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Le nucléaire civil français : une énergie diabolisée à tort

A l’aube d’une campagne présidentielle qui s’annonce plus clivée que jamais, les questions énergétiques, qui devraient faire l’unanimité sous l’ordre de la raison, sont de plus en plus politisées. Le nucléaire, sujet clivant par excellence et objet de beaucoup d’idées reçues, offre un exemple de pollution du débat public.

Le nucléaire : acteur de la décarbonation et de l’indépendance énergétique depuis les années 1970

Le nucléaire fait débat depuis des décennies. A l’origine « choix de courage » et « programme d’indépendance stratégique »1Propos de Valéry Giscard d’Estaing lors d’un meeting de campagne présidentielle à Dax, le 20 avril 1981 vanté par son chantre Valéry Giscard d’Estaing, puis encouragé par son successeur à l’Elysée François Mitterrand à la faveur d’un relatif consensus, il est aujourd’hui décrié par toute une frange de la classe politique française – correspondant peu ou prou à ce qu’il reste de la gauche. A l’inverse, il en est souvent fait l’éloge de l’autre côté de l’hémicycle. S’il faut objectivement lui reconnaître défauts comme qualités, le débat sur cette énergie est devenu éminemment politique en France comme ailleurs en Europe, et le bon sens semble parfois faire défaut lorsque que des décisions importantes doivent être prises en matière d’énergie

Commençons par un rapide état des lieux. En France, le nucléaire, c’est 56 réacteurs répartis en 18 sites, qui ne représentent désormais plus que 67% du mix électrique (ce qui en fait toujours le pays le plus nucléarisé du monde), contre quelque 75% quelques années plus tôt. En effet, une certaine réduction est engagée comme en témoignent la fermeture de la centrale de Fessenheim à l’été 2020 et le fait qu’un seul réacteur soit en construction : Flamanville 3. Ils permettent à la France d’avoir une production d’électricité largement exportatrice , largement décarbonée et produite localement. Sur le papier, c’est une énergie rêvée qui crée de l’emploi en France, avec une technique française et un coût environnemental quasiment nul : à l’heure des grands défis de l’emploi, climatique et de la souveraineté énergétique, le nucléaire est un monument du patrimoine français.

Une énergie décriée et récupérée par le débat politique

Seulement voilà, tout le monde a encore en tête les noms de Tchernobyl et Fukushima. Le nucléaire paraît dangereux, les accidents (souvent mineurs) sont pléthore ; on ne sait toujours pas traiter les déchets nucléaires ; on importe l’uranium du Niger, du Kazakhstan ou d’Australie. Arguments recevables, certes, mais tout n’est question que de hiérarchisation. A quel problématique veut-on vraiment répondre quand on prend une décision portant sur la politique énergétique du pays ? Gardons en tête qu’il en va à la fois de l’avenir climatique de la planète et de la place que veut et peut se donner la France dans la lutte contre ce changement.

Depuis plus d’une décennie, ce sont donc les mêmes arguments qui reviennent pour montrer l’inefficience du nucléaire et en prôner la sortie. D’autant plus vifs après le terrible accident nippon de 2011, ils ont placé le sujet au cœur du débat public en pleine course à la présidentielle de 2012. Aussi, le Parti Socialiste emmené par François Hollande – traditionnellement productiviste et attaché à nos fleurons industriels – s’est-il allié aux Verts qui prônent une sortie pure et dure du nucléaire. Cette alliance, contre-nature, a abouti à une loi de transition énergétique pour la croissance verte, signée en 2015. Sur l’autel de calculs politiciens a-t-on donc acté la fermeture de la centrale de Fessenheim et de ses deux réacteurs, ainsi que la réduction à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique d’ici 2025. Comment ne pas penser que pour le président Hollande comme pour le président Macron, la fermeture de la centrale de Fessenheim n’est que le fruit d’intérêts politiciens, mêlant donc l’irrationnel des affaires publiques au pragmatisme nécessaire pour diriger une politique énergétique. 

L’inconsistance de l’argument écologique

Ce paradoxe apparaît d’autant plus clairement quand ce sont les Verts d’EELV et une partie de l’extrême gauche (la France Insoumise, pour ne citer qu’eux) qui sont les plus fervents adversaires de l’atome. Notons à ce sujet les remarquables atermoiement de la gauche « classique » du PS, divisée entre son héritage industriel et les sirènes de la lutte écologique, et incapable de définir une ligne de parti claire sur le sujet. Ce sont donc les principaux chantres de l’action climatique – rappelons-le, indispensable – qui veulent diminuer la part du nucléaire. Rappelons pourtant en premier lieu que la France a déjà, et précisément grâce au nucléaire, un mix électrique décarboné à plus de 90% ! ce qui en fait l’un des meilleurs élèves au niveau mondial. Le GIEC lui-même le reconnaît : il existe un facteur 150 entre les centrales nucléaires et les centrales à charbon en termes d’émissions par kWh (de 6 grammes par kWh à plus de 1000 pour le charbon)2Source : Bilan de l’ADEME, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, ce qui signifie qu’à énergie produite égale, le nucléaire émettent 150 fois moins de gaz à effet de serre. Paradoxalement donc, ce sont des centrales à charbon qui ont dû être réactivées à l’hiver 2020, faute de production nucléaire suffisante. L’Allemagne, qui a fait le choix d’une sortie rapide du nucléaire, est redevenue un des pays d’Europe les plus émetteurs de CO2 (10 tonnes par personne par an). La France, parmi les plus performants d’Europe avec les pays nordiques (5,4), n’a donc pas de raison de calquer sa politique sur celle de son voisin allemand.

