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Illustration par Martin Terrien pour KIP.

Loukachenko ou la fin d’une dictature en Europe

Bienvenue en Biélorussie, paisible petit pays d’Europe de l’Est. Vous le connaissez peut-être pour sa nature verdoyante et sa faune abondante, ses milliers de lacs et ses troupeaux de bisons sauvages dans ses grands espaces dépeuplés. Vous vous souvenez peut-être que le tiers de son territoire est encore endommagé par la radioactivité de l’explosion de Tchernobyl, près de trente ans après l’accident. Mais si vous avez récemment entendu parler de la Biélorussie, c’est bien en raison de son président autoritaire au pouvoir depuis 26 ans : Alexandre Loukachenko.

Des manifestations au pays de la dictature tranquille

En août, Loukachenko, le président sortant au pouvoir depuis 1994, a été réélu. Bien sûr, comme tout bon dictateur, il s’y était préparé : les opposants politiques avaient été envoyés en prison peu avant l’élection, les résultats avaient été fixés d’avance et il s’était même arrangé pour avoir le soutien de l’armée et de la police. Bref, tout était bien ficelé. Mais c’était sans compter sur un soulèvement populaire venu bouleverser ses plans : contrairement à la plupart de ses réélections précédentes, celle d’août 2020 n’a pas été qu’une simple formalité administrative munie d’un petit verni de démocratie. Loukachenko découvre avec surprise que le peuple biélorusse n’avait pas été aussi bien dompté qu’il ne le pensait : plus de 100 000 manifestants envahissent les rues de Minsk, la capitale.

Etonnant pour Loukachenko, car il s’était attelé à la tâche de rendre les Biélorusses indifférents à la politique depuis sa montée au pouvoir en 1994. Le dictateur avait fait attention à ne pas s’immiscer dans le quotidien de ses concitoyens : tant qu’ils ne s’opposaient pas à son pouvoir, ils pouvaient avoir une vie paisible et relativement prospère. A vrai dire, sa présidence était bien plus supportable que celle de ses prédécesseurs soviétiques puisqu’il n’imposait pas un régime totalitaire. La Biélorussie a ainsi gardé un système de socialisme de marché, et malgré les salaires bas, le système de santé, l’éducation et les infrastructures routières restent de bonne qualité. En somme, la plupart des biélorusses toléraient le pouvoir de Loukachenko, et en échange, celui-ci garantissait une certaine stabilité et des conditions de vie décentes, dans un pays qui ne compte que 9,5 millions d’habitants.

Mais cette stabilité et relative prospérité économique venait à un certain prix. Liberté de la presse inexistante, manifestations interdites sous peine d’être considéré comme un terroriste par les forces de l’ordre, peine de mort encore en vigueur, contrôle des données sur internet et aucune alternance politique pendant plusieurs décennies, voici donc ce qui constituait le paysage des libertés politiques du pays depuis la fin de l’ère soviétique. Selon l’indice de démocratie de The Economist Group, la Biélorussie se classe 150ème en 2019, dernière le Soudan et à quelques places à peine devant l’Iran. Mais malgré cela, très peu de protestations ont secoué la Biélorussie depuis la fin de l’ère soviétique. 

Qu’est-ce qui a donc fait sortir les Biélorusses de leur apathie politique ? Pourquoi sont-ils descendus dans les rues ces dernières semaines alors qu’il y a quelques mois, très peu de personnes semblaient se soucier de la situation politique de leur propre pays ? 

La fin du statu quo

Le 9 août dernier, Loukachenko sortait victorieux de l’élection présidentielle avec une majorité écrasante : plus de 80% des suffrages. Certes, personne ne se faisait vraiment d’illusions depuis fort longtemps sur la différence entre les chiffres officiels et la réalité. Mais la tolérance des biélorusses pour le système politique en place commençait à s’effriter et les chiffres annoncés étaient bien loin – trop loin – de refléter cette réalité : ils se rendaient bien compte que leur président ne rassemblait plus un si grand nombre de partisans. 

