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La GPA, un malaise politique français

La GPA a été la grande  absente des débats durant la campagne présidentielle, à droite comme à gauche. Pourtant, une grande majorité de Français est favorable à sa légalisation pour les couples hétérosexuels (75%) et homosexuels (59%), selon un sondage réalisé par l’Ifop en février 20221Sondage réalisé du 10 au 22 février dernier sur un échantillon représentatif de 1503 personnes. Toutes les statistiques citées dans l’article en sont issues.. Comment expliquer un tel décalage avec l’opinion publique, dans une démocratie représentative comme la nôtre?

Tour d’horizon

Parmi les treize candidats à l’élection, seul Yannick Jadot s’est aventuré à proposer « un débat sur une GPA éthique », fin 2021, sans pour se risquer à l’inscrire dans son programme. Pour rappel, cette forme de GPA correspond à un contrat de gestation pour autrui non rémunéré, incluant seulement la possibilité d’un défraiement plafonné des coûts liés à la grossesse. Le choix libre et éclairé de la gestatrice y est garanti par plusieurs critères, comme la preuve d’un revenu minimal et stable, un âge maximum ou le fait d’avoir déjà accouché d’un enfant. La GPA « éthique » se distingue de la GPA commerciale sur la question de la rémunération.

Quelles que soient ses modalités, la gestation pour autrui réalise cependant la prouesse de fédérer tous les partis politiques autour du maintien de son interdiction, malgré des conceptions de la famille et des morales sexuelles très différentes.

Des dissonances se font toutefois sentir autour de la question de la filiation des enfants nés par GPA à l’étranger. Fidèle à elle-même, la droite maintient son opposition à la transcription de leur acte de naissance. Quant à la majorité présidentielle, elle effectue un virage à 180 degrés: alors qu’en 2017 le candidat Macron est élu en prônant cette transcription au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, son parti soutient ouvertement l’article 7 de la loi bioéthique d’août 2021. Ce faisant, il cherche à faire annuler la jurisprudence de la Cour de Cassation qui prévalait depuis 2019 : retour à la case départ, le parent d’intention doit repasser par une longue et incertaine procédure d’adoption.

À gauche, les candidats se disent favorables à la transcription des actes de naissance, mais tous – à l’exception de Yannick Jadot – insistent sur leur opposition à la légalisation de la GPA en France. C’est le cas de Jean-Luc Mélenchon, qui assume une « position paradoxale » dans un entretien accordé à Têtu en août 20212https://tetu.com/2021/06/15/interview-jean-luc-melenchon-propos-magazine-tetu/. Néanmoins, le sujet ne fait l’objet d’aucune discussion entre les différents candidats. Et depuis la réélection du président sortant, le débat est au point mort.

Des mouvements d’opposition minoritaires mais virulents

Pour comprendre le faible engouement politique autour de la GPA, il faut remonter aux grandes années de la Manif Pour Tous, association créée en 2012 pour lutter contre l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Jusqu’alors peu politisée, la GPA devient le fer de lance des « anti » mariage pour tous. Diabolisée par ses détracteurs, elle sert de repoussoir à la loi Taubira3Loi qui ouvre le mariage et l’adoption aux couples de même “sexe” qui, selon eux, ouvre la voie à sa légalisation. Depuis 2013, la Manif pour Tous et ses émanations ne relâchent pas la garde et redoublent d’opposition face aux avancées en matière de bioéthique. Cependant, en 2022, ce n’est plus tant la GPA mais son ouverture aux couples d’hommes que redoutent les plus conservateurs: si 64% des électeurs d’Eric Zemmour et de Valérie Pécresse sont favorables à la GPA pour les couples hétérosexuels, ils ne sont que 29% et 46% à vouloir la légaliser pour les couples homosexuels.

Mais l’opposition à la GPA se retrouve aussi à gauche. Elle concerne notamment des organisations qui se revendiquent progressistes et féministes, comme Osez le Féminisme! ou la CIAMS (Coalition Internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitition). Ces associations abolitionnistes ont pignon sur rue chez une partie de la gauche social-démocrate4La loi d’avril 2016 contre la prostitution en atteste. À leurs yeux, prostitution et GPA sont autant de formes de violences ou d’exploitations abusives du corps des femmes.

Fustigeant la possibilité d’une GPA éthique, ces mouvements se situent à contre-courant du soutien croissant des Français au recours réglementé à une gestatrice: rien qu’entre juin 2021 et février 2022, le taux d’adhésion à la légalisation de la GPA bondit de 9 points pour les couples hétérosexuels et de 6 points pour les couples homosexuels. À croire que les débats sur la loi bioéthique ont favorisé l’acceptation des Français pour cette pratique… même si les politiques ne l’entendent pas ainsi.

Stratégies politiciennes et électorales

Quand la loi bioéthique a été votée au Parlement, en août 2021, la majorité présidentielle se remettait difficilement de la claque des élections régionales du mois de juin. LREM a donc envoyé des signaux forts aux électeurs de droite modérée en faisant volte-face sur la filiation des enfants nés par GPA à l’étranger. L’abandon de cette promesse de campagne permet aussi de faire « passer la pilule » de la PMA pour toutes aux sénateurs et députés LR récalcitrants. Après le score historique de l’extrême-droite aux dernières élections présidentielles, la majorité LREM (devenue Renaissance) se garde bien de défendre une mesure qui pourrait cristalliser les tensions au sein de la société française et alimenter le populisme d’extrême-droite.

« Une question de temps » et de « courage politique »

La gauche n’est pas en reste. Son électorat est très majoritairement favorable à la légalisation de la GPA pour tous types de couples (82% des sympathisants EELV, 70% des sympathisants LFI et PS). Mais la NUPES n’en fait pourtant pas un point de clivage avec Renaissance comme pour les questions d’ordre économique ou écologique. Probablement car le gain politique à court terme est faible face au risque de froisser certains électeurs de gauche encore attachés à des valeurs plus traditionnelles. « Même au sein des partis progressistes subsiste l’idée d’une dimension principalement biologique de la parenté »5La conception biologique de la parenté est loin d’être universelle: en Occident, elle trouve son origine au XVIIème siècle. Dans d’autres sociétés et/ou à d’autres époques, le lien de parenté est d’ordre sociologique avant tout., explique Laurent Barry, maître de conférences à l’EHESS et titulaire d’une chaire en anthropologie de la parenté. Selon lui, la légalisation de la GPA s’inscrit dans l’évolution vers une conception plus « sociologique » de la parenté, amorcée par la reconnaissance des couples homoparentaux et par le développement des aides médicales à la procréation depuis plusieurs décennies. La PMA pour toutes ouvre notamment une brèche dans le sacrosaint principe français selon lequel la mère est celle qui accouche. Son verdict est sans appel: « à terme, c’est inéluctable. C’est une question de temps ». Sylvie Mennesson, figure de proue de la lutte judiciaire et politique pour la légalisation de la GPA, confirme: « il manque seulement le courage politique ».

Illustré par Constance Leterre-Robert

Romain Moor

Romain Moor

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2023).
Contributeur occasionnel pour KIP.

French student in Master in Management at HEC Paris (Class of 2023).
Occasional contributor for KIP.