Il y a donc nécessairement d’autres raisons qui justifient cette cristallisation du débat politique autour du nucléaire. Celles-ci sont à mon sens d’ordre plus philosophique et portent sur l’essence même du progressisme comme philosophie du progrès qui guide l’avancée de la condition humaine.

L’énergie de l’atome est aujourd’hui diabolisée par les écologistes car elle est un symbole de la domination technique cartésienne sur la nature et donc une épée de Damoclès qui pèse sur les activités humaines – selon eux nécessairement prédatrices des ressources de celle-ci. L’abandon du nucléaire ne se justifie en réalité jamais par des arguments écologiques. Il n’est question que de la façon d’appréhender un possible échec de nos compétences, de notre génie technologique national, pourtant reconnu entre tous. A ce sujet précisément, la seule appréhension d’une catastrophe de l’ordre de celle de Tchernobyl ou de Fukushima ne mène à rien. L’annihilation par la peur de l’ambition technique – pourtant apanage incontestable de l’homme sur le règne animal -, constitue le principal écueil dans lequel se ruent les Mélenchon, Rousseau et autres laudateurs de la décroissance. C’est un réflexe qui n’a pas lieu d’être dans un monde où la peur, sentiment irrationnel par nature, doit être conjurée par le pragmatisme, et ce même si cela réclame plus d’efforts encore : ne cédons pas à à la peur, mais croyons en un véritable progrès. Une société progressiste ne répond pas au risque en l’interdisant, mais en le minimisant; elle confie son avenir à son intelligence et ne le sacrifie pas à ses craintes : voilà peut-être une juste définition du progressisme.

Retrouver une politique énergétique cohérente

Si aujourd’hui la lutte climatique constitue le principal facteur de décision dans la mise en place des politiques publiques énergétiques, qu’il s’agisse de réglementation, de subventions, de taxes, etc. le seul consensus existant constitue aujourd’hui un truisme : il faut arriver à la neutralité carbone au plus tôt possible (2050 ?). Cela passe nécessairement par une augmentation de la part du renouvelable dans notre mix énergétique. La question est de savoir comment manœuvrer cette transition tout en limitant les dégâts en termes d’emploi, d’indépendance, d’émissions de CO2, etc. Depuis le plan Messmer des années 1970, la filière nucléaire, Areva en tête, a été pourvoyeuse d’emplois (400 000 emplois directs et indirects). Mais ce n’est pas tout : l’Europe et surtout la France possédait un leadership mondial dans cette énergie propre qu’elles sont paradoxalement en train d’abandonner. 

Le nucléaire français est un formidable outil de souveraineté qui, en dépit de sa dépendance aux importations, demeure un argument de taille dans la lutte des puissances qui s’annonce. La souveraineté énergétique est primordiale à l’heure où les importations européennes de gaz russe sont à leur sommet, où la Chine est le premier investisseur dans le renouvelable (surtout le solaire mais aussi le nucléaire) et où les Etats-Unis gardent la première production énergétique au monde. 

Croire en la recherche française

La recherche nucléaire constitue peut-être, si elle permet l’exploitation du nucléaire avec un degré de risque moindre, l’une des solutions. La France, pays avec la plus importante part du nucléaire dans son mix électrique (près de 70%), se doit de poursuivre la recherche comme le font les géants énergétiques américains et chinois. Le savoir-faire que nous avons acquis et qui est en train de se perdre constitue un fabuleux potentiel scientifique, d’autant que notre Agence de Sûreté du Nucléaire est reconnue dans le monde entier et veille à la sécurité de nos réacteurs. A ce titre, le nouveau prototype d’EPR2 de 3ème génération à Flamanville, pourtant très décrié pour ses retards et sa lourde facture, doit être l’un des fleurons de la filière française (meilleur rendement, réutilisation des déchets, sécurité accrue). Il doit servir d’exemple pour la construction de nouveaux réacteurs. Le programme ITER, installé à Cadarache (Bouches-du-Rhône) et rassemblant 35 pays, doit aussi être l’occasion de montrer le leadership français sur ce projet, le plus grand projet scientifique mondial.

Le projet Astrid, prototype de réacteur de quatrième génération qui devait être une solution à long terme pour renouveler un parc qui arrive en fin de vie, vient pourtant d’être repoussé à la seconde partie du siècle. Autant dire qu’il s’agit d’un abandon et d’un véritable camouflet pour le nucléaire français : pour cause de contraintes budgétaires, on tire un trait sur l’un des projets les plus importants de ce siècle. A ce rythme, la France, autrefois et encore aujourd’hui leader de la filière, sera dépendante de pays qui auront su développer des technologies d’avenir.

Il faut cesser d’opposer les énergies renouvelables au nucléaire. La priorité, reconnue par absolument toutes les institutions, est non pas de sortir du non-renouvelable mais du non-neutre du point de vue des émissions. Le nucléaire doit faire partie de notre mix tant que des énergies qui polluent de 150 fois plus en font toujours partie. Ce n’est qu’en permettant que les nouvelles énergies (hydraulique, biocarburants, hydrogène) remplacent le charbon d’abord, le pétrole et le gaz ensuite, que la France atteindra la neutralité carbone tout en jouant un rôle de modèle sur la scène internationale. La diminution du nucléaire, énergie par nature imparfaite, ne doit intervenir que dans un second temps. 

Émilien Zeneli

Émilien Zeneli

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025).
Secrétaire général adjoint de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
KIP's assistant secretary-general and regular contributor.