795, alors que la situation de la France se dégrade tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. La France est alors gouvernée par le Comité de Salut Public, ensemble chaotique de 9 ou 11 dirigeants, élus tous les mois depuis 1793, parmi lesquels figurent les noms célèbres de Saint-Just et Robespierre2 C’est donc à cette époque que se déroule la Terreur sous la férule du parti des Montagnards de Robespierre, jusqu’à leur chute en juillet 1794 et leur remplacement par la Convention thermidorienne qui dirige encore la France au moment que nous évoquons. Mais le Comité enchaîne les revers : s’il vient d’annexer la Belgique – selon Bainville le boulet que traînera Napoléon jusqu’à sa dernière défaite, en Belgique à Waterloo – il recule partout ailleurs, en Allemagne, en Italie et en Suisse. Paris elle-même est au bord de l’insurrection et ce sont cette fois les bourgeois – les plus fervents soutiens de la Révolution de 1789 – qui veulent se révolter. Le général Menou, commandant militaire de la place ne parvient pas à rétablir la situation et le député Barras fait appel à Napoléon pour mater l’insurrection ; par son commandement énergique Napoléon y parvient en quelques heures seulement et se gagne l’estime d’un homme qui bientôt entrera au gouvernement, au Directoire qui remplace le Comité de Salut Public dans les jours suivants.

Le Directoire hérite d’une situation difficile. D’un point de vue social certes, alors que le vent de la révolte souffle sur la Vendée, mais aussi militaire où l’Italie inquiète particulièrement et où le général Scherer ne commande une troupe découragée et réduite à 30 000 hommes ! Avec la recommandation de Barras, Napoléon est nommé pour le remplacer et remobiliser cette armée démoralisée. Avec ces très faibles moyens, Napoléon fait des miracles. Il insuffle un esprit d’aventure, un esprit de chevauchée, il se porte au combat là où on ne l’attend pas et remporte une victoire éclatante à Lodi le 10 mai 1796 alors qu’on pensait son armée perdue. Après avoir vaincu, Napoléon gagne le cœur de ses soldats, qui le suivront désormais où il ira, et voleront avec lui de victoire en victoire. Il gagne partout, à Lonato, à Castiglione face à Wurzner, au Pont d’Arcole et à Rivoli face à Alvinzi.

Et plus que des victoires, Napoléon gagne la paix. C’est en Italie que Napoléon devient à la fois un homme d’Etat et un diplomate : il dirige la Lombardie depuis son palais de Mombello et fait tout de suite preuve de sa compétence en adaptant son gouvernement aux réalités locales plutôt qu’en y imposant stricto sensu les doctrines révolutionnaires. Il parvient surtout à dominer les négociations de paix de Campo-Formio (1799) où il obtient que l’Autriche se retire d’Italie et lui laisse former des petits états satellites de la France. Napoléon prouve ainsi qu’il a l’étoffe d’un gouvernant et qu’il est capable de diriger un pays et de gagner la Paix.

La Paix. Ce sera toujours le grand rêve des révolutionnaires. Ce serait la reconnaissance de la réussite de la Révolution, que ses idéaux peuvent gouverner une Nation. Or, la Paix, face à des monarchies belliqueuses, qui n’acceptent pas l’idée d’un pays sans Foi ni Roi, ne peut se gagner que par des victoires militaires, en forçant ces monarchies à se rendre. Donc la Paix ne peut être gagnée que par un militaire, un militaire qui sache en plus gouverner habilement et faire preuve de diplomatie. Ces qualités, Napoléon les possède toutes et sans doute est-il le seul à les réunir.  C’est pour cet homme unique, capable de réaliser leur rêve, que les révolutionnaires accepteront de renoncer à la République pour promouvoir l’Empire, faisant de Napoléon un véritable monarque républicain. 