La stabilité du régime de Loukachenko tenait en effet grandement à la situation économique qui permettaient à la Biélorussie de bénéficier d’une relative prospérité et d’inégalités de revenus faibles grâce aux hydrocarbures russes. Pour asseoir son assise sur le pays, la Russie vendait du gaz et du pétrole à bas prix à la Biélorussie, ce qui permettait à celle-ci de revendre ces hydrocarbures au prix du marché dans le reste de l’Europe en prélevant une marge très confortable au passage. Du fait de l’impact des sanctions européennes sur l’économie russe, la Russie a été obligée de réduire cette subvention indirecte. Par ricochet, la situation économique de la Biélorussie en a été impactée, et ainsi les conditions de vie des Biélorusses.

La souveraineté Biélorusse

C’est une situation assez paradoxale pour Loukachenko : lui qui se donnait l’image de tête de proue de l’indépendance biélorusse vis-à-vis de la Russie, du moins en apparence, voit son soutien populaire dégringoler après la baisse du soutien financier russe. Lui qui disait ne pas vouloir permettre à la Russie de grignoter la souveraineté du pays, se voit contraint de faire appel à son voisin pour contrôler les foules qui réclament son départ. Pour la Russie, c’est une opportunité en or : elle qui tentait depuis des années de canaliser le dirigeant biélorusse un peu trop friand d’autonomie à son goût ! Enfin l’occasion d’essayer de faire signer à Loukachenko ses propositions de rapprochement qu’il refusait autrefois et d’aller au-delà de cette relation mitigée pour faire rentrer la Biélorussie dans son giron.

Pourtant, les manifestations biélorusses viennent avant tout d’un sentiment national et de la volonté de changement des Biélorusses pour leur propre pays. Et ce n’est pas parce que Loukachenko prônait une certaine indépendance du pays vis-à-vis de son voisin qu’il cultivait un sentiment national au sein de son pays. A titre d’exemple, Loukachenko ne s’est exprimé en langue biélorusse en public pour la première fois qu’en 2014. Les manifestants, pour marquer la différence face au régime de Loukachenko, arborent donc fièrement le drapeau rouge et blanc de la Biélorussie, en vigueur en 1918 à l’indépendance du pays de la Lituanie, en 1944 et entre 1991 et 1995. Ce drapeau, symbole du nationalisme et de l’indépendance biélorusse s’oppose alors au drapeau rouge et vert utilisé par l’actuel Biélorussie, qui ressemble très fortement au drapeau utilisé par la République Socialiste Soviétique de Biélorussie pendant la période communiste. 

Autre facteur de distinction des manifestants face au régime, est le pacifisme de ceux-ci. Bien au contraire, la police – grand soutien du régime – fait un usage copieux de la violence pour essayer de dissuader les manifestants de se rendre dans la rue. A ce titre, la mort de Roman Bondarenko, un jeune artiste anti-régime, est particulièrement symbolique : il aurait été arrêté par des policiers en civil à la suite d’une dispute sur des rubans rouges et blancs accrochés dans une cour d’immeuble, symboles de l’opposition. Il a reçu de violents coups à la tête, et est mort à l’hôpital de lésions cérébrales peu après. Une mort qui n’est pas passée inaperçue : des dizaines de fleurs et des bougies ont été déposées  à l’endroit où Roman Bondarenko a été arrêté, signe d’un rejet des méthodes violentes du régime, mais surtout d’un soutien au combat du jeune homme. 

C’est cela qui distingue vraiment les manifestations en Biélorussie. Malgré l’intérêt de la Russie pour les évènements à Minsk, il ne s’agit pas, comme en Ukraine, d’un conflit entre les partisans d’un rapprochement avec la Russie et les partisans d’un rapprochement avec l’Europe de l’Ouest. C’est un mouvement populaire essentiellement national : un peuple contre son dirigeant autoritaire, un pays et son désir de changement. Pacifisme et désir de démocratie contre dictateur vieillissant à la main légère sur l’utilisation de la violence par les forces de l’ordre.

Aliette Dupas

Aliette Dupas

Étudiante française en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Membre de KIP et contributrice régulière.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Member of KIP and regular contributor.