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Le Heavy Metal : rendre aux abâtardis ce qui leur est dû ?

En 2018, le groupe de Heavy Metal, Avenged Sevenfold, jouait au concert Rock Am Ring. 

Le groupe s’apprêtait à jouer le morceau « A Little Piece of Heaven ». 

Le chanteur M. Shadows annonça ainsi la transition :

« Voici un morceau qui devrait être joué plus souvent aux festivals. Il dure à peu près 8 minutes. C’est une musique d’amour, d’assassinat, de nécrophilie. ». À chaque mot prononcé par M. Shadows, l’engouement et l’intensité des cris de joie du public augmentaient. Le chanteur termina par rigoler en train de dire : « Mais pourquoi est-ce que la nécrophilie a autant de cris de joie ? ». 

Cette anecdote a de quoi nous surprendre et même susciter notre stupéfaction et indignation : comment se fait-il que toute une foule en plein festival semble faire l’apologie du meurtre et de la nécrophilie ? 

Cette première question mène vers une deuxième : comment se fait-il qu’un genre musical comme le Heavy Metal réussisse à fidéliser une communauté d’auditeurs avec des messages d’une grande violence et d’une grande immoralité, alors même que ces individus ne sont pas des meurtriers ou des adeptes du cannibalisme, de la nécrophilie ou de n’importe quelle autre pratique socialement ou légalement condamnée ?

Le Heavy Metal : Un Genre Socialement Condamné 

Quand on regarde de près le Heavy Metal, que ce soit au niveau du contenu des paroles ou de la forme musicale, peu de choses séduisent dans ce genre. Il est apparu à l’aube des années 1970, et il a été inauguré par le groupe de musique Black Sabbath. L’origine du Heavy Metal apparaît, selon les spécialistes, avec la transgression des accords traditionnels du blues, alors que le heavy rock marque une continuité avec ce genre. 

Le Heavy Metal a toutefois été depuis ses origines critiqué et condamné avant de gagner l’acceptation du public. Musicalement, le genre ne semblait être qu’une production insensée de bruits qui détruisent toute forme de mélodie et d’harmonie, ne gardant qu’un rythme frénétique et inaudible. Au niveau de son contenu, il véhicule des messages de satanisme, d’immoralisme et d’anarchie, incitant à la haine et à la violence – il n’est pas étonnant d’avoir repéré des manifestants d’extrême-droite dans l’auditorat du Heavy Metal, sans que cela ne doive susciter des préjugés chez le lecteur. Juste pour citer un exemple, Tipper Fore, épouse d’Al Gore, condamna ce genre, qualifié d’ « infernal » et de « dangereux » pour la jeunesse. Même chez les plus subversifs, le genre se voulait apolitique, contrairement au rock originel, qui avait une ambition politique contestataire ainsi qu’une vocation sociale d’affirmation d’une nouvelle jeunesse , notamment aux États-Unis avec la contre-culture des sixties.  Il est aussi aux antipodes des mouvements hippies. 

Or, s’en tenir à ces considérations et à ces préjugés reviendrait à négliger une autre interprétation de la place du Metal et de son importance, ainsi de ce qu’il représente, chez sa communauté d’auditeurs. 

Pour cela, je voudrais faire appel à un sous-domaine des sciences humaines et sociales, méconnu du grand public, qui a décidé de prendre au sérieux le Metal comme objet d’études, à savoir les Metal Studies. 

Les Metal Studies se sont notamment institutionnalisées avec l’apparition de l’International Society for Music Metal Studies (ISMMS), qui, depuis six décennies, cherche à mener des études de plus en plus approfondies et organiser des colloques pour ouvrir un vrai débat au grand public sur ce genre musical. 

Une Réponse au Désenchantement du Monde

Les Metal Studies nous donnent quelques renseignements sur l’écoute du Heavy Metal et sa spécificité. L’ethnomusicologue Harris Burger affirme que les auditeurs du Metal écoutent une telle musique pour lutter contre le désespoir de leur situation, et non pas parce qu’ils sont intrinsèquement misanthropes, pessimistes ou nihilistes. Ce qui attire avant tout les fans, c’est la charge émotionnelle très puissante du bruit insignifiant et de l’agressivité incontrôlée du genre, car il offre à ses auditeurs des stratégies affectives, éthiques et symboliques face au désenchantement du monde. 