L’Empire : Un nouvel espoir

             Reprenons. Le succès de la Révolution repose sur des rêves ; celui de Napoléon repose sur des espoirs. Désespoir, la France connaît trop bien ce mot au début de l’année 1799. Désespoir à l’intérieur où les Vendéens espérant restaurer la Royauté mettent l’Ouest à feu et à sang. Désespoir à l’extérieur où les soldats de la Révolution, espérant exporter celle-ci en dehors des frontières nationales, enchaînent les revers en Allemagne et en Italie, où les trois principaux généraux du Directoire – Joubert, Jourdan et Moreau – sont tués ou vaincus.

Invaincu demeure pourtant Napoléon, qui s’est presque fait pharaon en Egypte, a défilé devant les pyramides dont la France tirera la pierre de Rosette et l’Obélisque de la Concorde. En Egypte, Napoléon a parfait sa formation de gouvernant, en parvenant à se concilier les bonnes grâces de la population en apprenant à en incarner les aspirations ; au Caire « il se fait un peu musulman »  comme à Paris il saura se faire aussi bien royaliste que révolutionnaire. Il sait sentir le vent du peuple, il sait s’en faire aimer et répondre à ses envies. Partout, sa clairvoyance domine les débats et ne s’embarrasse pas des partis : Napoléon se détourne des idéologies et – quoique ce sera parfois un défaut – refuse les approches théoriques pour répondre aux situations telles qu’elles se présentent, les unes après les autres. Il se détourne aussi des alliances personnelles et saisit les opportunités politiques : Napoléon est un sceptique qui doute de tous, et surtout de lui-même.

Or, en 1799 lui arrive une opportunité exceptionnelle. Un des cinq directeurs – Sièyes – caresse le projet d’un coup d’Etat pour instaurer un régime plus efficace que celui du Directoire, dont les manques patents, illustrés en profondeur par cet article, auront causé la perte. Il doit pour cela se débarrasser des autres directeurs – Gohier, Moulin et l’ancien allié de Napoléon, Barras – et a besoin d’une figure d’autorité pour légitimer son pouvoir auprès de la population française : cette figure est bien sûr celle de Napoléon. Le coup d’Etat du 18 brumaire est un succès, malgré quelques accrocs qui faillirent en causer la perte 3Les députés avaient été isolés à Saint-Cloud en préparation du Coup d’Etat qui devait être le plus rapide possible afin de faire voter les députés avant qu’ils ne puissent reprendre leurs esprits et surtout sans heurts. De nombreux retards faillirent déclencher une révolte des députés qui ne fut empêchée que par l’intervention énergique de Lucien, le frère de Napoléon. qui porte Napoléon au pouvoir, il devient un des trois dirigeants du nouveau régime : le Consulat. Dès les premiers mois, dans ce triumvirat Napoléon s’impose, ses succès militaires – notamment une nouvelle victoire sur l’Autriche en Italie à Marengo le 14 septembre 1799 – en font l’idole de la population, celui qui fait se matérialiser la paix tant désirée. Par ses victoires, Napoléon conquiert la Paix – du moins en apparence – signée à Lunéville en 1800 puis à Amiens en 1802, et par là même le soutien indéfectible du peuple : un peuple qui se fait à l’idée que Napoléon peut gouverner seul et que c’est son gouvernement qui protégera au mieux les idéaux de la Révolution. Il est ainsi nommé Consul à vie, le 2 août 1802.

En l’espace d’à peine trois ans de 1799 à 1802, Napoléon parvient à se faire passer comme l’homme indispensable. Son pouvoir apparaît précieux. Précieux parce que fort, capable de restaurer l’ordre pour mener aux victoires et effectuer des réformes administratives. Précieux parce que fragile, à la merci des attentats qui se succèdent contre lui – dont le premier attentat à la bombe de l’histoire à la rue Nicaise en 1800 – et dont il use habilement pour susciter un attachement presque viscéral à sa personne, face à ses ennemis qui le menace, face aux ennemis de la France qui la menace.

Pour que perdure le gouvernement des citoyens, pour les citoyens, par les citoyens, il faudra qu’il soit dirigé par un seul. Le 2 décembre 1804, le consul Napoléon est sacré empereur.

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Amayes Kara

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Trésorier de KIP (2020-2021) et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Treasurer of KIP (2020-2021) and regular contributor.