Si l’on reprend l’une des thèses principales de Max Weber, dans Économie et Société, le 19ème siècle a été un moment de progrès dans toutes les sphères de la société, qui a repoussé et affaibli la force des croyances religieuses au profit d’explications scientifiques et rationnelles. Cette rationalisation a entraîné ce que Weber appelle le « désenchantement du monde », dont les principaux symptômes furent une perte de sens et un déclin de valeurs. 

Dès lors, le Metal est avant tout, dans cette analyse, une réaction face à ce désenchantement du monde, qui s’est renforcé pendant les années 1970 et 1980, au moment de la riposte des néoconservateurs face à l’effervescence culturelle de la contre-culture des sixties, de l’échec de l’expérience communiste et de la montée en puissance du néolibéralisme et du capitalisme. L’apparition du Heavy Metal et sa popularisation succèdent à l’apogée du blues et du rock’n’roll subversif. Face à cette transformation historique, le Metal devient le lieu d’expression privilégié d’une jeunesse en quête de nouveaux repères qui ne peuvent plus être trouvés dans cette contre-culture désormais affaiblie. 

Il suffit de reprendre ce qu’a dit Ozzy Osbourne, le chanteur de Black Sabbath1Black Sabbath fut fortement influencé par son environnement, à savoir les forges de l’industrie métallurgique et le travail mécanique répétitif. en 2010, pour être convaincu d’une telle hypothèse : 

Nous vivions dans une ville morne, polluée et lugubre, et cela nous enrageait. Pour nous, tout le trip hippie c’était des conneries. La seule fleur à Aston ornait une tombe. Alors on s’est dit qu’on allait foutre les boules au monde entier avec de la musique. »

Repenser la place du Heavy Metal dans nos sociétés 

Ces considérations issues directement des Metal Studies nous permettent de mieux comprendre un univers qui semble inaccessible pour toute une communauté d’auditeurs et qui ne doit pas se résumer à des adolescents vivant une crise existentielle. L’écoute du Heavy Metal est très particulière, et elle doit être vue avant tout comme l’attitude d’une personne désenchantée par la rationalisation du monde, incapable de retourner vers un ordre religieux passé, souhaitant adopter une culture marginalisée et transgressive afin d’exprimer ces sentiments. Alors que les auditeurs du rock espéraient un futur meilleur, les auditeurs du Metal cherchent une manière de ne pas désespérer. 

On comprend aussi que la charge émotionnelle très puissante du Metal puisse servir comme un moyen de refouler, par le processus de la sublimation, les pulsions de mort présentes chez l’être humain. Bien plus efficaces que n’importe quel autre genre musical, l’écoute du Metal permet de canaliser des pulsions violentes – Thanatos, la pulsion de mort, l’une des deux pulsions primitives chez Freud avec Eros, la pulsion de vie, si l’on se réfère à ses considérations dans Au-Delà du Principe du Plaisir (1920) – et de les refouler par un processus de sublimation – qui renvoie à la déviation de la pulsion de son but originel vers un domaine socialement valorisable, à savoir la musique. 

Voici donc des explications qui permettent de rendre compte d’une réalité plus complexe de l’écoute du Metal qui ne doit pas se résumer aux préjugés qui la résument à une musique immorale destinée à une communauté de dégénérés. Son écoute a une fonction sociale fondamentale chez ses auditeurs, notamment celle de permettre d’accepter un monde désenchanté, et de refouler de pulsions de violence par un processus psychologique de sublimation. L’auditeur de Metal cherche bien plus à se délivrer des pulsions violentes et meurtrières qui peuvent l’habiter qu’à écouter ce genre musical pour renforcer sa supposée nature violente et immorale. 

Illustré par Constance Leterre-Robert

Yan Balanger

Yan Balanger

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2025)
Membre de KIP et contributeur régulier.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2025).
Member of KIP and regular contributor.